Entretien accordé au journaliste Kafia Aït Allouache du quotidien El Moudjahid le 23 octobre 2021.
La technologie a de nombreux atouts, et en ce qui concerne l’art, ses influences sont nombreuses. Elle a permis aux artistes et à l’art contemporains d’explorer de nouvelles facettes de l’art. Pour avoir plus de précisions et d’explications sur le sujet, l’artiste peintre et chargé de l’organisation des expositions et des projets à l’école supérieure des beaux-arts, Karim Sergoua, rencontré à l’occasion du vernissage de l’exposition collective «les richesse de la nature», organisée par l’ambassade de Hongrie en Algérie, à l’école supérieure des beaux-arts, explore le sujet.
El Moudjahid : Pouvez-vous nous donner plus de détails sur le programme de l’école ?
Karim Sergoua : L’école a concocté un programme artistique, culturel et pédagogique riche, lié à la pédagogie et à la recherche au profit des étudiants et des enseignants. il y aura des conférences, des workshops, des ateliers ouverts au public, des ateliers pour les professionnels, des projections de films, suivies de débats… L’école est dotée d’une salle d’exposition et d’une autre de conférences, qui accueille ces événements. Je suis un enfant de cette école et j’espère transmettre tout ce que j’ai pu apprendre.
Une régression de l’enseignement a été enregistrée. À quoi cela est-il dû ?
S’il existe une régression, c’est dû aux nouvelles technologies. Ce sont donc de nouvelles tendances qui apparaissent. C’est vrai que nous regrettons le temps des beaux-arts où il y avaient l’art de sculpture, la miniature, de la peinture et du dessin à profusion. En ces temps, les matériaux n’étaient pas chers. C’est tout à fait le contraire actuellement. C’est devenu inaccessible. Mais il y a quand même des résultats. À titre d’exemple : en faisant une tournée à Alger, vous allez voir tout l’aménagement, toute la nouvelle signalétique, toutes les belles vitrines… sachez bien qu’il y a un diplômé des Beaux-Arts dernière. Derrière les emballages alimentaires, ceux des produits cosmétiques… il y a aussi un diplômé des Beaux-Arts. Idem pour l’aménagement des maisons. En plus d’un architecte, on trouve un designer d’intérieur. On crée de l’immobilier, des luminaires… même si ce n’est plus le bohème, la poésie… l’école maintien le cap.
Quels sont les impacts des technologies sur les artistes ?
Je trouve que cela a un impact négatif, bien que certains pensent le contraire.
À mon avis, on peut utiliser les nouvelles technologies pour un département, mais il ne faudrait pas que cela influe sur tous les arts. Les nouvelles technologies ont des utilisations incroyables : master, image web, bande-dessinée, dessin animé, films d’animations… Il existe même des expositions digitales. Bien que cela soit beau et techniquement fort, l’âme, la poésie, l’esthétique, le côté humain, romantique et chaleureux des contacts directs y est absent.
Les nouvelles technologies créent-elles une rupture entre l’artiste et son public ?
On perd un public incroyable de jeunes. En tant que chargé des expositions et des projets à l’école, je témoigne qu’on a un grand potentiel de jeunes artistes, surtout la gent féminine. On enregistre cette année 200 étudiants. Et grâce au concours lancé, nous avons reçu 230 candidats, dont 70 ont été admis. Le reste est sur la liste d’attente. On envisage de repêcher certains.
L’école fait-elle face à des problèmes qui l’oblige à limiter le nombre d’étudiants ?
Non, l’école ne fait pas face à un problème pédagogique. C’est plutôt un problème d’hébergement. Chaque année, on rencontre ce problème.
Cette situation nous a obligés à reculer la rentrée jusqu’à ce que l’on confirme l’hébergement de tous les étudiants, pour éviter la perdition. La pandémie du coronavirus a eu aussi sa part dans le chamboulement de programme. On est obligés d’assurer un enseignement par vague pour éviter la propagation de la Covid-19, tout en respectant les instructions du ministère de la santé relatives à la distanciation, la désinfection, le port du masque…
Qu’en est-il de la qualité de la formation ?
L’école dispose d’un potentiel d’enseignants professionnels qui assurent une formation de haute qualité, suivant le même type de formation appliquée dans le reste du monde. Ces enseignants se donnent à fond pour ces étudiants et le résultat est là : les trois meilleurs designers en France ce sont des Algériens. Pour exemple, l’artiste Adel Abdessamed, à juste 40 ans, est l’un des peintres les plus chers au monde. Il faut savoir que l’école ne forme pas d’artistes, mais plutôt des techniciens qui manipulent toutes les techniques d’expression. J’affirme que la relève est assurée pour l’art algérien.
Quel jugement portez-vous sur la situation de l’art en Algérie ?
C’est un problème de marché. Il faut aussi donner les moyens aux artistes. Ces derniers n’ont rien actuellement : ni ateliers, ni matériel de travail, ni acquisition… une catégorie d’entre eux se sacrifie pour réaliser des peintures… Chaque jour, on parle de milliards attribués au football, sans aucune production, mais l’art non. On demande qu’à avoir des moyens, dont des lieux de production, de diffusion, notamment les moyens de production. A titre d’exemple, si chaque directeur de culture de wilaya prenait en charge 4 artistes par an en leur donnant 400.000 Da, 500.000 da jusqu’à un million de dinars, en dix ans, 40 artistes seront prise en charge. Vous imaginez le nombre sur 58 wilayas. On aura plus d’artistes, plus d’ œuvres, des catalogues, des traces de leur passage.
Aller vers une production artistique est-il impératif ?
Il faut asseoir une politique de production artistique tout comme le cinéma, le théâtre… l’Etat doit intervenir à travers le financement mais aussi l’implication des daïras, des APC, des entreprises publiques, des ambassades pour exporter l’art algérien. L’artiste est un produit d’exportation culturel, mais aussi financier.
Vos projets en tant que artiste…
Je fais partie du groupe «Essebaghine». J’ai 3 ou 4 projets qui ont été bloqués à cause de la pandémie. J’ai aussi deux évènements (design et art plastique) qui seront présentés au grand public au mois de Novembre. le premier sous l’intitulé «le bois à bois» réalisé grâce au bois de récupération et qui sera présenté à la villa Abdeltif. Le deuxième s’intitule «zouj b’zouj». C’est un projet un peu spécial. C’est un puzzle. Chaque mois je donne une information jusqu’à l’exposition. Ça sera une surprise.
K. A. A.