Éloa est l’un des premiers poèmes publiés d’Alfred de Vigny (1825), une épopée de 778 vers en trois chants. C’est presque trahir la beauté de l’œuvre que de n’en donner que des extraits (lien ci-dessous). Le poème d’Alfred de Vigny, à la mesure et à la dimension de l’œuvre du sculpteur Joseph Michel Pollet, s’expose à Oued Zenati (Algérie). Une sculpture remarquable exposée « au centre-ville », discrètement retirée sur une placette devenue impasse au fil du temps. Abandonnée, l’œuvre est devenue sale et en mauvais état (photo de mai 2010).
Une belle sculpture désertée par ses anges gardiens, encore faut-il qu’elle le reste. Son actualité me réjouit et souligne l’importance de l’œuvre d’art dans notre patrimoine humain. Une œuvre créée par la grâce littéraire et philosophique de l’enthousiasme, de l’amour, de la beauté, de l’humilité, de la peur, de la gêne, du mensonge et du désespoir éternel de l’humanité que le poète visionnaire offre à ses contemporains. « Je ne vois plus dans la chapelle qu’une salle de spectacle d’un village où l’on avait joué une indigne comédie à mes dépens. » Alfred de Vigny, Mémoires inédits.
Naissance et Tradition.
Les larmes furent-elles « d’un impur », elles sont d’essence « naturellement pure », « il pleura. — Larme sainte à l’amitié donnée »… « Et l’Esprit-Saint, en elle, épancha sa puissance »… « Une voix s’entendit qui disait : « Éloa ! »… « Et l’Ange apparaissant répondit : « Me voilà. ». De Vigny affirme : « Mon âme tourmentée se repose sur des Idées revêtues de formes mystiques. »
Éloa, l’ange de compassion, sœur des anges, vit le jour de l’urne de diamant, née des larmes du Christ versées à la mort de son ami Lazare.
Les traditions hindoue, juive, chrétienne et musulmane, jusqu’au livre d’Enoch, ont un point commun illustrant la différence des récits sur les rebellions. Ainsi, la tradition juive tourne autour des anges déchus Grigori mariés avec des femmes humaines et ayant pour progéniture des enfants appelés Nephilim, une tradition rattrapée par le livre d’Hénoch, même si elle est rejetée par la plupart des églises. La chute des anges aurait été provoquée par leur désir de procréer. En revanche, la tradition musulmane affirme que Satan, refusant de s’agenouiller devant l’être humain, fut chassé du paradis pour désobéissance. La tradition chrétienne antithétise Lucifer, « porteur de lumière », en ange déchu aimant Dieu, chargé de protéger et d’aimer la créature d’argile (l’être humain), mais fut banni du paradis à cause de son opposition, devenant ainsi Satan : le « Tentateur », le « Menteur », l’« Adversaire » et le Roi des « Démons ».
Éloa, l’ange de la compassion.
Le jour où les anges s’unirent pour instruire Éloa, elle fut mise en garde contre l’indigne créature, Lucifer : « Éloa, disaient-ils, oh ! Veillez bien sur vous : un Ange peut tomber ; le plus beau de nous tous ; N’était plus ici : pourtant dans sa vertu première ; on le nommait celui qui porte la lumière »… Continuant « Mais on dit qu’à présent, il est sans diadème ; qu’il gémit, qu’il est seul, que personne ne l’aime ». Assimilé par la tradition chrétienne à Satan, Lucifer, l’ange sans diadème, est présenté dans le Livre d’Hénoch comme un puissant archange déchu à l’origine des temps pour avoir défié Dieu et avoir entraîné les autres anges rebelles dans sa chute (dans la tradition musulmane, Satan ou Ibliss est un Djinn).
Éloa, ange de compassion, est séduite par Lucifer qui l’attire par ses propres larmes : « Je t’aime et je descends. Mais que diront les cieux / (…) / deux fois encore levant sa paupière infidèle, / Promenant des regards encore irrésolus, / Elle chercha ses cieux qu’elle ne voyait plus. / (…) J’ai cru t’avoir sauvée – Non, c’est moi qui t’entraîne ». Tous deux fuient le ciel, la puissante œuvre de Joseph Michel Pollet affiche romantisme et élégance, le corps contorsionné d’Éloa à la limite de la soumission est porté par les genoux de Lucifer, dans l’attitude de l’humble croyante, la tête détournée de son amant et regardant vers le ciel.
Le moment est scénique, Éloa dans les bras de son bien-aimé, abandonne toute attache au ciel. L’émotion est accentuée par l’opposition des deux visages : celui de l’ange déchu, résolu et chargé, tourné vers le bas et les cheveux au vent montrant que le couple tombe déjà, tandis que le visage d’Éloa est tendu vers le ciel ; il semble que tout espoir soit perdu au retour d’Éloa vers les cieux, Lucifer enveloppant l’ange de la compassion, l’agrippant de ses deux mains et l’entourant de son aile, l’entraînant vers les ténèbres.
« Une impression de calme se dégage du rendu idéalisé de ces corps sveltes et gracieux et de ces visages juvéniles. Il s’en dégage un parfum d’éternité qui inciterait à avoir lu qu’une simple scène tirée d’un poème. ».
Ouamer-Ali Tarik
Alfred de Vigny — Poèmes antiques et modernes
Le poème : Éloa, ou la sœur des Anges
http://fr.wikisource.org/wiki/Éloa_-_Chant_I (naissance)
http://fr.wikisource.org/wiki/Éloa_-_Chant_II (séduction)
http://fr.wikisource.org/wiki/Éloa_-_Chant_III (chute)
Vidéo : Eloa sœur des anges, sculpture de Pollet en bronze, exposée au musée des beaux arts de Rouen, France