Le titre mis ici en exergue renvoie au texte “À la Biennale de Venise, le Pavillon algérien prend l’eau et la poudre d’escampette”, à une contribution rapportant le 02 avril dernier l’annulation de la participation de l’Algérie à une 58ème édition prévue du 11 mai au 24 novembre 2019.
Prétextant son approximation, le ministère de la Culture bottait en touche, envisageait de différer à 2021 le rendez-vous de manière à assurer de « (…) meilleures conditions ». Le caractère préventif dissimulait en vérité la cause réelle du retrait soudain et unilatéral d’un projet pourtant entériné le 05 février 2019. La raison liminaire tenait en effet surtout à la lettre ouverte relayée le 21 mars 2019 sur les réseaux sociaux. Les signataires de la pétition se plaignaient des élus choisis, d’un favoritisme qui « (…) exacerbe une fois de plus la violence faite à la communauté artistique algérienne (…), le népotisme, le clientélisme, la censure, l’abus de pouvoir, l’absence de transparence, d’éthique et d’imputabilité ». Paraphé par plus de cent protagonistes (nationaux, binationaux ou exilés), le plaidoyer s’inscrivait dans la contestation générale née dès le 16 février 2019 en Algérie, s’associait de la sorte aux défilés « (…) pacifiques contre le système politique en place ainsi qu’à ses revendications justes pour un changement démocratique » et piétinait au passage l’action de Hellal-Mahmoud Zoubir. İndéniablement à l’origine du revirement ou rejet, le texte-manifeste contrariera la planification d’un récipiendaire des fameux “rapports d’habilitation” accordés du côté du Département du renseignement et de la sécurité (DRS). Annexe du Haut commandement militaire, cette police politique jette son œil-loupe sur une population surveillée de toute part, habilite des “choofs” à rapporter tel ou tel fait et geste, à dire ce qui se trame au sein des diverses scènes intérieures, à fortiori celle des créateurs et auteurs. L’agent de service Zoubir profitera d’une large liberté de manœuvre pour se positionner professionnellement et socialement au sein du paysage culturel, investir toutes les opportunités offertes, au point de proroger cinq fois (le seul dans ce cas) son poste à la tête de la section “arts-plastiques” du Conseil national des Arts et des Lettres (CNAL). Là, il côtoiera l’ancien président Abdelkader Bendamèche désormais « Officiellement nommé directeur de l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel », selon le journal Le Reporters du 06 juin 2019. Or, à notre connaissance, cette décision du 20 mars 2019, que prendra subrepticement Azzedine Mihoubi juste avant de quitter le ministère de la Culture, avait été abrogée par Noureddine Bedoui. Le chef de l’Exécutif sursoira à toute proposition de fonction appuyée (souvent amicalement) au moment de l’arrêt du Gouvernement d’Ahmed Ouyahia. Le promu ne devrait donc en principe pas chapeauter ledit organisme, aucune ordonnance du Journal officiel (JO) confirmant à ce jour sa nomination. Le parachutage explique partiellement pourquoi et comment le responsable du pavillon-étendard algérien navigue encore, malgré les déboires évoqués, du côté des canaux de la célèbre cité touristique, bénéficie d’une rallonge pécuniaire, voire peut être de subsides et billets d’avion supplémentaires qu’accorde souvent généreusement l’AARC.
En retrait, l’État algérien n’est plus l’argentier de la manifestation même si, de l’avis des nombreux détracteurs, une conséquente subvention avait été avancée en amont. L’exdirecteur des études de l’École nationale des Beaux-Arts d’Alger affirme quant à lui avoir trouvé le reste de l’argent nécessaire au budget global, ce que confirmera l’invité Hamza Bounoua en soulignant qu’avec « (…) l’aide de quelques amis (…) le groupe a pris vite l’initiative de lever des fonds afin de dresser notre drapeau algérien. » (H. Bounoua, in L’Expression, 02 juin. 2019).
La conclusion cocardière de la phrase laisse penser que les convoqués de l’événement jouent aussi le rôle d’ambassadeur, celui d’une contrée pourtant donc démissionnaire. L’habit d’émissaire pose la question de l’incarnation symbolique de chacun des nominés. Activent-ils individuellement dans le souci d’arborer une production répondant plus ou moins aux desseins prescrits ou bien en tant que porte-drapeaux d’une corporation et, par extension, d’une nation ?
İnterrogé sur le renoncement du ministère de la Culture, le peintre-calligraphe se plaindra d’une attitude irrespectueuse, malgré l’agencement « (…) d’un pavillon spécial qui représentait vraiment déjà l’Algérie (…), témoignait de tous nos efforts pour l’amour de l’art algérien », une réaction attristée faisant de nouveau transparaître la mission patriotique et diplomatique. En reliant également son implication au « (…) désir de changement pacifique (…) que vit actuellement l’Algérie » (İbidem), Hamza Bounoua la comparait à “Un Hirak artistique”. C’était d’ailleurs l’intitulé du périodique L’Expression dont la chroniqueuse mentionnait le 15 mai 2019 que « Contre vents et marées (…), l’Algérie est parvenue enfin à exposer à la biennale de Venise », une remarque laissant entendre que l’administration algérienne restait partie prenante et que le quatuor distingué intégrait le programme officiel.
Retenus en conformité à l’expression “May you live in interesting times” (“Puissiez-vous vivre une époque intéressante”), Amina Zoubir, Oussama Tabti, Rachida Azdaou et Hamza Bounoua sont censés répondre à l’énoncé introductif de l’Anglais Ralph Rugoff (le commissaire général de la Biennale) par le biais du slogan “Time to shine bright” (“Le temps brille fort” ou “Le temps brille loin”). Évoquant l’épanouissement de plasticiens « (…) qui apportent de la lueur pour nous faire scintiller dans l’obscurité du vide existentiel », la maxime ponctue l’énoncé adressé le 05 juin au webzine Lematindalgerie dans le but de dévoiler les objectifs de la monstration en cours.
L’embêtant est que Hellal-Mahmoud Zoubir y parle toujours de “Pavillon algérien” alors qu’il s’agit dorénavant d’une aventure “indépendante” et susceptible de « (…) donner un nouvel élan qui nous a tant manqué ». Jugés avant-gardistes et capables de « (…) résister face au choc, à la déformation (ou) aux inerties », les individus sélectionnés sont en quelque sorte les lumières de l’épanouissement, le même sans doute qu’envisagent de concrétiser les millions de marcheurs debout chaque vendredi sur le pont des insoumissions ambiantes.
À ce sujet, la chercheuse Farida Souiah (docteure en sciences politiques à AixMarseille Université) évoquera une « (…) dimension carnavalesque qui est en elle-même une expression artistique. C’est de l’art protestataire (…) İl y a toute une série de chants, écrits, graphisme, etc. – qui accompagnent le mouvement en plus de la mobilisation des artistes (de métier). Tout cela va avoir une profonde résonance sur la création » (F. Souiah, in Le Monde, 07 juin. 2019), contribuera également à « (…) l’instauration d’une vraie stratégie de relance culturelle ».
C’est du moins ce que souhaite Hamza Bounoua, lequel a su provoquer un dialogue transversal avec d’autres univers du marché de l’art et offrir à l’appréciation des visiteurs italiens ou étrangers des œuvres singulières. Le promoteur de cette confrontation iconographique sortira le fanion algérien de l’enlisement afin de faire plonger dans le Grand bain trois autres candidats à la notoriété, postulants cependant devenus, sous couvert de connotations nationalistes, les envoyés spéciaux ou plénipotentiaires d’une contrée ne possédant pas d’espace permanent à Venise. En décalage avec la scène mondiale, des performeurs locaux tentent néanmoins de se hisser à la hauteur du pôle attractif mais n’arrivent pas à engranger de la reconnaissance, en partie à cause du manque d’acheteurs ou collectionneurs et de l’absence de critiques d’art charismatiques en mesure de scénariser leurs interlocutions esthétiques.
Prétendant agir au nom de la communauté artistique et se préoccuper de son essor à l’international, Hellal-Mahmoud Zoubir joue lui-même sur la corde sensible pour orchestrer la fibre drapeautique et la fonction de libre arbitre, profiter d’un environnement favorable et de la complaisante désignation d’Abdelkader Bendamèche. Significative, la curieuse mutation d’un homme de soixante dix ans prouve que rien n’a changé en Algérie, que le vieux mode de cooptation manigancé en “État-profond” perdure malgré une rébellion collégiale supposée tout remettre à plat, enregistrer les actes de contrition d’entremetteurs à mille lieues de saisir les enjeux que requiers la complète refonte des institutions pédagogiques et culturelles. Superfétatoires, les éloges emblématico-militantes ne suffiront pas à pallier la béance distale d’un champ artistique endogène à sauver du naufrage vénitien en l’amarrant ultérieurement au bon port d’attache, celui où les émergents réussiront à capitaliser les valeurs suréminentes de leur modernité.
Saâdi-Leray Farid. Sociologue de l’art
Document PDF : https://www.founoune.com/document/Bifaces.pdf
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