« Il faut tout garder il ne faut rien jeter pour retarder la mort » J.C Averty
Fait incontestable, il y a tant d’objets sur notre planète qu’une vie ne réussirait pas à les répertorier tous. Aussitôt produits, aussitôt achetés, consommés, échangés ou collectionnés. Nous vivons dans un univers d’objets et chacun le parcourt à sa manière, selon des usages et des coutumes différents. Nous nous entourons d’objets par besoins, qu’ils soient utilitaires, affectifs, intellectuels, religieux… et ceux que nous choisissons portent une marque, celle de notre identité. Ne nous attardons pas à la nature de ces objets mais à un système qui nous lie à eux, la collection.
Ma motivation face à cette activité a été d’éclaircir certains comportements humains qui s’y rattachent. C’est pourquoi je vous propose de l’aborder. Le sujet est si vaste et si complexe qu’il vaut mieux ne pas se perdre de vue.
Le comportement des collectionneurs a fait l’objet de réflexions et d’études chez les philosophes, les psychologues et les médecins. Ceux-ci distinguent la collectionnomanie, qui n’est autre que la manie du collectionneur, et le collectionnisme, qui est le besoin pathologique de rassembler des objets hétéroclites et inutiles, caractéristique de certaines formes de névrose obsessionnelle. Quelques études ont exploré le comportement du collectionneur du point de vue marketing et plus spécialement autant que comportement d’un consommateur très particulier. La passion du collectionneur présente des degrés plus ou moins fort, allant de l’engouement passager lié à une mode, au syndrome appelé “collectionnisme” qui rend le sujet lui même malheureux, face à une passion qui le dévore.
Avant de présenter une introduction au sujet, essayons de trouver une représentation commune au mot « collectionneur » : Dans le Larousse, le collectionneur est une personne qui se plaît à collectionner, qui fait une ou des collections. Avec l’origine même du mot, nous avons ce qui correspond à une définition possible : Le vieux français nous dit que collectionner c’est réunir. Et nous dirons alors qu’une collection c’est une réunion d’objets sur un même thème. Une telle définition nous conduisant donc à parler de collections pour une passion typique : La recherche de la perfection pour un objet particulier.
Au sens ou non seulement le collectionneur c’est celui qui regroupe ce qui était dispersé (une collection étant composé d’objets liés par un point commun), mais surtout que le but c’est qu’un jour, de cette dispersion, il n’en soit plus question : Réunion finale, collection fini. Nous pouvons donc dire du collectionneur qu’il se fait fort de grouper l’ingroupable, de créer un ordre (limité) à l’univers qui l’entoure
LE STATUT DE L’OBJET
Quelque chose manque, quelque chose fait défaut à l’être humain, ce manque c’est celui qui alimente les activités humaines, sans manque pas de désir, c’est parce qu’il y a du vide (à combler) que l’homme cherche la richesse, la célébrité, l’acquisition d’objets, de savoir, de partenaires etc. L’éventail des objets comblants est infini, chacun orientant ses recherches en fonction de sa personnalité, (c’est à dire de l’addition entre son histoire personnelle et le monde il évolue).
Le sujet humain investit des objets divers, avec pour espoir que ces objets là le comble, c’est à dire qu’ils lui permettraient enfin de n’avoir plus de manques, fantasme auquel il s’accroche tout en se doutant bien du fait qu’il n’est pas réalisable pour la simple raison que ce qui manque à l’homme est incomblable.
C’est sur cette caractéristique que repose notre société de consommation, la publicité sacralisant les choses exposées comme étant, non pas la clef d’un paradis Chrétien (qu’elles ont remplacé dans le plaisir tout de suite, a crédit), mais le paradis même. Idéal dont peu de personnes ne déclarent être dupes mais qui continuera d’agir au delà des discours, de façon réflexe, bref inconsciente.
Il y a l’objet et il y a le manque, de ce manque propre à l’homme naît la demande, demande que ce manque soit comblé, l’objet prend place comme bouchon, mais parce que justement ce qui manque à l’humain est au delà des choses, jamais ces choses ne sont pleinement satisfaisantes, au sens ou si elles l’étaient, l’homme cesserait sa recherche perpétuelle d’autres choses, d’autres objets que ceux animant nos contemporains dans les centres commerciaux le dimanche et les autres jours.
De ceci le collectionneur ne s’écarte pas vraiment, lui aussi donne a l’objet une valeur qui dépasse la valeur de l’objet, il suffit de fréquenter quelques collectionneurs pour constater le faible intérêt que suscite en nous ces stocks qui pour eux sont des trésors, noeud de leur passion. Il pourrait d’ailleurs sembler à première vue que ce noyau (le stock) est le moteur de l’activité frénétique du collectionneur : Ne nous y trompons pas ! Ce qui épuise le collectionneur ce n’est pas ce qu’il possède déjà mais plutôt ce qu’il rêve de posséder, mais alors que le quidam consommateur navigue d’un achat à l’autre espérant sans trop y croire que sa frénésie trouvera dans cette diversité le bouchon qui lui faisait défaut, le collectionneur lui, ne cesse de le dire, il sait précisément ce qu’il lui manque !, les listes (toujours renouvelées) d’objets recherchés, diffusées dans le monde entier l’attestent : Le collectionneur ne semble avoir aucun doute quand à l’objet de son désir.
L’OBJET COMME SYMBOLE
Dire qu’il y a toujours un écart entre le manque et la demande signifie que ce qui manque à l’homme n’est jamais comblé parce que ce qu’il demande et obtient, l’objet acquit, n’est jamais le bon et le désir se poursuit donc, inlassablement. Si l’objet demandé n’est pas vraiment ce qui manque, on peut dire qu’il prend alors place de “bouche trou”, c’est à dire qu’il n’est qu’une métaphore, symbolisant le Manque. L’acquisition de voitures puissantes par nos contemporains, dépassant les vitesses autorisées, est bien l’exemple de cet autre chose que peut représenter pour l’acquéreur, un gros bolide. Là où réside le symbole, le langage n’est pas loin, si je vous demande de penser à un “arbre”, le mot évoquera un membre de l’espèce végétale mais chacun imaginera son arbre. Il en est de même pour l’objet collectionné, il s’inscrit comme un symbole parce qu’il représente toujours autre chose, insaisissable. Ce qui anime ce collectionneur de timbres, ce n’est pas ces rectangles de papiers dentés à 2,5 DH, mais quelque chose d’un au delà, qui a autant à faire avec l’environnement social qu’a l’histoire du sujet.
COMPORTEMENT DU CONSOMMATEUR COLLECTIONNEUR
Les collectionneurs sont véritablement des acheteurs et consommateurs très particuliers. Ils sont obsédés par la découverte et l’acquisition d’objets nouveaux, et ne peuvent eux-même expliqués ce besoin fondamental, comparable à la faim, qui peut être assouvi mais jamais gommé. Leur comportement et la nature de leur passion sont souvent caractérisés par l’alternance de phase d’euphorie, d’allégresse et de phase de tension, de détresse, de doute, de culpabilité. Cette passion est capable d’emmener certains vers la dévastation de leur vie entière : profession, famille, obligations et responsabilités sociales…
Une collection est le choix, la réunion et la conservation d’objets qui ont une valeur subjective. Le collectionneur, comme le croyant, attribue un pouvoir et une valeur aux objets parce que leur présence et leur possession ont une fonction réparatrice, palliative, protectrice face à l’anxiété et l’incertitude.
Selon l’enquête sur « Les Pratiques Culturelles des Français » sortie en 1990, 23% des habitants de l’hexagone de plus de 15 ans déclarent réaliser une collection, dont environ la moitié s’en occupe au moins une fois par mois. Les collectionneurs français ont principalement entre 15 et 19 ans (41% d’entre eux) même si cette pratique est de moins en moins caractéristique du monde des jeunes (14% des plus de 60 ans en 1989, 7% en 1973). Elle est dominée par les hommes aux CSP1(*) les plus élevées, habitant dans les grandes villes.
Que collectionne t’on ? De tout. Des timbres principalement (8% des Français), suivis des cartes postales, des pièces et médailles. On note cependant que l’activité de collectionner s’est, au cours de ces dernières années, diversifiée en s’appliquant à de nouveaux domaines ou objets.
L’accumulation d’objets hétéroclites peut aussi être vue comme une manière de rejeter la société de consommation. Les amasseurs compulsifs luttent inconsciemment contre l’idée qui veut qu’une fois utilisé, passé de mode, un objet soit jeté. La rétention est anormale dans une société où les objets ne sont pas conçus pour être gardés et les relations à ces objets doivent rester indifférentes.
Le profil du collectionneur
Caractéristiques du collectionneur
Le collectionneur et sa trajectoire de vie : Pourquoi collectionne t’on ? Quelles sont les forces qui incitent un individu à devenir collectionneur ?
Selon Muensterberger, la collection, quête perpétuelle d’objets nouveaux provient « d’un souvenir sensoriel – qui n’est pas immédiatement identifié – de privation, de perte ou de vulnérabilité, et d’un désir consécutif de substitution, étroitement associé à la morosité et à des tendances dépressives ».
Toujours selon Muensterberger, à la naissance, le bébé ne fait pas la distinction entre lui et sa mère et vit avec elle un état fusionnel. Un jour il s’aperçoit qu’elle peut s’absenter. Un véritable traumatisme. Pris d’angoisse et de peur, il tend les mains, saisis un objet et le garde près de lui. C’est « l’objet transitionnel ». Cet objet -poupée de chiffon, hochet, carré de tissu, etc – est le prolongement de l’enfant à l’extérieur. Le collectionneur retrouverait dans chacune de ses acquisitions, le pouvoir de l’objet transitionnel. En effet l’observation des enfants nous apprend que les tout petits cherchent des solutions pour faire face à l’appréhension, la vulnérabilité, la solitude, l’anxiété. Ils prennent souvent un objet tangible : une tétine, un pouce, une peluche, un doudou … pour trouver une consolation qui ne leur est pas prodiguée. L’enfant s’agrippe à l’objet qui devient une protection magique, une sécurité imaginaire et lui apporte un réconfort instantané face à sa peur de la solitude.
Les choses, objets prennent alors une dimension importante et Muensterberger affirme que « l’affection se reporte sur des choses qui, aux yeux de celui qui les regarde, finissent par avoir une âme, ainsi que les amulettes et les fétiches dans les sociétés primitives, ou les saintes reliques pour les dévots ». Ce phénomène qui consiste a donné une « âme » à un objet est appelé « animisme » chez les anthropologues, « attachement » chez les psychologues. Le fait de prendre, d’agripper et plus tard les tendances à l’accumulation, caractéristiques très présentes chez les collectionneurs, viennent souvent de la phase d’individuation mal vécue. L’absence, physique ou non, des parents et surtout de la mère engendre un sentiment de manque, de frustration qui restera à tout jamais et aura des conséquences graves sur la prise de conscience de soi.
Dans toutes les sociétés et dans toutes les époques, le phénomène de collectionner est présent. Tout enfant doit en effet, tôt ou tard, faire face au dilemme de la substitution (de la mère) Mais dans l’idéal, c’est seulement une étape transitoire.
Le psychologue Henri Codet a consacré une thèse au comportement du collectionneur. Il recense quatre caractéristiques psychologiques du collectionneur : – Le désir de possession, – Le besoin d’activité spontanée, – L’entraînement à se surpasser, – La tendance à classer. « On retrouve chez l’enfant tous ces traits spécifiques, dit-il. C’est peut-être leur survivance à l’âge adulte qui fait le collectionneur ». C’est entre 7 et 12 ans qu’apparaissent les premiers désirs de collection. Ils correspondent au besoin de rationaliser et de classer les éléments du monde extérieur pour en prendre intellectuellement possession. C’est aussi le premier moyen de se mesurer au monde des adultes. En principe, à la puberté, ces tendances disparaissent. Mais si elles continuent de se manifester à l’âge adulte, c’est avec un élément supplémentaire : la passion. D’où la véritable « collectionnite ».
Le collectionneur s’identifie à sa collection : La collection est forcément un reflet de la personnalité, des goûts, des aspirations … Même si certains collectionneurs n’ont pas besoin de modèles, la majorité est influencée par les modes, les tendances du moment ou l’opinion de leur entourage. Muensterberger affirme que « les goûts, les choix, le style sont obligatoirement influencés, souvent de manière inconsciente, par le Zeitgeiste, l’esprit et le climat socioculturel d’une époque ». Le choix de collectionner un jouet, par exemple, est étroitement lié aux souvenirs d’enfance. Les goûts peuvent se déplacer, les intérêts et les buts se modifier. Les collectionneurs qui ne se cantonnent pas à un seul domaine montrent un état d’esprit moins rigide et « monomaniaque »
La collection comme l’expression de la valeur de soi, de l’unicité par comparaison sociale à d’autres collectionneurs : Les frustrations liées à la petite enfance sont souvent responsables d’une mauvaise relation avec le monde extérieur et conduisent à chercher plus de réconfort dans les objets que dans les êtres. Le fait de collectionner est une entreprise très personnelle et souvent solitaire. La possession est le lien le plus intime qu’un individu puisse avoir avec les objets. Ils ne prennent pas vie en lui, c’est lui qui vit en eux.
On peut faire l’hypothèse que même si les collectionneurs aiment s’entourer de personnes partageant leur passion, il ne noue pas de véritables relations. Ce ne reste que des « contacts ». Ils sont cependant très important car peuvent être des intermédiaires pour les prochaines acquisitions et sont les rares auprès desquels le collectionneur peut se mettre en valeur, en scène.
Les collectionneurs aiment à parader et à étaler leurs possessions. Ils utilisent ces objets pour recevoir les félicitations du monde extérieur. Etre reconnu et considérer renforce la foi qu’un individu a dans ses qualités personnelles et peut rehausser l’image qu’il a de lui-même. L’objet est ainsi une représentation de lui-même. La jalousie joue un grand rôle dans cette quête effrénée de triomphe personnel. Le collectionneur s’acharne à vouloir éclipser tout rival. Comme tous les collectionneurs, il craint de découvrir chez d’autres, des objets plus intéressants ou nombreux et de voir son sentiment d’infériorité resurgir. Il fait alors fonctionner, inconsciemment mais parfois consciemment, sa mémoire sélective.
Les compétences du collectionneur
Une vigilance permanente
L’attention du collectionneur semble toujours en alerte. Il emploie toutes les ressources possibles pour obtenir des informations. L’exemple nous vient de Freud qui pendant trente ans, tous les mercredis, a fait le tour des marchands d’antiquités pour compléter sa collection qui, disait-il, lui procurait un très grand délassement. Il possédait quelque 2 000 objets issus de diverses civilisations méditerranéennes disparues (égyptiens en grande majorité, grecs, étrusques, romains) et quelques vieilleries chinoises à l’authenticité douteuse, dont une figurine trapue « qui avait l’honneur de figurer seule sur la partie droite de son bureau et que Freud saluait tous les matins ».
Acquisition des connaissances
Déjà à l’époque des Romains, les collectionneurs avaient leurs sources d’informations secrètes, des espions et des agents qui repéraient le butin.
Le collectionneur doit également acquérir des connaissances liées à l’achat lors de brocantes ou chez un antiquaire ou autres marchands d’art. la majorité affirme adopter un comportement normal face à un objet désiré pour ne pas provoqué chez le marchand une réaction en haussant le prix. Alors que chez d’autres collectionneurs une pulsion irrépressible et un appétit insatiable d’acquisition régissent la relation avec le marchand.
La Mémorisation : Un collectionneur doit forcément avoir une excellente mémoire à court et long terme pour se souvenir des caractéristiques de chacun de ses objets, de ses contacts … Beaucoup de collectionneurs possèdent des catalogue où tout est référencé.
Le comportement d’achat du collectionneur
Délibération et décision
Bases motivationnelles de la délibération : Toute activité implique les notions de motivation, buts et moyens, besoins et mobiles. Tous les collectionneurs ont du mal à exposer leur but conscient.
Besoin en informations : Le collectionneur a besoin comme calmant de connaître à l’avance ce qui va sortir sur le marché. Il reproche au système commercial (surtout chez les grandes surfaces) de n’être jamais au courant des prochaines arrivées. L’avantage des magasins spécialisés est qu’ils leurs fournissent à l’avance un catalogue publicitaire des prochains arrivages. Le collectionneur se fabrique une image mentale, à partir des photos, de ce qu’il va voir et peut-être acheter. Tous se « délectent » à anticiper ce qu’ils vont acquérir.
Besoin d’achat : le désir et l’excitation intérieur doivent-ils l’emporter ou bien faut-il renoncer à un objet au nom du bon sens ? Le grand dilemme entre la passion et la raison est bien présent. Le collectionneur essaie souvent de remettre à d’autres la responsabilité de la prise de décision, ce qui l’empêche de se sentir coupable.
Achat, consommation et satisfaction du collectionneur
Muensterberger explique que « le besoin fondamental de refaire le plein, pour se sentir bien, est temporairement suspendu à une trouvaille ou une acquisition nouvelles. L’euphorie provoquée par un achat heureux se dissipe obligatoirement tôt ou tard. Une fois que l’objet a été incorporé à la collection et que la sensation affective initiale, la joie, la fierté, la nouveauté se sont émoussées, le souvenir inconscient de désirs anciens refait surface, selon le processus mental du retour du refoulé. La réalité est sans cesse mise à l’épreuve, et le sujet retrouve son impatience caractéristique jusqu’à ce qu’il découvre un nouvel objet »
L’achat
– Récit d’acquisition : Le récit de la recherche et de l’acquisition, chez tous les collectionneurs, fait penser à une histoire d’aventures, à un roman d’amour et de magie. Ils revivent instantanément le moment passé.
– Achat compulsif : Il montre une sorte d’obstination qui semble se cacher derrière une préoccupation compulsive qui, comme toute action compulsive, est façonnée par des pulsions irrationnelles. Etant donné que c’est une victoire sur l’angoisse et la peur de la perte, c’est une nécessité que l’expérience de recherche, d’acquisition se renouvelle sans cesse. Les périodes où il achète moins, il se dit être « calmé » mais seulement calmé car il existe une caractéristique commune à tous les collectionneurs : l’absence de point de saturation.
– Lieu, type de commerce : Un collectionneur « fait » les brocantes, les bourses aux collections, les collect shops. Il achète également des objets de moindre valeur dans les supermarchés quand il ne trouve rien ailleurs et qu’il est en manque. Il utilise Internet, les moteurs de recherche et les sites de ventes aux enchères (iBazar, e-Bay) . Il fait du troc avec ses contacts. Ils achètent, revendent, échangent des objets mais entre collections différentes. Il se déplace, voyage, il existe même des voyages collectionneur organisés.
– Relation avec les vendeurs : Le commerçant est un fournisseur d’objets magiques. La relation entre le collectionneur et le marchand est différente du rapport habituel entre client et vendeur.
C’est un atout considérable pour le commerçant, dont le rôle est proche de celui d’un médecin, d’un prêtre ou d’un chaman. Chaque collectionneur a le sentiment d’avoir été choisi, d’être le client préféré.
– Critères de choix des objets
La quantité : La quantité semble avoir une forte importance pour le collectionneur. Il indique principalement le volume que représente sa collection. La quantité a souvent une fonction défensive. On peut comparer cela aux provisions de nourriture qu’une personne pourrait faire pour se prémunir face à une guerre, famine. De plus, les collectionneurs ont coutume de se livrer à des surestimations. On voit très vite qu’il n’a pas de notions de grandeur, de taille.
La qualité : La rareté, l’ancienneté et la provenance semblent être les 3 facteurs de la qualité d’une pièce. La rareté, l’importance de l’objet se rattachent davantage à une représentation narcissique La rareté des pièces augmente la valeur des objets. Aussi, les collectionneurs ne choisissent pas tous de collectionner des pièces rares. Ces derniers doivent avoir besoin de se soulager plus fréquemment. Ils choisiront alors une collection de timbres, d’ours en peluche, de cartes téléphoniques plutôt qu’une collection de météorites, de meubles Louis-Philippe. La rareté tend à augmenter la valeur d’un objet, on s’attend alors à ce que les collectionneurs recherchent des pièces difficiles à trouver. Et pourtant, c’est presque le contraire qui se produit. Il est prouvé que certains collectionneurs ont tendance à se désintéresser de certaines catégories d’objets quand l’offre diminue. Il est donc capital qu’il y ait un apport plus ou moins régulier. Cet apport doit être considérer comme un remède magique.
La provenance : Même si la qualité a une forte importance, pour mieux se soigner, le collectionneur recherche aussi la diversité ( allant jusqu’à acheter parfois, des imitations japonaises ou chinoises) et la quantité.
La consommation
Dans son fondement même, la passion du collectionneur repose sur un paradoxe étonnant : La folle consommation du collectionneur, à laquelle il semble prendre grand plaisir, n’a, à priori, d’autre but que l’achèvement de la collection, c’est à dire la fin de cette course consumériste !
Ce n’est pas tant sur les objets qu’il possède que le collectionneur s’agite, mais sur ceux qu’il n’a pas et rêve d’acquérir, on dit alors du collectionneur qu’il navigue sur le flot de l’insatisfaction sans jamais pouvoir se reposer sur la berge de l’assouvissement. A partir du moment ou, comme je l’ai démontré, une collection c’est avant tout un fatras d’objets recouvert des projections imaginaires du possesseur, ce n’est pas tant que les collections sont achetables ou pas, mais plutôt que le propre du collectionneur passionné, hé bien, c’est que sa passion à lui, est incomblable. Décréter sa collection terminée relève souvent plus de la lassitude que d’un but atteint.
Lorsque Alain Delon liquide sa série de tableaux aux enchères, annonçant sa collection finie, on peut être surpris de sa décision, pourquoi en effet, vend il ce qu’il a eut tant de mal à cumuler ? La réponse vient immédiatement par voie de presse : Alain Delon liquide ses tableaux pour entamer une collection… De statuettes. Le cas d’Alain Delon n’est pas rare, chacun d’entre nous a probablement déjà entendu parler de ces abandons aux enchères d’une collection complète, justement peut être, parce qu’elle était achevée. Il y a dans ce type d’exemple, le signe que la démarche, la recherche des objets à collectionner, semble plus importante que les objets eux mêmes ; mais ne peut on pas y voir aussi une forme de déception ? Déception entre l’image que le collectionneur se faisait de son trésor lorsqu’il serait complet et le spectacle concret de sa collection finie. Un peu comme si le Nirvana tant attendu, ne se révélait, une fois le puzzle complété, qu’une illusion face à des objets enfin réintégré à leur juste place de chose.
La consommation dans vue d’un autre coté se matérialise dans l’exposition et l’emplacement. La collection est généralement exposée de façon à ce qu’elle soit mise en valeur. Cependant on distingue entre les « collectionneurs placard » des « collectionneurs vitrine » : les premiers, introvertis et méfiants, ne montrent jamais leur collection ; les seconds, extravertis et parfois exhibitionnistes, ne parlent que d’elle. La consommation de sa collection est essentiellement vécue comme une expérience visuelle.
Le collectionneur : Un consommateur maniaque
D’après Muensterberger, « l’obsession de la perfection peut être liée à des peurs irrationnelles ou être la manifestation de défenses destructrices, ou encore servir à amortir la peur inconsciente d’être soi-même imparfait ».
Ceci se voit très nettement chez la majorité des collectionneur dans leur façon de consommer.
La satisfaction : Un collectionneur interviewé par Muensterberger résume très bien cette sensation de satisfaction : « L’enchantement le plus profond pour le collectionneur est d’enfermer des objets à l’intérieur d’un cercle magique dans lequel ils sont immobilisés tandis que le frisson ultime, le frisson de l’acquisition, passe sur eux.[…] Il suffit de regarder un collectionneur disposer des objets dans une vitrine. Au moment où il les tient dans ses mains, on dirait qu’il voit à travers eux, dans leur lointain passé, comme s’il était inspiré ».
Muensterberger avoue n’avoir jamais rencontré de collectionneur qui, consciemment ou non, ne ressente une certaine culpabilité à cause de ses « frivolités », une fois l’acte passé.
Une éternelle insatisfaction
Le collectionneur est un éternel insatisfait, c’est un projet d’accumulation sans fin.
C’est une caractéristique principale de certains collectionneurs : l’absence de point de saturation. Même si leur goût change et si leur intérêt se déplace vers d’autres types d’objets, ils ne s’arrêtent jamais. Mais rien à voir avec ce que les psychanalystes freudiens définissent comme un « trouble obsessionnel compulsif ».
« Nous sommes tous compulsifs ! explique le psychiatre Robert Neuburger. A des degrés divers, bien sûr. C’est pourquoi le «collectionnisme» n’est ni un comportement pathologique ni une maladie. On peut même dire que c’est un traitement en soi ! La preuve en est que bien des collectionneurs sont déprimés lorsqu’ils ont terminé une collection. Mais il leur suffit d’en commencer une nouvelle, et la dépression disparaît… »
CONCLUSION
Tous les adultes, à des degrés différents, cherchent des équivalents à l’amour et à la tendresse qui leur ont manqué dans leur enfance. Ils s’auto-soignent de différentes façons : dans la religion, en se consacrant à ceux qui ont besoin de soins et de protection, dans le jeu, dans l’alcool, la drogue, la boulimie, dans une quête interminable pour trouver une cause ou un objectif à défendre, en pratiquant un sport à outrance, en se livrant à des activités dangereuses… ou en devenant collectionneur.
Selon Muensterberger, « il n’existe pas de collectionneur moyen ». Tous les collectionneurs n’ont pas la même histoire et donc la même passion. Tout les collectionneurs n’ont pas la même fièvre, le même engouement …les mêmes symptômes.
Adil Elkhoutabi
Université Mohamed V – Agdal – Rabat
Faculté des sciences Juridiques, Economiques et Sociales
Ecole Doctorale de Gestion – Marketing et stratégie
Mémoire online – Mai 2006
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Bibliographie
– Cogneau, Donnat (1990), Les pratiques culturelles des Français – 1973-1989, Ministère de la Culture et de la Communication, La Découverte/La documentation française
– Filser Marc, Le comportement du consommateur, Dalloz
– Olivier Coron, les collectionneurs, approche psychanalytique
– Ladwein (2000), Le comportement du consommateur et de l’acheteur, Economica
– Muenstenberger (1996), Le colliectionneur : Anatomie d’une passion, Payot
– Gwénaelle Vandeville, le collectionneur : un acheteur frustré, passioné, maniaque, insatisfait…le cas d’un collectionneur de Spiderman
– Eric Pigani, Les collectionneurs sont-ils névrosés ?, revue psychologie mars 2000
– Encyclopédie d’un collectionneur, une passion, une collection