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“Algérie, l’Archipel des vagues illusios, ressacs démobilisateurs et écueils couperets” par Saâdi-Leray Farid

Partie intégrante de la “Saison Africa 2020” (ajournée à cause de la crise sanitaire),  l’exposition du Fonds régional d’art contemporain (FRAC) d’Orléans (Centre-Val-de-Loire) Alger, archipel des libertés délimite l’aperception historique au Festival panafricain de 1969  et au “Hirak” de 2019. Depuis le 03 juin 2021, elle occupe de la sorte un demi-siècle de  combats rédempteurs vécus au sein d’un continent (l’Afrique) exagérément identifié à  l’unique biotope « en capacité d’écouter le monde (…) », à un « gigantesque parloir »  enregistrant les paroles insolites et dévoilant les secrets enfouis. L’Afrique des imaginaires ancestraux, des fantasmes décodés et des mémoires recouvrées alimente dès lors les  approches réflexives et prospectives de 19 intervenants (majoritairement du genre féminin)  conviés à réfléchir la notion “Archipel”, laquelle désigne un groupe d’îles proches les unes  des autres. İssue d’une poussée volcanique préalable, cette proximité induit que les  photographes, vidéastes, performeurs, plasticiens et dessinateurs entretiennent l’idée de  ligatures entre des éléments disparates, de « pont entre plusieurs périodes révolutionnaires  qu’a connu et connaît jusqu’alors le continent africain ». İl s’agissait bien chez eux d’habiter  ou de traverser une plage calendaire pour investir une mise en ébullition singulière de l’espace  scénographique, démontrer que l’Afrique est secouée de révoltes intrinsèques portées par une  jeunesse disposée, « à l’instar des mouvements indépendantistes et révolutionnaires des  années 1950 », à ce qu’’Alger (re)devienne l’agora des convaincantes conscientisations. 

Seulement, s’enquérir des itinéraires volontaristes dans l’optique d’y puiser des récits  cachés et occultes ou des images personnelles et introspectives, d’extraire « les hurlements et  silences des peuples africains », de saisir ce qui stimule leurs possibles, ne gage pas de la  bonne cohérence discursive et visuelle de ce puzzle reconstitué qu’est en somme la  manifestation Alger, archipel des libertés. Privilégiant des passerelles iconiques et similitudes  grammaticales admises en vertu de « la rencontre des ailleurs » et du “devenir commun”, elle  ajoute un maillon épistémologique à la chaine mentale du Manifeste “Pour la fabrique du  réel” (égalité, liberté, fraternité, féminisme), participe en cela à la révision propédeutique des  cultures « de l’Afrique, des Amériques, des mondes arabes, de l’Asie » en ménageant toutefois  la responsabilité de leaders africains trop souvent encensés ou épargnés (voire à ce sujet les  dessins de la Sénégalaise Caroline Gueye). À nouveau, seule l’ “héritière Europe” semble  devoir supporter le fardeau de l’acculturation, se repentir de l’appropriation d’artefacts ou  totems extirpés des cabinets de curiosités coloniales, s’excuser de « l’échec de  l’Universalisme », particulièrement celui des philosophes des Lumières soutenant que, coagulée à une communauté d’êtres égaux en droits et devoirs, l’existence de chacun se  négocie exclusivement à l’échelle internationale.  

À contrario de cette doxa toujours majoritaire, le cosmopolitisme enraciné et  l’afropolitanisme suggèrent que l’appartenance à une histoire singulière n’est pas  obligatoirement antinomique à l’acceptation de l’universalisme occidental, de ses modes et  modèles, qu’il y a des façons proprement africaines de s’affirmer citoyen planétaire, de penser  localement la diversité des pratiques culturelles, leur similitude et circulation. Respectivement  attribuées au Ghanéen Kwame Anthony Appiah et au Camerounais Achille Mbembe, ces  deux notions, vulgarisées au milieu des années 1990 puis mi-2000 (2005), apostrophent des  particularités et affiliations sectorielles à extrapoler. Défendre les racines immémoriales et  vernaculaires revient d’une part à s’ancrer dans le continuum de peuples spécifiques, et à  dénoncer d’autre part les scléroses de l’identité ethnique.

C’est notamment rejeter le réductionnisme racialiste des “İndigènes de la République” lançant dès janvier 2005 l’ “Appel pour les assises de l’anticolonialisme postcolonial” et  incitant six mois plus tard les déçus du cosmopolitisme des Lumières à gonfler la marche  remémorant le 60° anniversaire des massacres perpétrés le 08 mai 1945 à Sétif  (Constantinois). Exécrant la clôture identitaire, Appiah et Mbembe prônent à l’inverse  l’interlocution entre le local et le global, la « réciprocité entre l’univers du Muntu et le monde », bref les fluidités contrariant la pureté originelle d’une Afrique préservée des habitus  externes, Afrique dont la nomenclature foncière conjecturerait de facto le refus absolu des  figures du multiple et du semblable. Appuyer cette version équivaut à nier ses apports à la  totalité, à entériner les thèses ethnocentristes prétendant que, recroquevillée sur ses primats, elle n’a rien insufflé à l’art moderne, que l’immersion de l’Europe en “Terre-nègre” n’a pas  résonné du côté de peintres en quête de spiritualité et découvrant ou embrassant des valeurs  étrangères à leurs perceptions. Le vieux continent absorbera les traces du plus lointain dans sa  contemporanéité stylistique, siphonage constitutif de la « conscience de l’imbrication de l’ici  et de l’ailleurs, (de) la présence de l’ailleurs dans l’ici et vice-versa », signalera Achille Mbembe, enseignant pour lequel l’afropolitanisme entraîne irrémédiablement une « sensibilité  culturelle, historique, esthétique et politique, une certaine poétique du monde » (A. Mbembe  in “L’afropolitanisme et le cosmopolitisme enraciné, deux manières de penser l’Afrique”,  journal Le Monde, 13 janv. 2019). 

À situer en dehors des entendements de négritude, de nationalisme anticolonial ou de  panafricanisme, les concepts d’afropolitanisme et de cosmopolitisme enraciné inspirent autant  les pérégrinations des créateurs afrodescendants ou arabo-européens que les interrogations  d’Abdelkader Damani. Volontiers afroféministe, le commissaire d’Alger, Archipel des  libertés les emprunte avec la détermination de « Réécrire l’histoire à partir de postures  inclusives prenant en compte la dimension géographique et anthropologique des récits »,  l’envie de convertir sa “Fabrique du réel” en orchestre « des disputations contemporaines».  Recadrant la mobilité des cultures, origines et identités, il équilibre l’imbrication des signes  entre l’Occident et une Afrique dite « espace de l’écoute », sans entendre cependant les  fausses notes de certains plasticiens trop unilatéralistes. Leur grille de lectures stigmatise la  “Vieille Europe” et refuse d’admettre que, « Qu’on le veuille ou non, que cela fasse plaisir ou  pas, l’entrée de l’Algérie dans la modernité s’est faite avec la colonisation » (Mohamed Harbi, in l’hebdomadaire Jeune Afrique, 05 juil. 2012).  

Le consentir, ce n’est nullement conforter l’article 04 (second alinéa) de la loi du 23  février 2005 (votée par le Parlement de l’Hexagone) portant sur les bienfaits de l’ “İntrusion  gauloise”, stipulant que « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle  positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord », mais plutôt approfondir « le dialogue critique et la réflexion partagée » (Nicolas Bancel et Pascal  Blanchard, in “Comment en finir avec la fracture coloniale”, Le Monde, 16 mars. 2005 », réconcilier les mémoires, écrit aujourd’hui Benjamin Stora. 

Axé sur une base ethnico-sociale, le repli communautariste et séparatiste ghettoïse le  débat culturel, privilégie, sous couvert de condescendances, une version minimale zappant la  face “B” de la pièce ou du disque.  

Aussi, désapprouvant le titre glorificateur Alger, archipel des libertés, nous avons opté  en faveur de celui qui, retournant le stigmate de l’illusionnisme, renvoie secondement à l’opus  L’Archipel du goulag 1918-195, livre à partir duquel Alexandre Soljenitsyne révélait en 1973 le système carcéral de l’ex-URSS.

Le dissident soviétique employait alors le terme “Archipel” avec l’intention de décrire  des camps dispatchés (telle donc une pléthore d’îlots) à l’intérieur de la vaste Russie,  d’évoquer l’incarcération arbitraire de milliers de détenus d’opinions reliés les uns aux autres  par la seule cartographie concentrationnaire. Diriger, en ultime écho, le focus sur l’examen  acerbe et réaliste de l’intellectuel russe, c’est de facto rappeler que l’Algérie s’enfonce  irrémédiablement dans l’impasse autoritaire (intitulé du journal Le Monde du 05 juin 2021),  dénoncer a fortiori l’option enjouée et fantasmatique du commissaire principal de ladite  monstration (Alger, archipel des libertés). Prolongeant sa fonction (2021-2024) au sein d’une  institution régionale dorénavant ouverte (depuis 2015) aux temporalités et percussions de  l’Amérique latine, de l’Afrique ou des Mondes arabes, Abdelkader Damani interprète quant à  lui le vocable “Archipel” en tant que constellation de diverses migrations esthétiques ou  intonations plastiques, l’emploie pour faire d’Alger le point d’orgue des tempos africains, la  cité carrefour des utopies postcoloniales. Le curateur algéro-français convoque l’ancienne  “Mecque révolutionnaire” (propos empruntés à Amilcar Cabral) parce qu’elle « incarne à  bien des égards le souvenir des mouvements africains d’émancipation qui ont marqué la  seconde moitié du 20e siècle. Si la ville, et tout le pays, plongèrent dans une période sombre à  partir des années 1990, c’est en tant que puissance subversive qu’elle ressurgit aujourd’hui  sur la scène internationale et renoue avec son passé contestataire : depuis février 2019, Alger  est le théâtre d’une révolte spontanée portée majoritairement par la jeunesse algérienne  descendue en masse dans la rue pour réclamer le changement ». 

Autrefois pôle du tiers-mondisme, du panafricanisme et de l’anti-impérialisme, la  capitale algérienne transmutait le 22 février 2019 en « ville de marcheurs (qui la) reformulent, (y) recréent des codes sociaux, (s’y) battent de manière nouvelle (…), renégocient tout (…) à  cet endroit. C’est juste sublime. C’est très beau. », s’exclamait le concepteur de la première Biennale de Rabat (A. Damani, in L’Expression, 25 sept. 2019). Considérant à ce moment-là  « que tout le monde se doit d’aller vivre cette expérience », de se perdre corps et âme au  milieu du “Peuple-Génie”, il collait à l’événement, se fondait au cœur du flot communautaire,  magnifiait à l’occasion cette mouvance colorée relevant à ses yeux « d’une esthétique sublime  !, (d’)une grande révolution artistique», se perdait en conjecture jusqu’à béatement et  naïvement croire que « (L’) on va certainement régler le problème et aller vers une  démocratie le plus rapidement possible »

Or, soulignait encore le journal Le Monde du 05 juin 2021, «Un nœud coulant étouffe  peu à peu le désir de démocratie des Algériens, à la veille des élections législatives de samedi  12 juin, censées parachever la normalisation institutionnelle du pays. Une répression  massive, disproportionnée, face à un mouvement non violent, a eu raison du Hirak ». Sans  présager de la complète désintégration de ce dernier, notre contrefeu analytique s’applique  avant tout à remettre les pendules à l’heure face à l’auteur d’un texte liminaire renouant avec  la rhétorique lénifiante et pamphlétaire des années de plomb, lesquelles débuteront bien avant  la communément admise “Décennie noire” (1990-2000). Cédant à l’euphorie ambiante et  s’extasiant devant le tableau de manifestants battant hebdomadairement le pavé, l’émotif et enflammé Abdelkader Damani voit maintenant Alger comme le « fond mémoriel de  l’imaginaire et de la prise de conscience des peuples d’Afrique », le phare d’une « révolte  nationale inattendue, qui prend communément le nom de la Révolution du sourire par son  caractère pacifiste ». En acclimatant la Ville au lyrisme superfétatoire des décennies 60 et 70,  à une époque où y campaient des «mouvements révolutionnaires de pays d’Afrique, d’Europe  et d’Amérique. », l’énoncé mirifique la sublime de manière à conjuguer deux chronotopes festifs (Le “Panaf” du 21 juillet 1969 et le “Hirak” du 22 février 2019) à la « volonté  d’émancipation des peuples ».

Ce raccourci enchanteur enjolive la réalité, ignore les données objectives que livreront  très tôt les rédacteurs de Programme de Tripoli (mai-juin 1962), feuille de route initiale  faisant aussi d’Alger-la-Blanche la base méditerranéenne du non-cosmopolitisme culturel.  

Elle circonscrira d’autant plus les renoncements d’une Algérie rétive aux narrations  polysémiques et alternatives modernistes que sur le fleuve tranquille des logomachies  apaisantes Houari Boumediène mènera à bon port le mythe d’une “Mecque révolutionnaire”  garante des damnés de la terre et autres opprimés de l’impérialisme Yankee. Le zaïm au  cigare et burnous conduira ainsi la barque de fidèles apôtres noyés par la propagande d’idolâtres convaincus que dans le pays « (…) de l’autogestion et de la révolution agraire (…)  qui a nationalisé toutes ses richesses naturelles, maîtrisé son commerce extérieur (…), qui  s’industrialise, se cultive et se tient debout aux côtés de tous les peuples en lutte (…) »,  l’Homme nouveau « (…) avançait à pas de géant. ». 

En prologue à son roman L’As, Tahar Ouattar mentionnait aussi que ce “Citoyen de  Beauté” se tenait « (…) aux côtés de tous les partisans de la liberté, de la paix et de la justice  », adhérait sans concession aucune aux régulations quinquennales magnifiant l’ “industrie industrialisante”, les certitudes planificatrices structurant les palliatifs unanimistes que  reprendront en cœur de suppléants prédicateurs radicaux.  

Rétifs au relativisme anthropologique et brassages artistiques, déconnectés du pré monde de l’immanence et accordés à l’univers mythico-millénariste, leurs prêches amorçaient  déjà la bifurcation essentialo-fondamentaliste, préparaient les esprits à la recomposition  politico-culturelles en cours, annonçaient l’onde de choc civilisationnelle d’autochtones en  quête d’une axiologie de rechange ou de secours toutefois toujours amendée aux protocoles de  la martyrologie. Trois ans après Omar Gatlato (1976), film rompant avec le cinéma du Héros  national, avec les envolées lyriques du synopsis formaté, avec les assertions laconiques et  volontaristes, la mort du “socialisme-spécifique” fortement teinté de religiosité s’éclipsait au  profit de poussées “barbaresques” piétinant ce qui restait des fausses prétentions marxistes.  Fin de l’Histoire d’après Francis Fukuyama, octobre 1989 (chronotope majeur après le mois  de novembre 1979) marquera la bascule des déportés de l’Empire de l’Est à leur tour en  perdition idéologique. Au Nord comme au Sud, tous les anciens embastillés du “Capital  collectiviste” ne rouleront dorénavant qu’en faveur de l’économie de marché et c’est en soldat  de sa rentabilité la plus sauvage que Bouteflika dilapidera la manne issue de l’ “excrément du  Diable” : le pétrole. 

Rapidement détournée de ses marges de manœuvres progressistes, la dynamique  rebelle qui l’empêchera de briguer le promis cinquième mandat ne drainera pas la “puissance  subversive” nécessaire à l’établissement d’une modernité politique, économique, culturelle et  artistique. Surplombant, l’emballement flatteur et trompeur d’Abdelkader Damani traduit en  somme un manque flagrant de connaissances historiques. Persuadé d’avoir, au plus près, saisi  la concrétude de la supposée Révolution, il n’appréhendera pas les contrecoups déstabilisants auxquels s’exposaient des hirakistes tournant, vendredi après vendredi, en rond puisque  incapables de répondre efficacement à la problématique de la Rupture paradigmatique à  même d’entraver la reconduction d’un régime arc-bouté sur des postulats renvoyant pour la  plupart à la notion d’authenticité (révolutionnaire, culturelle, cultuelle etc…). La sémantique  aux accents déistes occupe tous les espaces, y compris celui normalement plus autonome de  l’art moderne et/ou contemporain, c’est dire l’impact grandissant qu’a eu sur les esprits et mœurs la “Concorde civile” du 08 juillet 1999, “Grâce amnistiante” facilitant l’outrancière  thésaurisation d’une rente privée de garde-fous.

Depuis, le référent religieux inonde tellement l’ensemble des discours que des  médecins recevront des exemplaires du Coran en guise d’encouragement à la lutte anti-Covid  19, que la vaccination généralisée ne débutera qu’après avoir reçu l’extrême onction de  dignitaires musulmans.  

Dans l’univers de l’Ovalie (rugby), les puristes savent parfaitement que les rencontres  opposant une équipe à celle des All Blacks de la Nouvelle-Zélande commenceront par  l’inévitable Haka (cérémonial chanté et dansé), et c’est pareillement lorsque les divers imams en termineront avec le taslîm (salutation finale de la prière) que les fidèles se lèveront pour  rejoindre les rangs du rituel défilé des “Vendredires”. Au complet, l’ensemble des concernés entameront la déambulation protestataire, sorte de circonvolution que surveillera étroitement  un pouvoir militaro-islamisant drapé sous les rassurantes apparences de la “Nouvelle  Algérie”. Probablement concocté par la Direction générale de la communication, de  l’information et de l’orientation (DCİO), le slogan de l’après élection présidentielle du 12  décembre 2019 met un peu plus au jour et à jour les récurrentes perversités de fouineurs de  l’ombre partout présents et agissants.  

Porte-flingues anonymes des coups fourrés, acteurs sous-jacents de la déstabilisation  performative, ils désamorcent les convergences qu’intellectualisent quelques observateurs  assidus du jeu et champ politiques. Parmi eux, l’universitaire Rachid Tlemçani validant  justement le vendredi 05 mars 2021 (jour du 58° défilé du “Hirak”) le mot d’ordre «  Moukhabarate irhabia, tasqot el mafia el askaria» (Services de renseignement terroristes, à  bas la mafia militaire). Contrairement aux voix timorées demandant sa neutralisation, le  politologue jugeait qu’il « pose une question absolument centrale qui est celle de la police  politique (car) l’échec des Printemps arabes est dû au fait qu’ils n’ont pas réussi à (la)  défaire ». (R. Tlemçani, in El Watan, 06 mars. 2021) 

Démanteler la Gardienne du temple, l’ossature de ses signifiants maîtres et complots  interlopes, n’est pas une mince affaire tant elle se mêle de la vie des partis et associations, de  l’imprimatur des médias et de la distribution publicitaire, des listes d’habilitations bloquant  les carrières administratives et professionnelles. Omniprésente dans tous les rouages de l’État,  la “Stasi algérienne” gère les dispositifs régaliens basés sur la croissance autocentrée et hyper protectionniste, le capitalisme de copinage ou de consanguinité, la régulation pécuniaire de  monopoles démonétisant l’essor politique, économique, culturel et artistique du pays. Le dos  au mur depuis que les hirakistes aborderont avec acuité ses pernicieuses intrusions (exigeant  parallèlement que les généraux rentrent dans les casernes), cette faction caporaliste ressert les rangs. 

Se sentant comme jamais jusque-là démasquée, elle redouble l’intensité de la  répression et de l’intimidation, emprisonne à tour de bras, augmente d’un cran le ligotage sécuritaire, consacre le primat de la censure et de la torture, des réflexes liberticides  sanctionnant les intermédiaires du “Hirak”. Les enfermer et noyauter en remobilisant  l’appareil juridique ou le corps des magistrats corrompus participe des logiques de survie  d’une police politique sans laquelle le régime des pronunciamientos (le premier renversera en  septembre 1962 le Gouvernement provisoire de la république algérienne) s’effondrerait. Organes tentaculaires, les directions générales de la sécurité intérieure (DGSİ), du  renseignement technique (DGRT), de la documentation et de la sécurité extérieure (DGDSE)  (trois branches remplaçant l’ex-Département du renseignement et de la sécurité -DRS), le  maintiennent à flot en lui inoculant ces piqûres de rappels que sont les dates mnésiques et  martyrologiques. 

Elles le régénèrent tout en se bornant aujourd’hui à déchiffrer les messages pro- “Hirak” et à bidouiller les conditions de leurs instrumentalisations. En veille permanente, les  cellules de fragilisation et de déboussolage articulent les manœuvres dilatoires ou stratégie de  communication, implémentent au niveau des rédactions complices la programmation  entropique inhibant l’émergence des contradicteurs, torpillent les journaux ou webzines aux  articles d’investigation et contributions pertinentes, mandent face à eux les circuits  cathodiques d’une “Famille révolutionnaire” paranoïaque, atteinte du syndrome d’hubris  (overdose de pouvoir) et s’ingéniant à faire de l’anti-France la variable d’ajustement des obstructions pavloviennes et dérives coercitives synonymes d’Archipel des goulags.  Recourant à la sempiternelle cinquième colonne ou “Main invisible”, elle chargera le ministre  conseiller à la Communication et porte-parole de la Présidence de certifier que le “Hirak”  reste « infiltré, manipulé et utilisé par des lobbys étrangers hostiles à l’Algérie » (Belaïd  Mohand-Oussaïd, émission “À cœur ouvert” diffusée le jeudi 09 avril 2020 sur l’ENTV, chaîne nationale).  

Accusée de complaisance à son égard, la chaîne d’informations “France 24” se voyait  retirer le 13 juin 2021 son accréditation, une proscription motivée également par « le non respect des règles de la déontologie professionnelle, la désinformation et la manipulation  ainsi qu’une agressivité avérée envers l’Algérie », attestait, via l’agence officielle APS, le  ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Ammar Belhimer. La  décision survenait juste au lendemain d’un scrutin législatif anticipé marqué par un fort taux  d’abstention (77%) confirmant, après la Présidentielle de décembre 2019 (60,22% de non votants) et le Référendum constitutionnel du 1er Novembre 2020 (23% de participation) le  désintérêt probant des Algériens. İls clament le démantèlement du système de gouvernance  instauré dès l’İndépendance pendant que le sommet hiérarchique des décideurs laisse ouïr que  les doléances du mouvement contestataire ont été satisfaites.  

Caisse de résonance pour les sourds, le “Hirak” n’est décidemment pas la Révolution  espérée ou plébiscitée et Alger pas davantage l’Archipel des libertés. Contrariant l’adage “En  mai fait ce qu’il te plaît”, les forces atrophiques du “Front intérieur” se sont liguées pour cibler  les rares figures de proue, les assigner à résidence, aux interrogatoires musclés ou aux  cachots, contracter leur amplitude vocale et, telles des chiennes aboyeuses, entraîner le gros  du troupeau vers le cul-de-sac que taraude l’agenda des chefs militaires.  

Déférant au cahier des charges des partenaires occidentaux, ils agréent le principe du  suffrage dans le but de fermer le clapet sur la séquence “Hirak”, acceptent d’intervenir hors  des frontières pour sauver le semblant de souveraineté d’un Président jouant le rôle de la  veuve effarouchée quand les analystes les plus obtus expliquent aux internautes le dessous des  cartes ou postures. 

Nonchalant et chancelant, sans charisme notoire et physiquement diminué, le coopté  des cagarins (Tebboune) proroge les mêmes clauses butoirs menant à la procrastination  stagnante d’une mythifiée el Djazaïr protectrice des plus faibles, prête à couvrir les zones  conflictuelles, à se projeter hors du territoire pourvue qu’en arrière-plan rien ne change  vraiment. Tampon et assurance tous risques de l’Europe, l’Algérie postcoloniale tente de  redorer son blason écorné, de crédibiliser aux yeux de la communauté internationale des  promesses réformistes ne répondant en rien aux vœux pieux d’Algériens désabusés, méfiant  vis-à-vis de la fraude ou aspirant légitimement à la liberté d’opinion et de conscience, à  l’instauration d’une démocratie garantissant la séparation des pouvoirs, celle inhérente au  divorce du spirituel et du temporel n’étant pas à l’ordre du jour. 

Objet de véhémentes controverses, la sécularisation ne représente pas la préoccupation  majoritaire et prioritaire d’hirakistes plus préoccupés par la hausse du chômage. Préférant  évacuer, au nom d’un tacite consensus, la laïcisation de la société, ils focalisent l’attention sur  l’indépendance de la justice et de la presse, la prédation tous azimuts, l’assainissement des  réseaux d’échanges, le renouvellement, au stade de l’ensemble des échelons bureaucratiques, du personnel corrupteur et corruptif. 

Déloger du rafiot ou bateau ivre tous les rats spoliateurs et tripoteurs, voilà ce que  souhaitent concrétiser, au nom de la “Vraie Révolution”, les invétérés de la table rase.  Significatif du ras-le-bol général, le leitmotiv “Dégagez tous” (Trouhou Gaâ), que fuira  comme la peste Kamel Daoud, se convertira en abstention non-violence recyclant les  subalternes du cercle renié. En se détournant des urnes, les pacifistes (de la Silmiya) ou  dégoutés ont remis en selle d’identiques attentistes. De là, les paradoxes d’un “Hirak” inconsistant et impuissant lorsque l’impératif exigeait de fructifier en monnaie sonnante et  trébuchante le renoncement forcé d’Abdelaziz Bouteflika.  

Le sociologue Nacer Djabi a beau persuader que cet élan salvateur et béni « ne se  résume pas aux seules marches populaires », symbolise « un état d’esprit, un nouveau  rapport des Algériens à la politique, à leurs institutions officielles », qu’au bout de deux  années de manifestations il s’est inséré « dans la tête des (…) jeunes générations (…)  devenues plus revendicatives, plus désireuses de changer leur pays » (N. Djadi, in 20  Minutes, 13 juin. 2021), sa poussée autotélique n’engendrera pas le dépassement attendu, le  saut qualitatif en mesure de délivrer la nation des pesanteurs du statu quo, de lui greffer les  adjuvants de ses modernités. 

Faute de recul réflexif, de déclics disruptifs et de relais préventifs, les acteurs du  “Hirak” n’ont pas transformé leur insoumission en alternative démocratique crédible, en  transition polygraphe ou prophylactique et tout est à repenser. Repartir à Zéro ou de Zéro, cela  correspond à étayer la bonne histoicité (le fait que les choses changent) en pulsions ou  mutations d’impasse puisque, aussi cinglantes soient-elles, les successives gifles électorales  issues des trois boycotts consécutifs n’ont eu aucun effet avéré sur l’entêtement d’ordonnateurs hypothéquant et phagocytant la catharsis déclenchée à Kherrata le 16 février  2019. En mode fuite en avant, ils tracent l’itinéraire de l’aveuglement perfide et des  compromissions compensatoires, parachèvent, avec les Législatives du 12 juin 2021, leur  reprise en mains de la spéculation oligarchique jugulant les pouvoirs de l’argent et ceux de la  gouvernance administrative.  

İmplantée par Abdelaziz Bouteflika et sa fratrie, la “İssaba” (bande de malfaiteurs) des indus avantages et abus de fonction, des trafics d’influence et violations de la réglementation  des marchés publics, se trouvant désormais sous les verrous, le conglomérat militaro industriel re-détient les leviers de l’argent sale, de l’attribution des financements spéciaux, de  la redistribution endogamique et séminale des privilèges.  

Architecte des connivences territoriales et balances sectorielles, il pianote sur la  partition hybride d’une économie à la fois étatisée et libérale, rythme le découpage monopolistique du bien-être matériel des heureux élus, encarte des parlementaires dociles siégeant au sein d’une Assemblée plus que jamais islamo-conservatrice. İnstallés dans leur  synthèse binaire de factotums liquidateurs, les commandeurs verrouillent le champ politique,  mitonnent une Constitution réitérant les Constantes nationales, matrices perlocutoires de la  narration tutélaire et de la Grande OPA mémorielle. 

Circulation confiscatoire, l’Histoire se répète comme une parodie d’elle-même, s’embourbe en simulacres de transparences et de normalisations institutionnelles, en lourdeurs  des dépouillements ou procédures, en tours de passe-passe arithmétiques, en préconisations  soustractives ou adversatives, en vortex (tourbillon dans un fluide en écoulement) centripète,  en primat du même sous les apparences de la “Nouvelle Algérie”.  

İgnorant la réprobation publique et méprisant des adversaires interdits de table de négociations, les maîtres des horloges s’appliquent à les rendre personæ non gratæ, antinationaux et infidèles, abusent de préjugés et de procédés discriminatoires, freinent les  initiatives de ceux désirant tirer leur contrée vers l’avant. Plutôt que de l’accrocher aux  wagons conducteurs de la prospérité concurrentielle, les contempteurs de centralisme ou partisans du putsch permanent s’appliquent à remettre sur les rails les invariants d’un Front de libération nationale (FLN) censé être remisé au musée. 

Catalogue des exaltations présentielles ou forum des émulations iconographiques,  celui d’Alger rendait, le 08 juin 2021 (journée annuelle et officielle de l’Artiste), hommage au  premier directeur de l’École nationale d’Architecture et des Beaux-Arts (octobre 1962-juin  1982), Bachir Yellès-Chaouche, promu, en la circonstance, au stade de professeur émérite ayant « modelé des générations entières », d’esthète emblématique (…) d’une exceptionnelle  créativité », de pionnier contribuant (…), à l’essor de notre culture au patrimoine» (in El  Watan, 12 juin. 2021), de guide faisnt de l’institution du Parc Zyriab ou Gatliff « un phare  prestigieux de la formation artistique » (in Reporters, 10 juin. 2021) et concourant au rayonnement mondial de la peinture algérienne contemporaine. 

Largement amplifiée, l’envergure réelle du Tlemcénien (de naissance) ne dépasse pas  le registre de l’agent gracieusement habilité à orienter les « destinées de l’École nationale des  Beaux-Arts au lendemain de l’indépendance », une mission vécue « comme un véritable  sacerdoce » (B. Yellès, in El Watan, déjà cité) et qui, eu égard au non-assimilationnisme  duquel procédait le processus révolutionnaire, induisait une césure avec « (…) la stérilité des  méthodes (…), quelques copies d’après les moulages de l’antique, (…) » (Arsène Alexandre,  in Réflexions sur les arts et les industries d’art en Algérie, éditions l’Akhbar, 1907) léguées  par la culture coloniale. 

Psychologiquement subordonné à la pédagogie gréco-classique puis enclin à  approuver les résolutions des caciques du Bureau politique du Front de libération nationale  (FLN) ébahis devant les fresques socialisantes ou les portraits réalistes d’un chef d’état du  bloc de l’Est, le récipiendaire de bourses d’études (l’envoyant successivement à l’École  parisienne du Quai Malaquais et à la Casa de Velàzquez) et ex-président fondateur de l’Union  nationale des arts plastiques (UNAP) se contentera d’avaliser les critères académiques des  Métiers d’art avant d’homologuer les pastiches réticulaires de propagandistes acquis à « (…)  la figuration héroïque des moudjahidine et de la lutte de Libération », précisera plus tard le  journaliste Georges Chatain.  

Venu dès décembre 1962 en Algérie, ce Pied-rouge ou néo-djounoud du  développement collectiviste parlera néanmoins de “Presqu’île de modernité” au sujet de d’une  institution où son épouse Eugénie Dubreuil y dispensera quant à elle des cours d’histoire de  l’art. Elle sera effacée du tableau d’honneur lorsque l’hôte de marque citera les professeurs  grâce auxquels « nous avons pu surmonter les difficultés pour mener à bien cette tâche de  formation et de participer à notre manière la reconstruction de notre pays » (B. Yellès, in El  Watan, déjà cité)

La puissance subversive que relate dans son texte apologétique Abdelkader Damani n’imprimera pas le quitus et corpus d’une École où, régnant en pacha, Yellès se détournera de  la transgression esthétique que M’Hamed İssiakhem et Denis Martinez souhaitaient  transfuser, l’un via l’expressionnisme abstrait, l’autre à partir de la “Plongée fanonienne”, une  spéléologie archétypale dans le substratum immémorial (sorte de cosmopolitisme enraciné et  afropolitanisme avant l’heure) en principe génératrice de désynchronisation avec le hic et  nunc (ici et maintenant) des calibrages visuels et mantras syntaxiques.  

De peur de se retrouver complètement en dehors du cadre verbal étiquetant leur  identité d’artiste militant, les deux peintres cités ne se dérouteront du sentier des logorrhées  lénifiantes, réduiront néanmoins, au plan proprement plastique, l’écart grandissant implanté  entre les orientalistes de la villa Abd-el-Tif ou héliotropes de l’École d’Alger et les avant gardes de l’art moderne. C’est précisément leur aura anticonformiste que détestait et redoutait  un ancien gestionnaire du Musée national des Beaux-Arts d’Alger (MNBA) s’octroyant des  projets d’agencement ou de décoration adressés par les instances caporalistes. İl en distribuera aux enseignants de complaisance qui engageront des étudiants convertis en petites mains de la  solde minimale. Minimisant le non éclectisme et les louvoiements du commis de l’État  algérien, la célébration du 08 juin 2021 insulte les non-assujettis à l’origine de son éviction. 

Leur grève du printemps 1982 mettait concomitamment fin au Certificat d’aptitude à  une formation artistique supérieure (CAFAS), conditionnait le rétablissement de relations  moins interlopes et, par effets rétractifs, des collaborations enseignants-étudiants débouchant  trois ans après sur la création de l’École supérieure des Beaux-Arts d’Alger (ENSBA) : aucun  “des baroudeurs-frondeurs de l’époque révolutionnairen’y sera admis, les occultes enquêtes d’habilitation ne les autorisant sans doute pas à compenser le fossé (brièvement décrit plus  haut), à y injecter les ingrédients des contemporanéités esthétiques et conceptuelles.  

L’absence remarquée et répétée des plasticiens algériens locaux aux rendez-vous  internationaux (invitations de curateurs renommés aux biennales ou documentas) résulte  directement des conditionnements idéologiques d’un régime laudateur et courtermiste, sans vision stratégique, engoncé dans l’aporie compulsive des décennies 60 et 70, accaparé à la  reconduction clanique de thuriféraires nostalgiques obéissant aux dogmatismes environnants,  remettant sur le gril la question de la repentance, s’ingéniant à rallumer la flamme patriotique  et à domestiquer le tropisme de retour aux sources.  

Au cours d’un point de presse, l’ex-ministre de la Culture Khalida Toumi répétait ainsi que ceux qui, le 1er Novembre 1954, hissaient haut les armes, gardaient ancré en eux l’objectif  de « sauvegarder l’authenticité patrimoniale de l’Algérie » (K.Toumi, 2ème Salon national des  arts plastiques de Souk-Ahras, 08 juin. 2012), une tâche à laquelle se dévoue maintenant la  substitue du “Chouchou patrimoine”, Malika Bendouda. Celle-ci suit les conventions ratifiées  lors des accords algéro-européens ou franco-algériens, répond aux exigences managériales  transformant les établissements culturels en entreprises à but lucratif. Logiquement profitable  au département design, la perspective économique ne soulève pas la passion des potentiels  aficionados ou spéculateurs du marché, encore moins celle de pouvoirs publics vent debout Quand l’art dérange. 

Diffusé le mercredi 02 juin 2021 sur la chaîne franco-allemande Arte, cette émission,  (compartimentée en trois reportages -Pouvoir et politique, Foi et Religion, Féminisme et  genre-) explique (au sein du premier) pourquoi et comment le Chinois Ai Weiwei à gagner sa  légitimité d’artiste contemporain. 

Récalcitrant à l’égard de ses gouvernants, ses œuvres iconoclastes s’opposent dès 1979  au réalisme-socialiste, influencent profondément la sphère endogène, provoquent des prises  de conscience vis-à-vis d’une société oscillant entre libéralisme et collectivisme, capitalisme  anarchique et système centralisé, témoignent, parfois par le biais des réseaux sociaux, du massacre de la Place Tian’anmen (1989). Commencée à cet endroit, la série Étude de  perspective (1995-2003) décline un doigt d’honneur dressé envers les bâtiments symboles des  valeurs établies et qui trônera en 2000 au milieu de l’exposition Fuck off. Dévoilant les  tactiques de la police secrète et contournant l’omerta entourant la commémoration des  victimes du même événement, le poème Oublions, posté en juin 2009 sur internet, vaudra à  son auteur une suite de représailles (comptes et blogs fermés, passages à tabacs, destruction  des outils de travail et de l’atelier). Arrêté deux années après (03 avril 2011) à la suite de la  campagne de répressions du mois de février, il sera soupçonné d’évasion fiscale, subira des  interrogatoires musclés et cautionnera des enregistrements filmés en guise d’excuses ou de  méa-culpa. Relâché sous caution et sur parole de remboursement, Ai Weiwei poursuivra un  cycle de condamnations relatives à l’immolation de 125 Tibétains, aux migrants ou exilés  décédés en Méditerranée, d’où la colonne de 2016 recouverte à Berlin de gilets de sauvetage.  

Si ce type de production interpelle normalement et directement les Algériens, leurs  artistes n’ont pas eu l’audace d’aborder le sujet des harraga (brûleurs de frontières ou de  papiers) avec la même accentuation visuelle, probablement en raison d’une frilosité  psychique, d’un manque de maîtrise des enjeux et contextes, de positionnements politiques, d’affables complaisances avec le mainstream. En dehors du podium du marché international  de l’art, privés d’ateliers-usines, de collectionneurs avertis, les plasticiens du cru font pâle  figure et ne retentissent qu’à l’intérieur des vases clos de la reconnaissance diplomatique.  L’İnstitut français d’Alger (İFA) dimensionne l’aura de courtisans trouvant auprès de  l’ambassadeur de l’Hexagone, ou du préposé à la Culture, le nivellement de leur  congratulation. Ces oiseaux pélagiques (qui sont au large) s’éloignent délibérément des  affrontements d’idées, s’accommodent de l’état d’hibernation et de l’immobilisme mortifère,  des sanctions et harcèlements judiciaires, des pressions des services de sécurité, ne s’attaquent  pas à la violence d’État et à la caste des généraux, aspirent seulement à améliorer leur  condition de prétendants au statut d’artiste.  

Démissionnaires patentés, ils enrobent les indignations de contorsions moralistes et de  mystifications curiales, simulent, à base de superlatifs, leur admiration, flattent, par pur  opportunisme, un Bachir Yellès atteint du syndrome de Stendhal (émerveillé par trop de  beautés orientales), se photographient près de lui ou de ses images d’Épinal, n’aiment pas le  son de cloche primesautier des décryptages sans concessions, les diagnostics qui, à mille  lieues des offres fictionnelles et lacunes anachroniques, grattent le vernis des poudres aux  yeux, des Unes dithyrambiques ou des intitulés mirages laissant penser qu’Alger la corsetée  se métamorphose en Archipel des libertés

 Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art et de la culture

 

 

 

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Algérie, l’Archipel des vagues illusios, ressacs démobilisateurs et écueils couperets