Arezki Larbi est né le 23 février 1955 à Ait Laâzizn, dans la wilaya de Bouira en Algérie. Il incarne la pluralité des expressions artistiques. Durant sa formation à l’École des Beaux-arts d’Alger de 1978 à 1982, il explore la photographie et la peinture. Son mémoire est consacré au “tatouage en Algérie”, préfigurant ainsi sa démarche plastique axée sur la recherche de l’identité. À la suite de ses études, il réalise un séjour de deux ans à la Cité Internationale des Arts de Paris entre 1991 et 1992, avant de travailler comme dessinateur de presse à son retour en Algérie.
Véritable touche-à-tout, Arezki Larbi s’essaie à la scénographie théâtrale, au design et à la réalisation cinématographique. En tant que chef décorateur recherché, il laisse son empreinte artistique sur des œuvres cinématographiques telles que “Machaho” en 1995, “La Montagne de Baya” d’Azzeddine Meddour en 1997, “El Manara” (2004) de Belkacem Hadjadj, “Morituri” d’Okacha Touita (2004), “Gourbi Palace” de Bachir Deraïs (2006) et “Celui qui brûle” de Slimane Bounia (2016).
Pour le Théâtre national algérien et le théâtre régional d’Oran Abdelkader Alloula, il crée la scénographie et les costumes d’Arlequin, valet de deux maîtres, d’après Carlo Goldoni, traduction d’Abdelkader Alloula, mise en scène de Ziani Cherif Ayad en 2019. La même année, il réalise un premier court métrage, “Winna” (L’autre), et en 2022, un deuxième (en langue amazigh), “Le chant de la sirène”.
Il affirme : « Pour mes films, j’écris, je réalise, je décore. Pour les autres, la peinture ne rentre pas dans tous les films, même si au théâtre, j’ai fait des peintures comme pour la pièce de Ziani Cherif Ayad. Mais généralement, l’idéal est que le réalisateur et le producteur soient d’accord avec moi au départ sur l’idée de discuter de l’esthétique du film c’est toujours mieux, on en parle, on imagine le décor en étudiant le scénario. » (El Watan du 17 déc. 2023)
Arezki Larbi
L’artiste excelle également dans l’illustration d’ouvrages et explore des thèmes poignants tels que la douleur de la décennie noire en Algérie. parmi les ouvrages illustrés : L’aube Ismaël : louange de Mohamed Dib (Alger, éditions Barzakh, 2001).
Sa palette artistique, en constante évolution, se manifeste par une explosion de couleurs qui transcende les marques d’un passé douloureux. En 1993, le terrorisme s’installe en Algérie. L’artiste opte pour un retour au pays alors que beaucoup prennent le chemin de l’exil. Arezki Larbi reviendra sur cet épisode dans le livre « Alger en 2005. (Edition Jalan Publications…) : « Je suis revenu car j’avais besoin de mettre une réalité sur ce que j’entendais et je suis content d’être resté. Je préfère la douleur vécue que celle qui repose sur l’imaginaire… Je ne pouvais pas vivre dans la nostalgie… dans le passé entre deux endroits. On n’est pas intégrés et pas compris dans le pays d’accueil et lorsque l’on revient, on ne retrouve pas son lieu qui a changé. C’est là, la vraie douleur ».
Le traumatisme du terrorisme a duré dix ans et laissé des marques : « Un blanc » dira-t-il. Quand il reprendra la thématique écologique lors de l’exposition « Migrations géologiques ou l’oiseau minéral », à Alger, au début des années 2000, on redécouvrira l’artiste dans une explosion de couleurs, suivra « la comédie des couleurs », série de petites œuvres sur papier, aujourd’hui disponibles en France.
Son oeuvre riche est riche de symboles et de réflexions. Son style, empreint de poésie, invite à une réflexion profonde sur l’histoire, l’identit et la nature. Il observe les cycles de naissance, destruction, renaissance et les retranscrit sur la toile. Dans les années 90, il obtient le premier prix de salon d’art contemporain pour l’œuvre « Prétexte d’Ecume ». La série d’œuvres issues de la période « Abstractions géologiques », laissée à Paris, est aujourd’hui visible en France. (rivarts.com)
Il expose souvent dans son pays, tel que sa récente exposition “Alter-égo” à la galerie ESPACO d’Alger du 17 nov au 1 dec 2018, un opus qui a marqué les esprits, Samira Negrouche écrit à ce sujet le 18 novembre 2018 :
« Mon cher Arezki, l’émotion devait un peu passer avant de revenir sur ton exposition “Alter ego”. Tu nous as tapissés sur un mur comme chacun un bout de ton autre. Un bout qui a traversé ces années 90, qui s’est encore plus égratigné ces années 2000. Non, l’émotion n’est pas seulement celle des êtres disparus, du sourire intimidé de Djamal Amrani, du regard déterminé de Baya Gacemi, des visages déjà évanescents de Sonia et de Rachid Farès dans nuit de divorce. L’émotion, elle est dans ton choix de faire face à la réalité de ces visages meurtris, ravagés par le silence et la dignité de ceux qui furent rassemblés et rassembleurs, qui furent debout dans le charnier. Nous avons la mémoire de ces années-là, des groupuscules que nous étions, présents à chaque instant, conscients d’une fraternité qui dépassait les disciplines et les clans : il n’y avait pas de clans alors et notre seul privilège était de respirer encore sur cette terre calcinée, aucune trahison n’était permise. A l’ami artiste disparu et suicidé, tu as promis une pensée permanente, à celui qui pour nous tous a refusé de faire semblant, d’accepter le croquis et l’ébauche comme seule alternative à l’art, à nous qui savons faire la différence entre l’art et l’écume – bien que nous nous trompions parfois – qui refusons les avant-scène factices parce que notre pensée est permanente, que nous n’oublions pas la tragédie, que nous n’envisageons pas de faire semblant. A tous ces visages disparus, nous devons de ne rien céder car l’injustice n’est pas la mort, l’injustice c’est d’avoir été privés du meilleur de chacun dans les meilleures conditions.»
Le parcours d’exposition de Larbi est marqué par des rendez-vous porteurs, notamment en collective pour les “Rencontres internationales” de la galerie TOP ACTION mais aussi à l’international comme en 2000 avec “Affiches cinéma” à la Fondation culturelle d’Abou Dhabi, ou à la Marie du 3e Arrondissement de Paris en 1997 avec “Arezki Larbi, peintre algérien”.
« Sous la surface des choses, Larbi est le peintre de leur intérieur fermé, de leur plus secrète pénombre. Images de l’éphémère, comme par une faille le regard entre dans un monde où rien jamais n’est arrêté, où toute forme se déforme en un continuel devenir. Pour en approcher la durée sourde, Larbi mime les élans de la géologie, en reproduit les mouvements. Ses gestes se glissent dans les impulsions naturelles. « Peintre concret », il répand, évapore, recouvre en strates, dissout, creuse, plisse, pulvérise, saupoudre : mêle le goudron, les colles et les encres, les argiles et les cires, les laves et les boues. La nuit à mesure coule et s’épaissit, la matière s’ajoure en dendrites au bord d’un langage fascinant, la lumière cristallise en halos ses premières germinations. » O. Hadjari, « Arezki Larbi, Voyage au bout de la pierre », dans Ruptures, n°4, Alger, 3-
HOMMAGE UNANIME
A l’annonce de son décès, l’hommage est unanime de la part de ses amis, collaborateurs, artistes, et compagnons.
« On a vécu la belle époque des années 1980. « On était ensemble à Algérie Actualités. J’ai écrit les premiers articles sur ses expositions, notamment son expo intitulée “Migrations géologiques ou L’Oiseau migrateur” (1999), une expo qui a fait voyager et rêver beaucoup de gens. Puis il a pris un autre chemin, celui du cinéma, en tant que décorateur, la peinture ne nourrissant pas son homme en Algérie (…) Le temps manque toujours à ceux qui brûlent leur chandelle par les deux bouts. Et il lui restait toujours un bout à brûler, Larbi. ( …) Larbi, ce n’est pas seulement le cœur qui peint mais aussi l’esprit ; et son travail ne s’articule pas sur des idées hétéroclites : il est pétri dans une pensée. Larbi est parti. Il est aussi poète. Ne me demandez jamais de parler de lui au passé. Larbi est à la fois un grand poète et un grand peintre… Aujourd’hui s’en va un autre artiste qui a longtemps résisté avant d’échouer dans le grand pays où l’on échoue. Adieu Larbi.» Ali Hadj Tahar sur sa page facebook 21/01/2024
« Un ancien camarade des beaux arts d’Alger années 80. Puis ami dans les luttes de la condition humaines années 90. Je garde en lui un très beau exemple de bienveillance de fraternité et cet esprit solidaire quand on a besoin de sa clairvoyance. J’ai appris des choses avec toi, merci de tes gouttes de lumière artistiques. Tu était l’artiste sur plusieurs fronts… » Zoheir Boudjema sur sa page facebook 21/01/2024
Larbi ne connaît que le langage de ses mains
il griffe la branche envoûtée sur son chemin
il peint la cadence des ronces
il marche droit sur la trace de l’aïeul
le temps écorché n’affecte pas sa raison
il marque des paysages hors saison
l’écorce du tissage envahit sa toile
Larbi offre son ombre aux plaintifs horizons
il dort dans l’alcôve du carmin
son émonctoire fait fléchir la douleur du néant
sur le banc du repos il percute le parvis du désordre
sur nous il pleut l’espoir de sa brume
aux femmes il offre la nudité de son respect
il sème les gestes fleuris de sa mère
sa main caresse la gratitude du rêve
il épouse la liberté du devenir une vie durant
Arezki creuse la souche du poème
dans ce pays éprouvé par la torpeur. »
Kamel Yahiaoui et Arezki Larbi
Au-delà de ses réalisations, Arezki Larbi demeure un homme discret, laissant ses œuvres parler de son héritage artistique. Son influence dépasse les frontières algériennes, et son œuvre mérite une reconnaissance plus large dans les musées, témoignant ainsi de la diversité et de la profondeur de la scène artistique algérienne contemporaine. A sa dernière exposition « Alter Ego », Arezki rend hommage à ses amis avec l’œuvre « Memo’art », des planches sur lesquelles on retrouve une multitude de minuscules photographies représentant les visages des siens, il déclare : « C’est un chemin du cœur, mélancolique parfois, éclairé par des envolées de poésie involontaire et, comme souvent dans la solitude, la candeur n’ayant pas de but, elle trébuche sur des souvenirs. La mémoire n’est pas un film qui se déroule en séquences organisées, c’est des replis dans l’ombre, des entassements d’oublis et d’écritures vaines (…) Des centaines de photographies, prises de face et de profil, de personnes côtoyées dans la vie ou dans le travail ne sont pas que des clichés figés mais des vies, des moments bleus. Des pans de vie qu’il m’est donné de manipuler ludiquement, pour déramer les empilements et redessiner autrement ceux qui me peuplent et me portent (…). Il est assez curieux de constater en faisant ce travail que la vie de mes amis, c’est aussi un peu la mienne. Le sel de ma vie » (source)
Allah Yerahmou.
Rédaction founoune
« Memo’art » by Arezki Larbi
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Source photo à la une : Fatiha Farrah