Estimant que la date d’inauguration du 58ème rendez-vous international d’art de Venise (prévu du 11 mai au 24 novembre 2019) ne convenait plus aux « (…) impératifs de préparation », le ministère de la Culture annulera et reportera, le mardi 26 mars 2019, la participation de l’Algérie.
Désormais caduque, elle est différée à l’édition de 2021, édition en projection de laquelle l’administration du Palais Moufdi Zakaria envisage donc de « (…) meilleures conditions ». Le caractère préventif de l’annonce dissimule mal le préalable du soudain retrait d’un projet officialisé le 05 février 2019 suite au crédit dévolu à son promoteur, Hellal Mahmoud Zoubir. Celui-ci avait adressé dès l’été 2018 le dossier de candidature à Paolo Baratta, président (de 1998 à 2000 puis reconduit en 2008) d’une manifestation dont il saura remodeler l’identité, notamment grâce à la modification des statuts et l’obtention d’un bail emphytéotique, concession lui cédant les Giardini (endroit central entouré de l’ensemble des pavillons importants) et l’Arsenal (un entrepôt autrefois délabré accueillant la seconde partie des installations étatiques).
Néophyte en matière d’action publique culturelle ou de marché de l’art, l’ancien ministre c’est adjoint cette fois le concours du commissaire indépendant Ralph Rugoff, opérateur en 2015 de la 13e Biennale de Lyon (dénommée La vie moderne) et dont la présente réflexion évacuera l’habituel thème au profit de l’expression “May you live in interesting times” (“Puissiez-vous vivre une époque intéressante”). Devenue une sorte de mantra évoquant l’espoir de sortir de climats incertains, la maxime nous renvoie à l’actuelle crise politique algérienne et, par extension, à la lettre ouverte que des artistes (locaux ou exilés) communiqueront le 21 mars 2019 sur les réseaux sociaux.
Les protagonistes et signataires de la pétition s’inscrivent pleinement dans le courant protestataire né le 22 février dernier, affirment être « (…) solidaires du peuple algérien », s’associer aux contestations « (…) pacifiques contre le système politique en place ainsi qu’à ses revendications justes pour un changement démocratique ». İls rejoignent ainsi résolument le Hirak (mouvement populaire) afin de s’émanciper de l’institution tutélaire dont ils réfutent le bien-fondé. Leur texte-manifeste se trouve à l’origine de son revirement, rejette la première implication de l’Algérie à la Biennale d’art contemporain et d’architecture de Venise. Selon les plaignants, ce choix discutable « (…) exacerbe une fois de plus la violence faite à la communauté artistique algérienne de par l’opacité de son organisation, le népotisme, le clientélisme, la censure, l’abus de pouvoir, l’absence de transparence, d’éthique et d’imputabilité ». Paraphé par plus de cent travailleurs des arts (nationaux et binationaux), le plaidoyer a eu également pour conséquence directe d’abroger la nomination d’Abdelkader Bendamèche (ou Ben Daâmèche) à la tête de l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC). Récipiendaire du poste le 20 mars 2019, il sera débouté par Noureddine Bedoui (le remplaçant d’Ahmed Ouyahia, chef de l’Exécutif remercié le 11 mars) qui sursoira à toute proposition de fonction. Le pseudo-promu (ce qu’attestent les J.O de janvier, février et mars 2019) dirige néanmoins encore (pour la troisième fois consécutive) le Conseil national des Arts et des Lettres (CNAL), là où il côtoie depuis cinq années Hellal-Mahmoud Zoubir, décrochant quant à lui une quatrième reconduction le jeudi 15 novembre 2018 (au moment du renouvellement de l’équipe de 13 membres que contient l’organisme). Sa longévité à la section arts-plastiques ne s’explique pas en regard à ses facultés intellectuelles intrinsèques ou interventions épistolaires (exégèses au demeurant quasiment nulles).
La pérennité est davantage à chercher (et à discerner) du côté du mode de désignation des élites civiles retenues en conformité avec la méthode de cooptation aujourd’hui si décriée en Algérie. Autrement dit, l’autoproclamé spécialiste du champ en question et auto-désigné curateur du pavillon-étendard navigue, telle une anguille insaisissable, au milieu du canal spécial car répondant au profil adéquat d’agent du système enclin à phagocyter les thématiques porteuses, à soumettre à l’entendement général les bienséances et conditionnements esthético-symboliques qu’exige l’instance de la représentation, ici la police politique. Celle-ci structure et modèle le paysage culturel en plaçant au sein des diverses surfaces de monstration les fonctionnaires subordonnés du pouvoir bureaucratique, s’assure qu’ils ne piétinent pas la ligne-frontière, le plus souvent tracée autour de la notion de renouveau par l’authenticité patrimonialo-culturelle, source fondamentale de la doxa idéologique. Docile et discipliné, le préparateur Zoubir s’adapte au cadre étroit, filtre la liste des potentiels candidats à la notoriété, les sélectionne pour mieux se poser en unique gestionnaire des quotas et valeurs suréminentes. La prééminente gouvernance (admise perfidement, à défaut de doctorants charismatiques ou en raison de postulants résignés) de l’ex-directeur des études de l’École nationale des Beaux-Arts d’Alger ne provient pas de son aura analytique ou magistère impartial mais bien du soutien zélé aux décideurs qui l’ont élevé à la fonction de répartiteur de schémas, tâches ou services. Les ordonnateurs en chef lui octroieront récemment le soin de scénariser la présence d’un pays bottant finalement en touche à cause d’une vox populi (voix du peuple) perplexe à l’égard de subventions obscures, d’un modus operandi incarnant « (…) l’ancien régime ».
Face à la polémique ouverte, l’incriminé s’inclinera puis rétorquera œuvrer « (…) en douce pour faire aboutir les choses », que les tractations avec la commission algérienne concluante s’étant prolongées jusqu’en novembre 2018, il lui fallut opter rapidement en faveur de Rachida Azdaou, Hamza Bounoua, Mourad Krinah, Oussama Tabti et Amina Zoubir, sa propre fille. Au reproche de favoritisme consanguin, l’initiateur précisera avoir retenu ladite progéniture puisqu’elle « (…) a contribué, par ses contacts (…) » à ce que l’Algérie bénéficie enfin d’un lieu. Elle aiguillonnera en effet le dénouement en se mettant À la recherche du pavillon algérien, comme le mentionnait un happening affiché en 2013,justement à l’occasion de la Biennale italienne. Mais, et contrairement aux contrées attachées à irradier au cœur de l’une des principales scènes mondiales, l’Algérie ne possède pas de pavillon permanent à Venise, cité de l’ascension artistique garantie. Pour s’y produire dans les meilleures conditions, les nations nanties entreprennent (conformément à des accords établies) des travaux de réhabilitation (le coût moyen est d’environ 2,5 millions d’euros pour 500 m²) au sein de l’ancienne salle d’Armes, c’est-à-dire au centre d’un Arsenal de 25.000 m². Les mieux loties y entretiennent un espace national, investissent aussi en loyers des sommes conséquentes pour exhiber leurs performeurs, en tirer des retombées sonnantes et trébuchantes car misant, à court, moyen ou long terme, sur l’impact médiatique.
Continument à l’écart des grands événements planétaires, l’Algérie devait, conformément aux pays émergents, sortir de sa zone de confort, se confronter dorénavant aux expériences taraudées de transgressions, provoquer un dialogue transversal avec des univers iconographiques singuliers. Tel fut le défi que soumettra un Hellal-Mahmoud Zoubir disposé à saisir le taureau par les cornes, à surseoir aux lourdeurs officielles et formalistes, à les surmonter « (…) pour aller réussir un projet à 9000 kilomètres (…) », régler territorialement des questions pratiques inhérentes aux budgétisations (paiements du compteur électrique et gardien) ou agréments organisationnels (assurance civile des spectateurs), des paramètres que le mis au banc aurait satisfait en déboursant des deniers personnels. Connaissant l’avarice du prétendu mécène, il semble improbable que l’avance pécuniaire provienne de sa poche (sauf peut-être en échange d’un rapide remboursement), d’autant moins d’ailleurs que, de l’avis des nombreux détracteurs, beaucoup d’argent aurait été débloqué en amont. Pour leur clouer le bec, l’accusé dira n’avoir de « (…) comptes à rendre (qu’aux) bailleurs et planificateurs », à des autorités contractuelles vis-à-vis desquelles le revirement, ou ultime défection, résulte à ses yeux d’un « (…) manque flagrant de professionnalisme », d’une regrettable désinvolture qui ne manquera pas de « (…) jeter le discrédit sur l’Algérie », conclura-t-il de manière condescendante et cocardière.
En réalité, l’absence de créateurs autochtones à Venise n’est pas vraiment dommageable. Tout à chacun le constatera à la vue du cliché (capté à partir de Google Maps) illustrant notre contribution. İl témoigne d’une bâtisse apparemment vétuste, à la devanture verte surmontée de sa façade rouge, située proche des quais mais très éloignée du pôle attractif car se trouvant à l’angle de deux rues désertes, exactement à l’adresse Fondamenta San. Giuseppe, 925, 30122 Venezia VE, İt.
C’est là que, sous couvert du pompeux slogan “Time to shine bright” (“Le temps brille fort” ou “Le temps brille loin”), le missionnaire algérois ambitionnait sans doute pouvoir répondre à l’énoncé introductif de l’Anglais Ralph Rugoff, offrir en l’occurrence à l’appréciation des visiteurs étrangers « (…) des significations alternatives (…) suggérant d’autres moyens de connexion et de contextualisation. ». Or, l’immersion topographique avortée rappelle plutôt la triste épreuve vécue en janvier 2003 par quelques élus de l’heure, lorsque, chapeautant le commissariat de la Saison culturelle Année de l’Algérie en France, Hellal-Mahmoud Zoubir acquiesçait l’accrochage de leurs toiles ou médiums sur les murs d’un couloir de l’UNESCO, passage du rez-de-chaussée traversé au pas de charge et faisant déjà d’eux des décalés en quête de dispositifs et échos aperceptifs.
İncapable de se hisser à la hauteur de légitimes sollicitations, d’enjeux conceptuels et visuels entrevus chez plusieurs critiques éclairés suivant à longueur d’année(s) le circuit cosmopolite des concentrations artistiques, le responsable du déboire n’avait notoirement toujours pas remarqué que le vocable Algérie est (à un accent grave près) l’anagramme du mot galerie.
Saâdi-Leray Farid.
Sociologue de l’art.