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Image extraite du film "Boualem Zid El Goudam" " de Moussa Haddad

BOUALEM, ZİD EL GOUDDAM DANS LE CHAMP SÉMANTİQUE ET BİPOLAİRE DU “CHOC DES CULTURES” par Saâdi-Leray Farid.

Dans la pièce Boualem, zid el gouddam (Boualem, avance encore ou Boualem, va de l’avant),  que le dramaturge Slimane Bénaïssa mettait en scène dès 1974, deux personnages poussent  une charrette supposée conduire l’un (Boualem) vers l’Eden du socialisme-émancipateur et  l’autre (Si Qfali) en direction du paradis céleste. La quête enchanteresse du premier  contrebalançait ainsi celle plus sacrificielle d’un coreligionnaire guidé par des préceptes  religieux gageant de son accès au firmament post-mortem. Le même enseignement symbolico-doctrinaire pourvoit aujourd’hui le conservatisme latent d’une société algérienne qui, sous l’attraction millénariste et ontologique de néo-prédicateurs, semble (depuis au moins  décembre 1991) avoir tourné le dos à la révolution moderniste envisagée par quelques  militants avant-gardistes de la postindépendance. 

Prêts à préserver le modèle démocratique né des “Lumières”, des intellectuels européens se  postent aujourd’hui comme les survivants de l’idée de progrès (une version singulière du  christianisme laïc). Parmi eux, le nostalgique Alain Finkielkraut se raccroche désespérément  aux transmissions archétypales d’une vieille France que défendait le 14 février 2003  Dominique de Villepin. Opposé à la seconde Guerre du Golfe, ce dernier privilégiait la  résolution 1441 (adoptée collectivement à l’initiative du gouvernement français), un accord  alternatif soumettant le désarmement de l’autocratie irakienne aux inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AİEA) et, en cas d’échec, à l’examen d’une éventuelle  attaque. Bi-temporelle, cette démarche laissait une marge à la négociation, retardait le second scénario, celui qui ouvrira finalement la porte à un « (…) usage de la force (…) si lourd de  conséquences pour les hommes, pour la région et pour la stabilité internationale. », à donc  un prochain envahissement de l’İrak. Le discours annonciateur de l’ex-ministre français des  Affaires Étrangères prévenait alors des risques majeurs que ne manqueraient pas d’entraîner  les réponses bellicistes du secrétaire d’État américain à la Défense, Donald Rumsfeld (quelques jours avant, ce faucon déclarait sa préférence pour la nouvelle Europe). Amplifiée  par plusieurs organes de propagande (notamment le Washington Post ou le Wall Street  Journal), les réactions serviront d’argumentations aux va-t-en-guerre de l’Hexagone, parmi  lesquels Pierre Rigoulot, Yves Roucaute, Guy Millière, Pascal Bruckner, Pierre Lelouche,  Bernard Kouchner, André Glucksmann et évidemment Alain Finkielkraut. Depuis maintenant  trente ans, le philosophe anime sur les ondes de la radio “France-Culture” l’émission  “Répliques” diffusée tous les samedis entre 09 et 10 heures du matin. Le 10 octobre 2015, un  de ses invités évoquait la persécution primaire dont seraient continuellement victimes les juifs  et appuyait son assertion en prenant pour “pré-texte” la prétendue déclaration de Smaïn  Laacher dans laquelle celui-ci aurait affirmé que « L’antisémitisme on le traite en Algérie  avec le lait de la mère » (l’universitaire strasbourgeois obligera Finkielkraut à lire quinze  jours plus tard un correctif démentant ce propos). Suspecté d’être ancré ou encré dans les  gênes des arabo-musulmans, ce ressentiment viscéral participe d’une stratégie sournoise de  nazification du corpus coranique et de l’ethnocentrisme encore au centre de la pensée  anticoloniale. Organique et sanguine, la conversion-distorsion autorisera les Américains, puis  donc certains intellectuels français, à comparer dès 1990 Saddam Hussein à Adolf Hitler.  Laissant également entendre une étroite relation entre le raïs baathiste et Al Qaïda, l’Administration Bush rédigera la “Lettre des Huit” (déclaration de soutien signée par Blair,  Silvio Berlusconi Vaclav Havel et José Maria Aznar) énonçant le 30 janvier 2003 que « Le  régime irakien et ses armes de destruction massive représentent une menace pour la sécurité  mondiale ». Ainsi, afin de justifier la guerre préventive, une propagande pilotée depuis la Maison Blanche répandra des inepties d’État. 

Celles-ci débutèrent après que les troupes de Saddam Hussein aient envahi le 02 août 1990  l’émirat du Koweït. En mettant alors la main sur des richesses surveillées par les  descendants de l’Oncle Sam, il s’assurait du soutien d’une rue arabe rétive aux vassaux des  pétromonarchies, devenait le chef d’un monde arabe privé de capitaine au long cours  depuis le décès de Nasser, d’un leader égyptien ayant décidé de nationaliser (à la barbe  d’une coalition anglo-française lâchée par les États-Unis) en 1956 le Canal de Suez. Une  année après, on parlait déjà d’un choc de civilisation reformulé trente cinq ans plus tard  (fin 1992-début 1993) par un Samuel P. Huntington persuadé qu’il « (…) dominera la  politique à l’échelle planétaire » parce que culturels, les fondements du conflit global « (…) opposeront des nations et des groupes relevant de civilisations différentes.»

La confrontation prenait en 1991 la forme d’une croisade qui, baptisée “Tempête du  désert”, écrasera une armée faussement décrite comme la quatrième du monde. Les autres  embrouilles de la première Guerre du Golfe rendront tellement irréelles les “frappes  chirurgicales” pilonnant la Mésopotamie, que Jean Baudrillard se demandera dans le  journal Libération du 06 février 1991 : “La Guerre du Golfe a-t-elle eu lieu ?”. Son  interrogation obligeait à réfléchir sur la présence fantomatique des autochtones, sur une  factualité si fugace et transparente qu’ils seront complètement effacés des écrans radars. À la place de corps vivants et pensants flottera un « (…) déchaînement technologique  sophistiqué ». De l’avis du sociologue, des fluctuations informelles, nuées de signes et  tracés illuminés inscrivaient la « (…) conception dominante de la télévision comme  amnésie programmée » puisque servant de leurres, « (…), le médium se met à fonctionner  sans message, sans contenu, sans image, (…) ». 

C’est justement parce que « L’image est l’événement qui parfois traverse le réel (…), ce qui  naît d’une rencontre avec l’Autre », évoquera le critique de cinéma Serge Daney  (Libération du 04 février 1991), qu’à la Culture de « (…), la vieille civilisation chaldéenne  et mésopotamienne (…) » (Jacques Berque, Algérie Actualité du 15-21 août 1991) se  suppléera une espèce de grand jeu vidéo, une pyrotechnie « (…) qui n’est pas accidentelle,  ni due à une véritable censure mais à l’impossibilité d’illustrer, de représenter cette indétermination de la guerre .» (Jean Baudrillard). Prélude au “Choc des civilisations”,  celle du Golfe symbolisait pour Mostefa Lacheraf le « (…) maillon et épisode d’une  “défaite à répétition” imposée par l’Occident aux sursauts libérateurs du Monde arabe. » (Algérie Actualité, du 15-21 août. 1991). İl s’agissait encore d’empêcher ses sociétés de  construire leurs propres nomenclatures ou mécanismes cognitifs et plutôt que des  retrouvailles avec son “Autre”, il y avait (et il y a toujours) une nette évacuation de son  visage, une figure si gommée des champs visuels que des milliers de cadavres (100.000 d’après certaines études) demeureront ensevelis dans les trouées de l’oubli. Contrairement  aux multiples témoignages survenus à Paris après les massacres du vendredi 13 novembre 2015, aucun retour d’images révèlera le patronyme de désormais inconnus, ne reviendra  sur les souffrances post-traumatiques des rescapés de la “Tempête du désert”

En janvier-février 1991, l’unanimisme conjoncturel des patriotes musellera les  contradicteurs et, maquillant les compassions, les résumés télévisés apporteront du crédit à  une fratrie texane (la famille Bush) rodée aux boursicotages de ses revenus pétroliers.  W.W Bush soufflera sur les braises de l’enfumage ambiant en rappelant le 02 février 1991  que la religion « (…) incarne, le bien contre le mal, le juste contre l’injuste, la dignité  humaine et la liberté contre la tyrannie et l’oppression ». Comme le Yang (fenêtre de la  clarté) qui s’oppose au Ying (souffle de l’obscurité), sa dichotomie simpliste renvoyait aux  voix discordantes qui orchestrent la partition du heurt des cultures. 

Au moment où s’effondraient chez les arabo-musulmans les derniers résidus du mythe des  droits de l’Homme, la polyphonie discursive de l’Office de l’influence stratégique (OİS) échafaudait « La plus grande manœuvre d’intoxication de tous les temps » (Mme Jane  Harman, représentante démocrate de Californie), s’apprêtait à diffuser aux États-Unis des  mensonges propagés ensuite au sein des médias étrangers. Employé dès 1990, le cabinet de  communication “Rendon Group” peaufinera la fausse déclaration de la soi-disant  “infirmière” de l’hôpital de Koweït arguant avoir vu les soldats irakiens jeter des  nourrissons à terre. Déterminante, cette attestation convaincra les membres du Congrès  d’opter en faveur de l’intervention militaire. Notoirement dissout, l’Office de l’influence  stratégique (OİS) reprendra du service à partir des attentats du 11 septembre 2001. Bénéficiant d’un contrat de 100.000 dollars par mois, il influencera (en concordance avec  les agences de renseignement que sont la CİA, la DİA et la NSA) une opinion publique à  “retourner” au nom d’une guerre psychologique (psy-war) « (…) pensée en fonction de la  couverture télévisuelle ». Aussi, les chaînes en continu diffuseront 24 heures sur 24 des  données livrées clefs en mains et aux compte-gouttes par le Bureau des plans spéciaux  (Office of special plans) que Paul Wolfowitz créera au niveau du Pentagone. Favorable à  une nouvelle cartographie politico-pétrolière et géostratégique, le fils George (élu  Président en novembre 2000) rangera des pays comme l’İrak dans l’ “Axe du mal” après  que ses conseillers en communication aient arboré le 12 septembre 2002 (au Conseil de  sécurité de l’ONU) le rapport Une décennie de mensonges et de défis, un document  spécifiant que « L’İrak entretient des liens étroits avec le réseau terroriste Al-Qaida et  menace la sécurité des États-Unis parce qu’il possède des armes de destruction massive ».  

Dès le 20 février 2002, le New York Times dévoilait l’entreprise de manipulation psychique  dont feront partie intégrante la libération rocambolesque de Jessica Lynch et le subterfuge de Colin Powell. Prononcée le 05 février 2003 devant le Conseil de sécurité des Nations Unis,  son allocution Failing to disarm (Échec au désarmement, un exposé fourni par  l’administration de Tony Blair et qui se nourrissait d’une synthèse des services de  communication du Downing Street) mentionnait que «Saddam Hussein a entrepris des  recherches sur des douzaines d’agents biologiques provoquant des maladies telles que la  gangrène gazeuse, la peste, le typhus, le choléra, la variole et la fièvre hémorragique ». Afin de justifier la seconde attaque menée contre l’İrak, le secrétaire d’État américain exhibera en  pleine séance onusienne un tube d’anthrax. Participant du “racontage d’histoire”, le pseudo indice démontrait qu’un dictateur, hier appuyé pour contrer les ambitions de l’İran, constituait  désormaiss un danger imminent et couvait des réseaux djihadistes. Feignant de croire à ces  versions, Bush et son entourage préconiseront une action rapide, alors que la France misait sur  le respect du dialogue Nord-Sud. Avant de faire parler la foudre, celle qui aura vendu  beaucoup d’armes à l’İrak (notamment donc pour contenir les velléités iraniennes) préférait  prendre en compte une région aux multiples facettes parce que « (…) l’arrogance des  grandes puissances entraînera inévitablement la radicalisation des populations et une  recrudescence du terrorisme international ». L’enlisement des Yankees, leurs multiples  bavures et finalement départ feront d’un İrak éclaté en trois régions distinctives (kurde,  sunnite, chiite) la contrée idéale du djihad.  

On perçoit mieux dorénavant la pertinence des analyses d’un Dominique de Villepin qui précisera (dix jours après que Powell ait évoqué des liens entre Al Qaïda et Bagdad) qu’il  fallait avoir « (…) le courage de mettre les choses à plat » afin de colmater « (…) les  fractures entre les sociétés, entre les cultures, entre les peuples, fractures dont se nourrit le  terrorisme ? ».

İl y a à l’évidence bien lieu de reconnaître que seule une « (…) réponse efficace à l’impératif  du désarmement de l’İrak. » pouvait éviter en janvier-février 2003 l’inexorable enchaînement  d’une animosité qu’espérait éviter un « (…) vieux pays, la France (qui croyait) en (la) capacité à construire ensemble un monde meilleur », mais que les autres va-t-en-guerre  Nicolas Sarkozy et François Hollande mèneront dans une impasse en annexant leur politique  étrangère à celle des Américains.  

Après avoir reçu (suite à de longues années de purgatoire) à Paris (le lundi 07 décembre 2007) le colonel Mouammar Kadhafi pour une visite de cinq jours censée marquer « (…) une étape  significative dans le retour progressif de la Libye au sein de la communauté internationale » et aboutir à l’entérinement de juteux contrats en matière de nucléaire civil, le premier  (Sarkozy) enverra le 15 juin 2008 ses émissaires à Damas. Jusque-là Persona non grata,  Bachar al-Assad assistera un mois plus tard au défilé du 14-Juillet. Son blanchiment  diplomatique tenait au fait qu’il devait jouer un rôle de premier plan dans la réussite de l’  “Union pour la Méditerranée”, projet sous couvert duquel s’inscrivait un processus de paix  avec İsraël et l’indépendance reconnue du Liban. La réadmission du despote syrien dans le  concert des nations se confirmera lorsqu’il sera, en compagnie de son épouse Asma, reçu à  déjeuner par le couple présidentiel français et le secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant.  En ce mois de décembre 2010, se préparait sans doute déjà, sur les recommandations de  l’entremetteur Bernard-Henry Lévy, le rejet d’un Kadhafi s’apprêtant à mâter les rebelles de  Benghazi, un fief extrémiste financé par le Qatar, le bailleur de fonds du wahhabisme. En  collusion avec la monarchie du Golfe, la France “sarkozienne” enverra plus d’un millier de  missiles sur la Libye (opération “Harmattan”) et armera (comme le Qatar et les Émirats arabes  unis) des islamistes en révolte, notamment “La Brigade du 17 février” entrée victorieuse à  Tripoli au mois d’août 2011. À sa tête, se trouvait Abdelhakim Belhadj, un vétéran de l’Afghanistan qui, tentant en vain (entre 1994 et 1998) de renverser, avec le Groupe islamiste  du combat libyen (GİCL), le régime en place, se réfugiera chez les Talibans puis en İrak où,  faisant allégeance à Al-Qaeda, il côtoiera Moussab Al-Zarkaoui. Séquestré (en 2003 dans une  geôle thaïlandaise) par la CİA et livré en 2000 à Kadhafi, il feindra une repentance pour  retrouver sa faculté de nuisance et participer activement à l’insurrection menant le 20 octobre  2011 au lynchage télévisé de son ancien maître. İl fallait cette fois filmer en directe la mort  d’un tyran venu en 1969 à bout de la royauté soutenue par l’Occident. Quatre années après son  exécution, commandent, dans un pays gangrené par les rivalités ethniques, des satrapes confisquant l’arsenal (kalachnikovs, grandes, missiles anti-char, Milan lance-roquettes, fusils  d’assaut, mitrailleuses, explosifs) du “BATA-CLANİSME”, néologisme caractérisant  l’engrenage du “Choc des civilisations”. 

Au milieu du sanctuaire barbaresque naviguent les milices de l’État islamique (Eİ) et des  gangs organisant la fuite de centaines de migrants africains prêts à débourser mille cinq cents  euros pour s’embarquer sur des bateaux rapiécés, se faire larguer en pleine mer ou échouer en  haillons sur une plage européenne. Contraint d’accueillir une partie de ces naufragés, François  Hollande maintiendra que le régime de Bachar-el-Assad est la cause liminaire de l’apparition  de Daech, alors que celle-ci découle, comme tente ici de le démontrer notre conscience  historique, des deux guerres du Golfe. Elles conforteront l’ “expan-sionnisme” territorial d’İsraël et sa position d’allié objectif de l’anti-terrorisme. L’État hébreux profite aisément de  la convergence entre l’hégémonie du capitalisme et la recrudescence du djihadisme, cela  d’autant plus que son spectaculaire accroissement a pour effet rétroactif de renvoyer au  second plan la justesse des revendications palestiniennes. En quête de ressources naturelles à  bas coût, l’impérialisme financier à lui aussi tout intérêt à reconfigurer l’échiquier sur la  logique des représailles au fondamentalisme afin de briser ce qu’il reste d’État-nation au sein de pays arabo-musulmans de plus en plus compartimentés en parcelles tribales. La  fragmentation spatiale résulte de la distribution des pions initiée par Les Pompiers pyromanes,  titre du livre de Pascal Boniface. Le directeur de l’İnstitut de relations internationales et  stratégiques (İRİS) y dénonce l’islamophobie et ceux qui l’entretiennent dans le monde et en  France, là où les ex-blédards ou rejetons de chibanis continuent de subir des discriminations à  l’embauche. Tout autant déstabilisés, ils réclament, en tant que Français, légitimement leur  part du gâteau pendant que d’autres y renoncent en partant combattre en Syrie, Lybie ou en  İrak aux côtés de Daech et du Front al-Nosra. Comme dans une Algérie qui verra dès 1990 le  retour d’ “Afghans” surfant sur la vague islamiste, la France subira de nouveau les ressacs des  despérados enragés. Œuvrant dans le “déclinisme” environnemental, ils perturbent les réalités  conceptuelles des “touts-à-l’égo” et font de la menace explosive un objet de fascination à la  hauteur de leur absolutisme. Jetant “tout-à-l’égoût”, ces pousses-mégots de la peur ont vomi leur beuverie mentale dans la “Ville lumière des perversions et luxures”, sur les terrasses où  les bourgeois-bohêmes (dits bobos) racontent souvent les épisodes de leur centralité. İls  ignorent en cela les souffrances périphériques des prisonniers de Guantanamo, de cette  enclave cubaine louée annuellement 3500 dollars par les Américains et transformée par eux  en zone de non-droits pour que la torture d’État puisse s’y appliquer en toute impunité. 

Le commando venu dans la capitale française (et ses environs) décimer 130 individus n’avait  absolument pas le même but idéologique à atteindre que le duo chargé le 07 janvier 2015 de  cibler les caricaturistes et/ou journalistes de l’hebdomadaire Charlie Hebdo. Les huit hommes missionnés répondaient dix mois plus tard aux bombardements par les armes, ripostaient en  tant que soldats d’une cause à leurs yeux juste. Leur engagement meurtrier ne ressemblait  donc pas à celui de traîne-savates ou traîne-misère dont le rite de passage à l’acte fluctuait  davantage sur la sacralisation d’un Dieu unique et le rituel d’une vengeance au blasphème.  L’encéphalogramme plat de l’acculturation gangrène les cerveaux d’orphelins de la  République en complète perdition là où quelques gardiens iconographiques de la “Vielle  France” ne rêvent que de couper le cordon ombilical rattachant le multiculturalisme à la  laïcité. Déclarant ces deux dimensions incompatibles, Alain Finkielkraut citera le 13  novembre 2013 (entre 08 et 09 heures du matin, toujours sur “France-Culture”) par deux fois Boualem Sansal, écrivain que nous décrierons dans un récent article comme une des cautions anti-islamistes de la bien-pensance française. Contrairement au protagoniste de Slimane  Bénaïssa, ce Boualem là cultive le pessimisme, dépeint (au sein de 2084, la fin du monde) un  totalitarisme religieux déniant aux humains le droit de goûter aux joies de l’existence. En  gestation, ce système tentaculaire et reptilien agit en Abistan, nouvel empire de soumission à  l’obscurantisme. Y règnent des prédateurs ressemblant quelque peu aux corrupteurs d’une  Algérie où le régime militaro-bureaucratique a signé une alliance tacite avec les chefs des  repentis descendus en 2000 du maquis. İl n’y aurait de ce fait plus une société bipolaire mais  les deux faces d’une même médaille frappée au sceau de la clôture dogmatique. Échapper à  cette équation (système FLN et système fondamentaliste), c’est en quelque sorte, ou en  définitive, se délivrer du dilemme dans lequel était enfermé Sisyphe. Représentant le soleil, ce  héros absurde fut condamné à rouler ad vitam aeternam un rocher, à le hisser au stade du  solstice d’été sans qu’il ne retombe aussitôt sur le versant opposé du solstice d’hiver.  İmpossible à réaliser, cette tâche se répétera sans fin car chaque jour l’astre lumineux se  cache, la nuit venue, sous l’horizon, ne serait-ce que pour rythmer le cycle annuel des saisons.  

İl faut, écrira cependant Albert Camus, « (…) imaginer Sisyphe heureux » car sa satisfaction  se trouvait dans l’exécution de la besogne à entreprendre. C’est sans doute la même jouissance qui habitait la stupidité cynique d’assassins dont le travail accompli plongeait le vendredi 13  novembre 2015 les habitants de Paris et de sa proche banlieue dans l’abattement. 

Les attentats funestes endeuillaient des dizaines de familles touchées de plein fouet par le  “Choc des cultures” ou “BATA-CLANİSME”. L’impact séparait le mode d’être des  insouciants de celui des misfits(désaxés)-psychopathes sortis des coulisses pour changer sur  les planches du “Bataclan” le programme musical et accorder les gammes de leur spectacle  mortifère sur la confessionnalisation des conflits. Remplaçant la lutte des classes, celle-ci a  jeté aux orties la violence symbolique suggérée ou prescrite à coups de taxinomies, s’est  posée en substitut des matrices herméneutiques afin que des nihilistes se remettent à croire au  spectre de l’au-delà rédempteur et à la mise en perspective de quelques vierges illuminées.  Adoptant le statut de la victime expiatoire, ils se connectent par ailleurs aux réseaux  groupusculaires de l’islamo-banditisme pour mieux répondre aux médiations mystificatrices des donneurs de leçons. Les projections narratives de ces derniers résonnent par analogies  pour justifier des conquêtes protectrices et déjouer le sentiment de persécution et de  culpabilité, celui-là même qui alimentera la sacralité de la Shoah et le bien fondé de guerres  contre un Orient dévalisé parce que se logeaient prétendument derrière ses dunes quelques  spiritualités perdues et à reconquérir.  

Se pompera aussi dans le vaste désert pétrolifère, les 90 millions de dollars que l’Arabie  Saoudite versera pour qu’une certaine rhétorique ne réveille pas les stagnations séculaires  mais formate plutôt les cooptations mandarinales et les subordinations de dépendance sur le  socle séculaire d’un endoctrinement que l’Algérie tente maintenant de solutionner via sa campagne de radicalisation. L’Exécutif algérien laisse cependant étrangement des prêcheurs  cathodiques propager leur haine du cosmopolitisme culturel alors que, écroué depuis la fin du  mois d’avril 2015 à Meghaïr (wilaya d’El Oued), le dessinateur Tahar Djehiche écopera (le 19  novembre dernier) de six mois supplémentaires de prison et de 500.000 DA d’amende pour  avoir posté sur Facebook des caricatures de Bouteflika et incité à manifester à Ain Salah contre le gaz de schiste. L’outrage prononcé envers un artiste grimant un Président en pleine  “alacrité hollandaise” démontre que si Boualem, zid el gouddam dans le champ sémantique et  bipolaire du “Choc des cultures”, il n’a pas encore approché la plénitude zénithale d’un soleil  (peut-être “sénaquien”) susceptible de fondre l’ombre portée des pourfendeurs d’espaces, ces  adeptes d’un choc des cultures dupliqué donc en “BATA-CLANİSME”. 

Assis depuis plusieurs jours aux terrasses de la capitale française, nous, “titi parigo” de  “Ménilmuch”, levons notre verre à la santé de tous les plasticiens, dramaturges, écrivains,  cinéastes et musiciens, repensons à celles de la Casbah, de Bab El Oued, de Notre dame  d’Afrique ou du quartier de Belcourt que Merzak Allouache filmera en 2013 pour montrer  qu’un homme y subi la torture, qu’un second reste cloîtré dans une cage et qu’un troisième  s’entraîne en récidivant quelques exercices pugilistiques. D’autres plans caméra dirigeront le  focus sur une instrumentaliste en répétition enviée par une voisine battue alors qu’une épouse  délaissée essaiera de rassurer sa fille atteinte de folie et un fils toxicomane défoncé aux  psychotropes. Telles sont les cinq séquences (cadencées par autant d’appels à la prière) que racontera à ciel ouvert le long métrage Les Terrasses. Autrefois espaces de liberté et de  conciliabules féminins, ces agoras se métamorphoseront, avec le réalisateur algérien, en désordre permanent, refléteront les destinés lugubres d’une ville qui se désintègre jour après  jour pour n’avoir pas su ou voulu neutraliser ses démons avec les mots de la diversité  culturelle, dissiper l’exacerbation de la pensée unique et la propagande des béotiens corrupteurs ou derviches tourneurs enclins à ventiler, à tous les étages, une paresse d’esprit  étouffant les sonorités performatives des créateurs. 

 Saâdi-Leray Farid.
Sociologue de l’art.
Paris, le 24 novembre 2015.

 

 

 

 

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