Etre pédagogue de sa propre histoire : En hommage à Boufersaoui Belkacem, Hioun Salah, Mesli Choukri, Soufflet Zahia Mireille.
Ne pas occulter, ne pas oublier, ne pas effacer. Ces huit dernières années, 59 artistes plasticiens nous ont quittés (1). En avez-vous entendu parler ? Avez-vous observé une commémoration ou un hommage ? Qui s’en souvient ? Qui a fait l’effort de s’en souvenir ? Qui s’en souviendra ?
Conjurer le silence et proscrire l’amnésie, en cultivant la transmission doit être l’œuvre de tous, nul n’a le droit de s’en affranchir. Nous devons constituer, voire reconstituer, cette mémoire avant que l’usure du temps et des volontés ne soit une deuxième mort pour ces compagnons disparus.
Il faut donner à la communauté artistique un «prolongement d’existence et d’influence». C’est l’objet du projet du centre de documentation et de recherche, un lieu-mémoire, dédié aux arts visuels. Un pôle de ressources d’informations sur les arts visuels, qui soit à la fois un lieu de diffusion d’informations et de convergence de toutes les informations ayant trait aux disciplines artistiques concernées. L’animation de ce lieu est indispensable, aussi importante que le projet, et sera porteuse de valeur ajoutée, pour fédérer, si besoin en était, les artistes, les rendre solidaires avec ce lieu de mémoire et de recherche. L’idée d’un partenariat avec l’université me semble de nature à faciliter l’émergence de recherches plus approfondies, d’études plus pérennes.
Ce lieu-dépôt et de conservation de la mémoire artistique, arts visuels, a pour objectifs :
– la conservation et la diffusion de la mémoire artistique ;
– la constitution d’un espace centralisé d’informations pour le citoyen et les acteurs de la scène artistique nationale, et au-delà : ressources multiples, outils de recherche et conseils documentaires y seront à disposition ;
– la contribution à la diffusion de l’art et de la culture auprès d’un large public ;
– la gestion et la conservation des informations portant sur les arts visuels, offrant aux artistes, aux associations, aux institutions, une plateforme d’information professionnelle sur l’art, son économie, sa diffusion ;
– d’être un partenaire culturel et un relais institutionnel des musées, des écoles d’art, des artistes ;
Par toutes ces actions, le centre de documentation et de recherche sur les arts visuels valorise, transmet, fait connaître la création actuelle et ouvre de nouveaux horizons de recherche et de connaissances.
Il pourrait contenir :
– une documentation biographique, une base de données en ligne, qui offre un accès direct aux biographies et bibliographies des artistes. La base en ligne rend compte de l’ensemble de la communauté des artistes et couvre tous les domaines de la création. Elle est mise à jour régulièrement et vise à l’exhaustivité : versement de nouvelles notices, de nouvelles images, de nouveaux documents [écrits, filmés, audio], enrichissement des données
– un fonds spécialisé sur l’actualité artistique: ouvrages, rapports, périodiques, dossiers de presse, films, vidéos ;
– un fonds-ressources des organisations internationales ;- un fonds historique issu des bibliothèques universitaires, des bibliothèques de musées, des archives de la radio et de la télévision, de l’Institut national de l’audiovisuel, des archives des artistes, des institutions artistiques et culturelles ;- un portail de ressources accessibles en ligne: actualité artistique internationale, fils d’information, liste des dernières nouveautés, liste des revues et dossiers d’actualité ;
– une documentation professionnelle : publications, actualité, calendrier des événements, conditions d’accès aux écoles d’art [cursus, diplômes et vie étudiante], statuts et modes de recrutement des enseignants, protection par le droit d’auteur, exploitation des œuvres, obligations fiscales, mécénat, sécurité sociale [obligations sociales des artistes, couverture et prestations, déclaration d’activité, identification, assujettissement, affiliation], création d’entreprises, formation, commandes, ventes, contrats de cession de droits d’auteur, exposition, résidences, aides de l’Etat, appels à candidatures et offres d’emploi, résidences d’artistes, appels à projets, offres d’emploi.
Les contributeurs au centre de documentation et de recherche sur les arts visuels sont tout désignés :
– Les institutions algériennes qui possèdent un fonds sur l’art : bibliothèques de musées, bibliothèques universitaires, les universités, la télévision [fonds images], la radio [fonds audio] ;
– Les artistes qui pourraient mettre à disposition les fonds documentaires concernant leur parcours artistique : catalogues, presse book, affiches d’expositions, images [filmées et animées], dossiers de presse ;
– Les institutions à l’étranger qui pourraient contribuer à ce fonds global ;
– L’équipe-projet de l’institution qui, en mode de «veille active» capterait en continu des éléments d’information ;
– Les manifestations intellectuelles et/ou universitaires organisées dont les actes seraient des contributions majeures pour l’institution.
A partir de ce centre de documentation et de recherche, une unité d’études et de prospectives peut être organisée. Elle aurait pour vocation de mener des études et d’être un incubateur d’idées au bénéfice des institutions travaillant sur les problématiques culturelles. Des études collaboratives peuvent être menées et partagées avec l’université, les centres de recherche et les écoles d’art. Ces études «réarmeraient» en termes d’idées et d’analyses le dispositif «arts visuels» national. Il faut rassembler l’ensemble de nos productions de savoirs, dans le champ des arts visuels, aujourd’hui, dispersées, atomisées. Il ne faut pas s’interdire de l’avenir, il faut se mettre en appétit et en compétence et dégager une zone de confort pour tous, qui soit celle de «l’intelligence culturelle collective».
La direction de l’institution pourrait être assurée par un expert des questions et des projets culturels et/ou un universitaire qualifié sur ces questions-là. Un conseil d’administration, composé, d’universitaires et d’acteurs de la scène artistique, pourrait seconder la direction dans la conduite du projet. Le personnel «technique» de l’établissement doit être issu de la filière de formation «bibliothéconomie». L’animation du projet est essentielle, elle sera porteuse de valeur ajoutée, pour fédérer, si besoin en était, «solidariser» les artistes avec ce lieu de mémoire et de recherche.
La vocation de ce centre de documentation et de recherche est d’être en site propre. Il y a urgence à préfigurer cette institution, et d’ores et déjà, elle peut être domiciliée dans un centre de recherche à Alger ou dans une bibliothèque universitaire existante. Un accès libre sera permis à tous les publics spécialisés : artistes, universitaires, institutions spécialisées, acteurs institutionnels, enseignants des écoles d’art. L’autonomie de travail et de conduite du projet est à préserver. Toutefois, l’institution a besoin de financements, de fonctionnement, d’investissements et d’équipement, pour que le projet soit viable et pérenne.
Pour le personnel, une mise à disposition, ou détachement, est envisageable. Au-delà du financement, un partenariat avec le ministère de la Culture et celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, conférerait une légitimité d’intervention et de développement à l’institution, y compris dans son rapport aux autres institutions de même statut et centres de recherche.
L’Etat peut et doit étayer ce centre de documentation et de recherche, en commandant des études sur les arts visuels, à travers les départements spécialisés des institutions universitaires, les centres de recherche, une manifestation d’intérêt [avec financement] pour les recherches en post-graduation. L’université peut et doit œuvrer à un plan de recherche sur la «patrimonialisation» des arts visuels. Les maisons d’édition ont une impulsion à donner, en créant une collection spécifique, en définissant des thématiques de collaboration. L’Office des publications universitaires a un rôle à jouer dans la remise à niveau des écrits sur les arts visuels. Un enseignement dédié à l’enseignement des projets culturels et artistiques du pays, à l’université, dans les écoles d’art, à l’école du patrimoine, peut susciter des vocations de recherche et donc de «patrimonialisation» des arts visuels.
Ce projet écrit a déjà été présenté, sans manifestation d’intérêt, ni réponse, en 2010 au cabinet de la ministre de la Culture, qui m’informait de la création prochaine du centre de documentation de l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel. Le 22 novembre 2012, il a été formulé au directeur de la Bibliothèque nationale d’Algérie. Dans le cadre de la préparation des Assises de la culture, il a été porté à la connaissance de la ministre de la Culture. Manifestement, le ministère de la Culture est plus sensible et plus prompt à s’enorgueillir de l’accueil du siège de l’Organisation onusienne de l’éducation, des sciences et de la culture (Unesco) pour la protection du patrimoine africain, que d’œuvrer et de soutenir les projets «indigènes» de protection de notre propre mémoire artistique.
Mansour Abrous
25 Novembre 2017
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