Guernica, une petite ville basque en Espagne, a été bombardée le 26 avril 1937 par plusieurs escadrilles de la Légion Condor de l’aviation allemande, venues soutenir les troupes nationalistes sous la direction du général Franco. Après avoir largué leurs bombes incendiaires, les avions de la mort ont laissé derrière eux une cité en ruines dévorée par les flammes, ainsi que des milliers de cadavres gisant sur un sol calciné.
Le nom de cette petite ville est à jamais associé à l’œuvre monumentale de Pablo Picasso, qui porte également le nom de « Guernica ». Cette peinture, mesurant 3,49 x 7,77 mètres, a été réalisée en 1937 à Paris en réponse à une commande du gouvernement républicain de Francisco Largo Caballero pour le pavillon espagnol de l’Exposition universelle qui s’est tenue à Paris en 1937. Cette œuvre est largement interprétée comme une réaction au bombardement de Guernica, ordonné par les nationalistes espagnols et exécuté par des troupes allemandes nazies. Cependant, il est important de noter que certaines sources et experts peuvent avoir des opinions divergentes sur la signification exacte de l’œuvre.
En célébrant son 86e anniversaire cette année en 2023, “Guernica” demeure d’une actualité poignante, car elle reflète les conséquences des bombardements, notamment ceux qui ont eu lieu dans la bande de Gaza en Palestine, perpétrés par les escadrilles de la mort du de l’Etat biblique d’Israël. Cette œuvre semble intemporelle.
Au sujet de cette oeuvre Picasso affirme : « La guerre d’Espagne est la bataille de la réaction contre le peuple, contre la liberté. Toute ma vie d’artiste n’a été qu’une lutte continuelle contre la réaction et la mort de l’art. (…) Dans le panneau auquel je travaille et que j’appellerai Guernica et dans toutes mes œuvres récentes, j’exprime clairement mon horreur de la caste militaire qui a fait sombrer l’Espagne dans un océan de douleur et de mort. ».
Selon les déclarations de Picasso au peintre Jerome Seckler, le taureau ne symbolise pas le fascisme, ainsi que de nombreux critiques et historiens de l’art l’ont supposé, mais exprime une forme de « brutalité » et d’« obscurité ». Quand Daniel-Henry Kahnweiler lui demanda de clarifier le sens du taureau, il lui répondit : « Ce taureau est un taureau, ce cheval est un cheval. Il y a aussi une sorte d’oiseau, un poulet ou pigeon, je ne me souviens plus, sur la table. Ce poulet est un poulet. Bien sûr, les symboles… Mais il ne faut pas que le peintre les crée ces symboles, sans cela il vaudrait mieux écrire carrément ce que l’on veut dire, au lieu de le peindre. Il faut que le public, les spectateurs, voient dans le cheval, dans le taureau, les symboles qu’ils interprètent comme ils l’entendent. Il y a des animaux : ce sont des animaux, des animaux massacrés ». (source)
Pour l’anecdote, durant la Seconde Guerre mondiale, Picasso, qui vivait à Paris, reçut la visite d’Otto Abetz, l’ambassadeur nazi. Ce dernier lui aurait demandé devant une photo de la toile de Guernica (conservée à New York au MoMA) : « C’est vous qui avez fait cela ? », Picasso aurait répondu : « Non… vous. » (source : Roland Penrose, Picasso, Flammarion, 1958). Cette anecdote ne fit que renforcer le mythe entourant l’œuvre.
Pablo Picasso
Guernica, 1937
Oil painting on canvas, 3.49 x 7.77m
Museo Sofia Reina, Madrid, Spain
Polémique
Mais une polémique récente, suscitée par José María Juarranz, historien et géographe diplômé de l’Université Complutense de Madrid, vient remettre en question la thèse officielle. Ce spécialiste qui a passé quatorze ans à décortiquer dans les moindres détails la peinture de Picasso. Il signe aujourd’hui, un travail de recherche accompagné de plus de 250 pages de photos et de témoignages et il déclare devant la presse : « Picasso n’était ni affecté ni touché par le bombardement de Guernica. »
Selon José María Juarranz, entre le 1er mai et le 4 juin, Picasso réalisera 45 études préliminaires qui sont conservées et datées. Au cours de la période préparatoire, le tableau, peint en noir et blanc, connaitra huit états successifs avant la version finale présentée le 4 juin 1937. Dora Maar, muse et amante de l’artiste, prendra des photos tout au long de l’élaboration de la toile. Jusqu’au dernier moment, Picasso n’a pas donné de nom à son tableau. Ce n’est que lorsque son ami Paul Eluard qui lui rend visite, accompagné de quelques amis, que l’un d’eux à la vue du tableau s’écriera : « Guernica ! ». Le tableau vient de trouver son nom. Le maître du cubisme a signé là, son œuvre magistrale. Ce tableau est l’un des plus connus au monde.
L’ouvrage intitulé « Guernica : Le Chef-d’Œuvre Méconnu » (Guernica: La Obra Maestra Desconocida, publié par les éditions Rodrigo Juarranz en 2018), présente une perspective différente et remet en question l’idée que l’œuvre de Picasso a un lien direct avec le bombardement de Guernica. Selon cet ouvrage, il serait erroné de penser que ce tableau, qui dénonce les horreurs de la guerre et est souvent présenté comme un symbole du pacifisme, ait été inspiré par le drame de Guernica. En réalité, il refléterait simplement des épisodes tragiques de la vie de l’artiste. L’auteur affirme que « quand on connaît la vie et l’œuvre du peintre, on comprend que la seule chose qui l’intéressait, c’était lui-même ».
Des révélations très durs contre un artiste engagé qui a proclamé très haut : « La peinture n’est pas faite pour décorer les appartements, c’est un instrument de guerre, offensif et défensif, contre l’ennemi. »
Le tableau restera au MoMa de New York pendant plus de quarante ans. Après la mort de Pablo Picasso en 1973, la toile retourna en Espagne le 25 octobre 1981. Elle fait partie des « 105 œuvres décisives de la peinture occidentale ».
Tarik Ouamer-Ali