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Hacene Drici «Rassembler architecture et peinture»

Natif de Bouira en 1982, Hacen Drici est diplômé de l’Ecole supérieure des beaux-arts d’Alger en 2009. Il fait partie d’une génération aux parcours créatifs divers et aux personnalités artistiques affirmées. Loin de subir l’ombre des ancêtres, pour lesquels ils ont par ailleurs respect et admiration, ces jeunes artistes tracent leur chemin avec assurance, non seulement en Algérie, mais aussi à l’international. Il est lauréat du le prix Aïcha Haddad de la Ville d’Alger, du prix Ali Maachi (2009) et de la médaille d’argent du Prix international d’Ankara (2010).«Sa principale source d’inspiration est l’architecture associée à la peinture, à l’idée de monumentalité qui reste figée dans le temps. Ces peintures sont comme les témoignages d’endroits disparus depuis longtemps», affirme le peintre Nouredine Ferroukhi. L’interview fut réalisé par le journaliste Walid Bouchakour à l’occasion de son exposition  «Hope in darkness» au mois de février 2018 à la galerie Seen Art, Alger.  

– Parlez-nous de votre parcours depuis votre sortie des Beaux-Arts ?

Ma première exposition individuelle a eu lieu en 2011 à la galerie Baya du Palais de la culture d’Alger. Une autre a suivi au CLS, une petite galerie en face de la fac centrale. En 2013, c’était à la galerie Dar El Kenz. Il y a eu aussi une intervention artistique sur le mur du hall de l’Institut français en 2014. La dernière expo solo, c’était à l’Institut culturel italien en 2016.

Voilà pour les expos solos à Alger. Sinon, à l’étranger, j’ai eu plusieurs participations : une exposition individuelle en République tchèque et puis une autre dans un village médiéval italien, à Rocantica, près de Rome. C’est grâce à un ami italien qui a restauré une maison et monté un festival culturel dans ce lieu. On a inauguré ce lieu avec mon exposition.

– Depuis 2016, quelle réflexion vous a amené à l’expo «Hope in darkness» visible actuellement ?

Un moment donné, j’ai réfléchi et je me suis dit : il faut que je fasse quelque chose de complément différent. Bon, je garde toujours l’esprit, le style, la touche, mais il faut que je me renouvelle. La dernière exposition s’intitulait «Lignes et transparences». C’était un travail technique et esthétique mais aussi une réflexion sur l’architecture dans le patrimoine algérien. Après le patrimoine, je voulais toucher à l’actualité.

– D’où vient votre intérêt pour l’architecture ?

En vérité, je voulais devenir architecte. Comme je n’ai pas pu intégrer l’école d’architecture, je suis rentré aux Beaux-Arts d’Alger. Mais mon amour de l’architecture est resté. A chaque fois, je cherche un moyen de rassembler architecture et peinture. L’architecture est un art majeur. Au même titre que la sculpture ou la peinture. Ce que je sais c’est que depuis mon enfance, je voulais faire carrière comme artiste. Si la toile est mon support, l’architecture est une grande source d’inspiration.

– Cette fibre artistique est-elle née dans la famille où est-ce venu plus tard ?

On n’a pas d’artistes à proprement parler dans la famille mais le goût pour le beau me vient de ma défunte mère. Elle faisait de la poterie berbère, de la tapisserie et aimait bien l’art en général. D’ailleurs, elle était ravie de me voir pratiquer cette discipline. Son impact est indéniable.

– Revenons à «Hope in Darkness». Comment la série s’est-elle constituée ?

Tout a commencé avec le tableau intitulé «Oil» (Pétrole) qui montre la face noire de l’exploitation des richesses fossiles. J’ai décidé d’explorer le thème des guerres mais tout en gardant une place pour l’espoir. L’espoir au milieu de l’obscurité, c’est le titre de l’expo. Mon rôle comme artiste, c’est de passer un message, de témoigner de ce qui se passe autour de moi mais aussi de donner de l’espoir.

On cherche toujours une lumière qui nous permet de nous en sortir, pour aller de l’avant. Tout le travail se traduit par un va-et-vient entre la thématique et la forme. Comment exprimer le mouvement, les émotions… Au milieu d’une atmosphère sombre et chaotique, je place des touches de couleurs vives pour dire : je suis là, j’existe.

– Vous réalisez vous-même l’encadrement des toiles. Une envie de tout maîtriser…

Pour moi, l’encadrement fait partie de l’œuvre. Ce sont des lignes de continuité qui prolongent l’œuvre. Et puis c’est ce qui met en valeur notre travail. Par exemple, je peux faire un cadre symétrique pour un tableau et aller vers l’asymétrie pour un autre qui est déjà symétrique. C’est un exemple.

Si j’ai décidé de faire moi-même l’encadrement, c’est qu’on trouve difficilement un artisan pour vous faire exactement ce que vous voulez. Pour cette exposition, j’ai aussi varié la couleur des cadres entre le noir pour la partie «Darkness» et le blanc pour la partie «Hope».

– Comment a été accueillie cette exposition ?

Sincèrement, très bien. Les gens qui me suivent ont apprécié le changement qui s’est opéré durant ces deux années. Entre les artistes et le grand public, j’ai reçu des réactions très intéressantes. Et puis des remarques et des interprétations qui me font voir mon travail autrement. C’est tout l’intérêt de partager ces œuvres.

– Vous insistez sur la nécessité de se renouveler à chaque exposition. N’est-il pas aussi important de garder sa touche personnelle ?

Bonne question. Certes, je change de thématiques mais je reste Hacen Drici. Et le public le remarque. Le plus important, c’est de rester sincère. Ne pas faire de plagiat ou du maquillage juste pour plaire. Quand un visiteur reste plus de deux heures à regarder tes œuvres, c’est réconfortant. ça veut dire qu’il y a de la poésie, une profondeur et un message.

C’est cela la sincérité. Il faut donner ce qu’on a en soi. Pour une de mes toiles, j’ai commencé à peindre presque inconsciemment après avoir vu un film de guerre (Insurrection). Les images ont éveillé quelque chose en moi et il fallait que cela sorte. Il faut que l’inspiration vienne du fond de l’artiste. Il m’a fallu attendre ces deux années pour que cette nouvelle série se construise. Il y a un changement immense mais je reste moi-même. En vérité, ma peinture change parce que moi aussi je change.

– Comment avez-vous décidé de consacrer un travail aux guerres du Moyen-Orient ?

Quand on voit cette violence terrible, même si on n’est pas en Syrie ou en Libye, cela nous touche directement. Et puis je côtoie des gens de ces pays. J’ai des amis palestiniens et puis il y a ces familles syriennes qui viennent ici pour fuir la guerre. Ces histoires nous influencent. En plus, avec Internet, on voit en direct ce qui se passe dans le monde.

L’espace n’est plus une barrière. Quand je vois les guerres civiles, ça me rappelle fatalement ce qu’on a vécu durant les années 1990. On a grandi dans la violence. Les bombes, les têtes coupées… Ce sont des choses qui vous marquent. Au-delà de ça, la situation de ces peuples concerne toute l’humanité. Si on n’est pas touché, c’est qu’on n’a pas de cœur. Et quand on a un moyen d’expression comme la peinture, ou la musique, ou la poésie, c’est une responsabilité aussi de s’exprimer.

– Vous évoquiez les images de la décennie noire. Pensez-vous un jour lui consacrer des peintures ?

Ce travail est en moi. Je ne sais pas quand il ressortira, mais il est en moi. Tout ce qui entre en vous doit ressortir. Encore une fois, je ne veux pas forcer les choses. Chaque tableau doit venir de lui-même comme une nécessité. Et puis il faut que j’en sois convaincu pour le présenter. Dans ma vie comme dans mon art, je ne fais jamais une chose sans en être totalement convaincu. 

Walid Bouchakour
17/02/2018
Source : El watan