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Le saxophoniste - Mohamed Djenidi - Collection privée

ILS SE CACHENT POUR S’ETEINDRE par Amel Djenidi

Décembre arrive, c’est la fin. La nuit est des plus longues de l’année. Que la nuit est froide! Et quelle année ! Une année de confinement, de séparation, d’isolement. Nous nous sommes retrouvés dans une situation inédite de devoir faire attention à des choses auxquelles ne nous prêtions pas attention. Qui aurait parié que  nous passerions une année renfermés, loin de nos proches, de nos soutiens psychologique et émotionnel, à broyer du noir dans notre coin.

Dans cette nuit d’hiver, les températures baissent et nos proches déclinent. « Ils seront dans un monde meilleur » nous dit-on, nous l’espérons. Mais nous, qui sommes encore là, cette tombée de rideau nous glace le sang. Esseulés, abandonnés à notre sort, nous attendons. Tel a probablement été le sentiment de nombreux artistes plasticiens algériens. Ils avaient une famille, des amis, sur les photos des événements, ils étaient bien entourés et pourtant, ils étaient éloignés. Perdus face à leur destin, à leurs angoisses, à leurs maladies, à leur utilité dans une société aveugle à ce qui se crie, sourde à ce qui se peint.

Combien avons-nous vu, connu, côtoyé ou simplement avons-nous entendu parler d’un artiste délaissé ? Sans ressources, sans aides, sans acheteurs et surtout sans épaule loyale sur laquelle se poser, ces artistes se cachent pour s’étioler. Après les expositions fulgurantes, des reconnaissances nationales et internationales, ils arrivent à l’achèvement. Nous assistons à leur départ, les uns après les autres avec une ingrate impuissance.

On clôture le bal des disparus, vivants à travers leurs univers et qu’on ouvre le bal des vivants, paumés dont le monde est si asséché que l’on arrive à distinguer l’écho des braves.

Ils ont peint sur de la toile réutilisée, sur des morceaux de bois, sur des bouts de journaux, sur les murs de leur sinistre lieu de vie, toutes les couleurs de leurs tourments restés longtemps étouffés.

Sous le soleil éclatant méditerranéen, décembre arrive mais ce qui nous attend est probablement un hiver durable.

 

Hommage à Abdelwahab Mokrani (1956-2014) et son ami Mohamed Djenidi (1954-2010) et tous ceux qui nous ont légué un art honnête.

Amel Djenidi