Lorsque l’on plonge une pellicule photographique (noir et blanc) dans une solution réductrice, ses grains réagissent à la lumière, se transforment en argent métallique et donnent naissance à l’image. Stoppé par un second bassin d’arrêt, ce révélateur sera ensuite figé par une troisième action qui désensibilisera le film de manière à ce qu’il puisse être insolé, c’est-à-dire exposé à la lueur du jour sans risque d’être voilé.
Pour que le livre Mersault, contre-enquête puisse se métamorphoser en jeu d’ombres et de lumières ou en camaïeux moléculaires, il a fallu l’immerger au sein du grand bain médiatique parisien. Les spots fluorescents de la critique littéraire favoriseront la germination d’une œuvre qui ne pouvait se dévoiler qu’après la dissipation des cendres. Apparaîtra alors du pré monde la figure de Kamel Daoud, un visage dont l’aura grandira si rapidement que deux purgations viendront stopper sa séquence honorifique. La première prendra la forme d’une pseudo-fatwa que le fondamentaliste Abdelfatah Hamadache Zeraoui (chef du parti non agréé Essahoua ou Front de la Sahwa libre) propagera le 16 décembre 2014 sur la toile (à partir de sa page Facebook puis via le réseau cathodique). La deuxième se caractérisera par la douche froide du médisant Rachid Boudjedra qui sur la chaîne “Ennahar-TV” traitera l’ouvrage en question de « (…) médiocre, sans construction ni philosophie (…), écrit en français et publié en France ». İl le comparera de « (…) minable navet » accompli par un homme qui devrait aller au hammam pour se départir du complexe de colonisé, pour en quelque sorte se laver de quelques impuretés. En insistant sur un corps à désinfecter, sans doute parce que sanctifié par des considérations exogènes, le communiste donnait du crédit à l’appel au meurtre visant l’éditorialiste. Proche du Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS), son rival, ou dénigreur du moment, fut l’un des maillons propagandistes de la Charte d’Alger (avril 1964), de l’Autogestion, de la Révolution agraire, de la Gestion socialiste des entreprises (GSE) ou de la Charte nationale de 1976 (revue en 1986). İl sous-tendra ainsi la chaîne des croyances d’intellectuels de gauche qui, partageant avec le courant islamiste leur conviction en la justice sociale, accuseront comme eux l’ancienne puissance coloniale d’avoir souillé la terre nourricière.
En ne sachant, en ne voulant ou en ne pouvant se dépêtrer des asservissements du Programme de Tripoli de mai-juin 1962, de cette feuille de route anti-cosmopolite, les ex-éveilleurs du processus révolutionnaire furent très tôt à la remorque d’une espèce de divinisation de l’ “algérité” ou “algérianité”. Partageant les opinions de Kateb Yacine ou d’Abdelhamid Baïtar, invoquant respectivement les concepts de “terre altérée” et “souillée”, le metteur en scène Mohamed Boudia ambitionnera dès 1963 de bâtir un théâtre engagé fuyant « (…) le style d’un Occident détraqué et décadent (…) ». Accusant en mars 1966 ses coreligionnaires d’avoir quitté une Union nationale des arts plastiques (UNAP) préservant « (….) de tout sentiment impur. », le peintre M’Hamed İssiakhem interviendra une année plus tard pour reprocher à quelques “Aouchemites” (et particulièrement à Denis Martinez dont les perturbations esthétiques dérangeaient la hiérarchie axiologique établie) d’avoir montré en 1967 un art dévergondé. Leur Manifeste se référera lui-même à une culture populaire dans laquelle « (…), s’est longtemps incarné l’espoir de la nation, même si par la suite une certaine décadence de ces formes s’est produite sous les influences étrangères ». Les termes du plaidoyer de mars 1967 désignaient en effet les Phéniciens, Romains, Grecs, Turcs et Français comme responsables de la dépravation, de la violation d’une souche vierge de laquelle seront extraits des “Signes” indemnes de toutes contaminations, ayant conservé en eux la primitivité de populations plébéiennes.
Au centre de revendications culturelles et identitaires se trouvait le procès d’un Occident profanateur des archétypes d’une authenticité (açala) recherchée de manière plus sanguine par des salafistes convaincus d’un terreau national non spolié. Abandonnant le terrain du “socialisme-spécifique”, ils s’apprêtaient dès le début de la décennie 80 à arpenter les cieux sacrificiels du “Vrai Dieu” pendant que, réunis à l’université d’Alger (à l’occasion du colloque de juin 1979 Balades dans la culture en Algérie), des intellectuels décochaient leurs flèches incendiaires sur des tapuscrits ou magazines français accusés de phagocyter les productions in-situ. Comme mesures protectionnistes, le chercheur Mostefa Boutefnouchet émettra trois années plus tard (1982), dans son livre La culture en Algérie, Mythe et Réalité, le besoin d’élever « (…) des frontières, entre le contenu culturel des pratiques considérées authentiquement, spécifiquement nationales, et le contenu d’œuvres réalisées par des nationaux, mais empreints de traits culturels de l’idéologie dominante en pays occidental, déployant leurs influences néocoloniales sur les jeunes nations cherchant à consolider leur personnalité, leur identité, leur culture ». Deux décennies après l’indépendance, il était de bon aloi d’affirmer que l’assimilation à la culture de l’Occident chrétien ou capitaliste entretenait la confusion de l’espèce, avilissait et acculturait. En vertu d’une prétendue vérité sauvegardée des souillures exogènes, les biens pensants de “gauche” contribuaient inconsciemment à faire le lit de l’intégrisme islamique puisque l’obscurantisme « (…) est directement hérité des nationalismes de la postindépendance, dont le souci fut de préserver une soi-disant personnalité, (islamique, algérienne, etc.) contre “l’invasion culturelle occidentale” (dont cette intelligentsia était la pointe), en s’opposant aux acquis les plus décisifs de la pensée contemporaine ».
Cette propension obsessionnelle à vouloir retrouver des sources prudes (une circonvolution corrélative à la réprobation takfiriste), autorisera à désigner mécréant (kafir) les “laïco assimilationnistes”, un glissement sémantique sous couvert duquel s’accentueront pendant la “décennie tombale” les attentats ciblant écrivains, comédiens, poètes, artistes, metteurs en scène et journalistes. Peu compatissant à leur égard, l’intervenant du Monde Jacques de Barrin les vilipendera le 05 novembre 1993 (avec l’article “Les intellectuels et les autres”) en leur reprochant de ne s’être « (…) guère manifestés au temps des années de plomb lorsque leur pays vivait sous la férule du FLN, le parti unique. Par leur apathie, ils se sont alors rendus complices d’un Régime totalitaire presque aussi odieux que celui auquel rêvent les fous de Dieu. ».
Refusant l’analyse critique des présupposés idéologiques, les hérauts du processus révolutionnaire perdront la bataille des maux sociaux sur le terrain des divers volontariats, là où ne pousseront que les racines rabougries de l’anti-intellectualisme rampant. L’ex-agitateur Boudjedra est à ce titre un désenchanté chez lequel les fulmines du pseudo-imam Hamadache Zeraoui trouveront quelques échos puisqu’il se fera donc en décembre 2014 le porte-voix du média privé “Ennahar” qui l’invitera sur son plateau pour servir « (…) de caution “laïque” (…) » et offrir l’affligeante « (…) image d’un guignol aigri, (…). İl est le revers imbécile et athée du fanatique obtus. », décrètera Sid Ahmed Semiane dans le périodique El Watan du 19 décembre 2014.
L’une des figures de proue du modernisme littéraire réincarné en fixateur du révélateur de la postmodernité romanesque : Kamel Daoud
En indiquant (au sein du quotidien L’Expression du 11 novembre 2013) que la nouvelle génération d’écrivains « (…) fait son boulot (…), mais pas de chef-d’œuvre, (…) », l’auteur de L’Escargot entêté et de La répudiation la situait déjà en dehors du cercle des génies Mohamed Dib et Kateb Yacine auxquels il ne cesse de se mesurer. La filiation lui permis de se fondre à l’intérieur du sillon transgressif de la contemporanéité épistolaire, de certifier être « (…) le troisième à avoir cassé les codes (…), les tabous sexuels (et) l’hypocrisie sociale ». Ses ruptures subversives s’exprimeront d’abord par le biais d’une graphie ciselée qui, ouvrant les entrailles des moisissures, profanera le corps et bannira du “Moi-Je” toute jouissance, de la même manière que la dévitalisation d’un négatif permet de le solariser.
Honnissant le profil marxiste de Boudjedra, de celui qui sortira en pleine guerre civile le pamphlet Les Fis de la Haine, Hamid Grine lui reprochera de tremper ses mots dans l’encre de la perversion ou profanation, de n’être qu’un vulgaire « (…) provocateur qu’il ne faut pas prendre au sérieux ». Le désormais ministre de la Communication dira militer en faveur de « (…) la culture de la tolérance, du dialogue et de l’échange », proscrira le 19 décembre 2014 « (…) toute forme de violence écrite ou verbale » après qu’Abdelfatah Hamadache Zeraoui ait donc appelé le régime à appliquer la charia islamique, à sanctionner Kamel Daoud, à le « (…) condamner à mort publiquement, à cause de sa guerre contre Dieu, son Prophète, son livre, les musulmans et leurs pays. ». En mettant « (…) le Coran en doute ainsi que l’islam sacré », le chroniqueur au Quotidien d’Oran se serait « (…) attaqué à la langue arabe », aurait « (…) blessé les musulmans dans leur dignité (…), fait des louanges à l’Occident et aux sionistes (…) ». Réitérées sur des chaînes privées, plutôt islamo-conservatrices, l’apostasie et hérésie n’avaient pas pour prolégomènes une analyse de l’œuvre mais la prestation télévisée que son responsable livrera sur “France-2” le samedi 13 décembre 2014, pendant l’émission On n’est pas couché de Laurent Ruquier, là où il considérera que « (…) si on ne tranche pas dans le monde dit “arabe” la question de Dieu, on ne va pas réhabiliter l’homme, on ne va pas avancer. ».
D’abord gagné par la parole divine, l’ “infidèle” Kamel Daoud abandonnera une « (…) langue arabe piégée par le sacré, par les idéologies dominantes. », c’est-à-dire un déjà-là réfractaire au théâtre (Jacques Berque), adoptera à la place un idiome non « (…) fétichisé, politisé, idéologisé », un verbe le menant sur les traverses d’un renversement intellectuel. Souhaitant de son côté acquérir le fameux quart d’heure de gloire accordé à tout à chacun par le peintre américain Andy Warhol, Hamadache Zeraoui (dont le vœu est de “nettoyer” la société des mécréants non-musulmans adeptes d’une néo-judaïsation de l’Algérie) multipliera les “coups médiatiques” en s’en prenant successivement à deux ministres, celle de l’Éducation, Nouria Benghebrit-Remaoun (accusée d’être israélite parce que son grand-père, imam de la Mosquée de Paris, aura hébergé et sauvé des rafles des Séfarades ou Ashkénazes) et celui des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa (il prévoyait dès le 1er juillet 2014 l’agrément de « (…) lieux de culte pour les juifs ») puis de la chef de file du collectif Barakat, Amina Bouraoui, une « (…) mécréante qui n’a ni religion, ni vertu (…)» car soupçonnée par le quotidien Echourrouk du samedi 22 novembre 2014 d’avoir annoncé que le prêche du vendredi dérangeait la quiétude des citoyens. Après ces trois échecs, le prédicateur réussira son coup médiatique en instrumentalisant la nouvelle célébrité de Kamel Daoud.
Ce que celui-ci énonce ou écrit à propos de la religion musulmane, de cette vérité-révélée envahissant et inhibant tous les champs de la réflexion, d’autres penseurs algériens l’ont, bien avant lui, analysé sans pour autant provoquer le même ramdam. C’est d’ailleurs ce qu’Abdellali Merdaci fera remarquer avec son article “Une insensée et ruineuse campagne de promotion” (paru dans le périodique Reporters du 23 décembre 2014). Partant du principe que l’İslam reste la « Religion de la majorité des Algériens », l’universitaire ne supportait plus une vaste publicité répandue au profit d’un récit « (…) de seconde main ou de circonstance », et qui n’aurait pas « (…) connu un tel succès en France, sans l’activisme de mauvais aloi de son auteur », d’un stratège préoccupé, « (…) au gré de provocations répétées (…) de ses maigres débuts dans la littérature (…) », d’un blasphémateur appartenant « (…) à cette terrible catégorie d’écrivains qui poussent leur carrière sur les flots de scandales et d’imprécations constamment renouvelés ». Aux regards du professeur (à l’Université de Constantine), il y avait aussi lieu de dénigrer un trublion occupé à exercer « (…) son humeur délétère sur le président de son pays, les Palestiniens et l’İslam, (…)», à proférer des propos iconoclastes devenus les déclencheurs d’une fatwa providentielle utilisée afin de mieux « (…) entretenir une posture victimaire à la Salman Rushdie ». Percevant en Kamel Daoud un pasticheur exerçant en dehors du débat d’idées, Abdellali Merdaci désavouera ses traits d’humour qui « (…) lui valent un brevet d’impertinence auprès de la presse étrangère », proscrira les mises en scène d’un caricaturiste dont la seule préoccupation serait de verser dans une irrévérence enveloppée de dérisions pour se faire valoir « (…) comme une sorte d’héraut, bataillant contre un système politique abhorré », pointera du doigt un Algérien « Qui ne condamne pas le sionisme (et) déverse sa haine de l’İslam, (…)» alors qu’il appartenait (selon lui) au bataillon des sanguinaires décrétant autrefois « (…) des mises à mort, autant solennelles que radicales, contre des artistes, intellectuels et syndicalistes, (…) ». Sans pouvoir avancer de preuves formelles sur cette grave accusation, le contradicteur enfoncera un lièvre qui, en course pour les grandioses promotions littéraires, « (…) réécrit à contresens L’Étranger ». İl fera surtout l’impasse sur l’achronie de Mersault, contre-enquête, sur sa narration post moderne, un terme à saisir ici dans le sens défini par Achille Bonito Oliva.
En inventant en 1979 le vocable trans-avant-garde, le critique d’art italien annonçait la genèse d’une aventure expressionniste autorisant le télescopage des images syncopées de la figuration. Les peintres vagabonds du nouveau courant les juxtaposeront et imbriqueront à leur guise et envies, au gré de leurs allusions et intentions. İls piocheront de la sorte dans ce réservoir immense qu’est l’histoire de l’art, réfracteront ses précédents iconographiques, comme le fera bientôt la télévision à travers des émissions de variétés sur les sixties ou seventies. L’heure était aux mixages et recyclages, à la fragmentation spatio-temporelle de références visuelles revisitées par une mémoire-magnétoscope tournée en boucles et arrondie aux angles. Si sous les effets convulsifs de la postmodernité, des néo-primitivistes insufflaient en Europe une diversification des points d’ancrages, le monde arabo-islamique commençait à poser les bornes-œillères d’un repli globalisant et à Alger une poussée religieuse extrémiste évoquait déjà à sa façon la sauvegarde puis la promotion d’une culture locale menacée de l’extérieur et tout autant de l’intérieur par une intelligentsia accusée d’être trop en connivence avec la France. En suivant à la lettre les directives d’une Plate-forme de la Soummam (août 1956) qui inscrivait « La condamnation définitive du culte de la personnalité » et « (…) la rupture avec les positions idéalistes individualistes ou réformistes », elle bannissait le culte de la Personne (comme l’enseigne ordinairement la religion), refusait de faire l’apologie d’un avant-corps d’exception auréolé d’une éthique de la rareté ou de singularité, dézinguait ce modèle au profit d’une éthique de communauté garante des valeurs ancestrales et anti assimilationnistes.
Comme l’œuvre-slogan de Mustapha Sedjal, UN SEUL HÉROS, LE PEUPLE, MON PÈRE, le livre de Kamel Daoud instaure une césure paradigmatique, et c’est ce que saisira parfaitement Sid Ahmed Semiane en soulignant intelligemment qu’il « (…) faut se battre pour la différence, la dissemblance, l’altérité, la singularité ». Dans le support El Watan du 19 décembre 2014, le journaliste précisait qu’il « (…) ne faut pas que la pensée nous fasse plaisir » mais au contraire « (…) nous fouette, pour nous sortir de l’esclavage de la paresse.». Son papier “Non, je ne suis pas Kamel Daoud” grossissait le trait de cette éthique de singularité pour reconnaître à chacun sa différence, à l’auteur de Mersault, contre-enquête « (…) ce que seul lui peut se prévaloir d’être, c’est à dire être Kamel Daoud (…), une intelligence et une mécanique singulière. ». En posant la question fondamentale, « Est-il seulement possible aujourd’hui, en Algérie, d’avoir une parole créatrice, c’est-à-dire absolument singulière, possiblement excessive voire outrancière, sans qu’un procès d’intention ne soit fait à son auteur, et que celui-ci soit accusé de blasphème, de traîtrise ou d’être un “vendu” à l’Occident ? », Sid Ahmed Semiane insistait sur la coupure à assumer avec l’islamo nationalisme du Front de libération nationale (FLN), d’une famille prétendument révolutionnaire dont les sous-groupes de courtisans, dévots, conseillers et maffieux « (…) s’arrogent aujourd’hui le droit de dire qui est un bon musulman, un moudjahid avéré, un “vrai” Kabyle, un nationaliste authentique et, au-delà, ce qu’est un historien agréé ou un artiste autorisé. »
Divisant la société en dichotomies simplistes, les pourfendeurs béotiens ont pour autre principale obsession de proroger l’unanimisme, le multiple de l’Un, de la pensée unique et collective, du même sous la fausse apparence du nouveau, du semblable renvoyant la fraternité de l’opinion partagée entre consanguins. Prônant la gémellité plutôt que la diversité, la stabilité plutôt que la pluralité, la ressemblance plutôt que la versatilité, ils exècrent la réflexion transversale d’électrons libres revendiquant le droit de dessiner une appréhension du monde différenciée par les sciences sociales et humaines, maudissent les contre-courants idéologiques refusant de se faire les courroies de transmissions de l’islamisme absolu, anathématisent les créateurs favorables aux chocs psychologiques de l’outrage en les prévenant par avance : « (…) gare à celui qui quitte la tribu ». Le ministre des Affaires religieuses et des Wakfs ne dira au final pas autre chose puisque s’il qualifiera le 22 décembre 2014 (lors du forum d’El Moudjahid) de « Dérapage très dangereux » l’admonestation touchant l’écrivain-journaliste, ce sera pour mieux alléguer qu’il est « (…) en train d’être récupéré par un lobby sioniste international hostile à l’islam et l’algérianité (…). C’est Bernard Henri Levy qui intervient afin de récupérer un Algérien qu’on pourrait contenir dans la famille algérienne (…), assister et accompagner ». İl faudrait en somme ramener à la bergerie un agneau égaré à cause « (…) du charme d’un sionisme rampant » et qui aurait en l’occurrence « (…) besoin d’Enassiha (conseils), d’être interpellé à respecter les règles fondamentales de l’écriture au nom de l’Algérie et de respecter le sacré ». Le périodique El Watan du 23 décembre 2014 notait que Mohamed Aïssa jouait à l’équilibriste parce que justement incapable de couper le cordon ombilical, d’admettre la pleine et entière notion d’individu-créateur que préconisait Mohamed Arkoun. Dans l’entretien du journal L’Express, “İl est vital que l’İslam accède à la modernité” (27 mars 2003), l’anthropologue approuvait l’incontournable perturbation « (…) des systèmes de pensée religieuse anciens et des idéologies de combat qui les confortent, les réactivent et les relaient. », une sécularisation politico-culturelle que Mohamed Aïssa était incapable d’accomplir pour débarrasser les champs artistique et littéraire du tropisme de “renouveau dans l’authenticité” (culturelle et/ou révolutionnaire) à la genèse duquel se trouve l’allocution prononcée le 18 décembre 2003 (soit en clôture de L’Année de l’Algérie en France) par Abdelaziz Bouteflika. Le ministre des Affaires religieuses et des Wakfs le reprendra à son compte le 17 septembre 2014, jour où, lorsqu’un journaliste d’El Watan le questionnera sur son message préconisant que les Algériens retrouvent les transhumances du soufisme, il rétorquera que « Ce n’est pas un discours de rupture, mais simplement une démarche qui vise à dépoussiérer notre islam ancestral (car) nous avons perdu nos repères et nos référents authentiques ». İl s’agissait bien de croire en une renaissance du momifié et non pas de créditer une césure arkounienne tant en Algérie « (…) toute intervention subversive est doublement censurée: censure officielle (…) et censure des mouvements islamistes. » (M. Arkoun). Rétablir les fondements immémoriaux de la religion musulmane, les récupérer ou les retrouver via les sources de la Révélation (donc dans le Coran et la sunna), se rattacher à “l’İslam référent national” et renouer avec cette spécificité mystique qu’est le soufisme, c’est ce que s’efforçait de réaliser depuis sa nomination un docteur d’État (en sciences islamiques) donneur de leçons mais dans l’impossibilité de théoriser un sortie de la “clôture dogmatique” par une réelle revivification de l’ijtihad. De là son paternalisme envers un Kamel Daoud prié de revenir au bercail, de confesser « (…) être dans l’erreur » puisque son approche transversale fausserait les assises d’une société engoncée dans ses atavismes archaïques, au sein d’une pratique bédouine de la spiritualité facilement malléable par les doctrines extrémistes du wahhabisme, des dérives rigoristes basées sur le rejet des cultures régionales et méditerranéennes.
Les philistins de la famille révolutionnaire ne savent plus à quel saint se vouer pour refaire le coup de l’après “05 Octobre 1988”. Les relais de la police politique s’ingénieront alors à placer le Front islamique du salut (FİS) comme un épouvantail-repoussoir afin que les ouailles reviennent elles aussi docilement à la Maison-FLN. La tactique conduira à l’arrêt brutal du second tour des législatives de décembre 1991-janvier 1992, à l’exécution d’un Président indésirable (29 juin 1992) et au sabordage de toutes les décantations démocratiques. L’actuelle stratégie qui consiste maintenant à laisser les fondamentalistes tenir des congrès ou universités d’été, puis à proférer ouvertement des intimidations, participe au et du même dérapage auquel conduira donc la locution “laïco-assimilationniste”, une dérive touchant des rédacteurs de journaux accusés de traîtres ou d’agents de l’étranger, notamment ceux qui s’interrogeront sur certains crimes de masse en émettant la question polémiste : QUI TUE QUI ?
Pour discréditer ou décrédibiliser les incrédules, les autorités algériennes inviteront en 1998 le rocambolesque Bernard-Henri Lévy, celui dont Mohamed Aïssa se méfiait parce que «ki idour fi houmatna» (« quand il tourne dans nos environs, ne nous veut jamais du bien»), parce qu’à l’origine d’une pétition défendant Kamel Daoud, il « (…) s’est saisi d’une affaire qui ne le concerne ni de près ni de loin» (L’expression du décembre 2014). Accompagné tout au long de son séjour par des hommes des forces de sécurité, le philosophe écrira à la fin de son séjour l’article de commande “Choses vues en Algérie”, soit quatre pages (deux fois deux) publiées dans le journal Le Monde des 08 et 09 janvier 1998. Plutôt que de dissiper l’opacité qui entourait alors les exactions, le large papier fera l’impasse sur la vendetta et la torture d’État, sur des Groupes islamiste armés (GİA) amplement infiltrés par les taupes de la Sécurité militaire, par les sous-marins d’une police politique accaparée à entretenir insidieusement un climat de terreur afin de contenir la population et de faire fuir ou abattre les gênants “laïco-assimilationnistes”, un néologisme également vulgarisé par Hamraoui Habib Chawki. Après s’être évaporé quelques années en Roumanie, où il recevra des Lettres de créance en tant qu’ambassadeur, l’ex-présentateur du journal télévisé de l’ “Unique” (et ancien ministre de la Culture du gouvernement de Belaïd Abdesselam) rejoindra dès avril 2013 le staff habilité à soutenir le quatrième sacre d’Abdelaziz Bouteflika puis se montrera le samedi 08 novembre 2014 à l’occasion de l’inauguration de la 5ème édition des Journées cinématographiques d’Alger (JCA). Ce jour là, l’opportuniste se trouvait à la salle “El Mouggar” près de l’universitaire Ahmed Bedjaoui et de la ministre de la Culture, Nadia Cherabi-Labidi, laquelle ne dira mot pour défendre Kamel Daoud de peur sans doute d’être remise à sa place comme elle le fut après s’être positionnée en faveur du long métrage de Lyes Salem L’Oranais, lui-même invectivé par le prédicateur Cheikh Chamseddine, toujours par le canal télévisé.
Dans la “Lettre ouverte d’artistes à la ministre de la Culture” (publiée dans le journal El Watan du 22 décembre 2014), le ou les rédacteurs réclamaient un « (…) droit à la liberté d’opinion et d’expression, sous tous ses aspects, et ce en toute sécurité » et attendaient de la part de l’apostrophée « (…) une réponse réelle, un geste fort, un signe clair, une action cohérente (…) pour faire halte à ce danger qui menace gravement les artistes et le pays ». Nadia Cherabi-Labidi réagira par l’intermédiaire de son département, lequel abordera le jeudi 25 décembre 2014 la controverse ouverte autour du livre Ce que les gens de Sebeiba disent. Sens du rituel de l’Achoura dans l’oasis de Djanet de Meriem Bouzid-Sababou, une introspection jugée en partie “diffamatoire” car l’anthropologue y relatait l’apparition de la prostitution pendant la colonisation française. Des notables de la région (İlizi) réclamaient fin novembre le retrait du document paru en 2013 avec l’aide du Centre de recherche préhistorique, anthropologique et historique (CNRPAH). L’organisme dépend d’un ministère de la Culture qui estimera que seul le Conseil scientifique était en mesure d’ “évaluer” les passages à l’origine des protestations. L’institution de tutelle exprimera une position de principe tout aussi ambigüe que celle précédemment émise par le ministre des Affaires religieuses, tant elle soumettra la liberté de création et d’investigation aux “spécificités” de la société algérienne dans “ses diverses manifestations et perceptions culturelles”. Soufflant le chaud et le froid, la première locataire du Palais Moufdi-Zakaria se prononcera personnellement, vis-à-vis de la censure et des contraintes publiques perturbant la quiétude intellectuelle de Lyes Salem, Kamel Daoud et Meriem Bouzid-Sababou, que le 30 décembre 2014. Elle reconnaîtra alors la nécessité de protéger les particularités des champs scientifique, artistique ou littéraire et combinera cette exigence évolutive au respect des valeurs identitaires, culturelles et religieuses. Désormais restreintes au cadre de la politique de concorde et de réconciliation nationale (“moussalaha el wataniya”), l’étude rationnelle et l’expression créatrice ou subversive des auteurs étaient jugulées par un antagonisme aussi inopérant que fut la construction sémantique ou néologisme de “socialisme-spécifique” asséné à l’entendement général lors des décennies soixante et soixante-dix. İnsufflée indépendamment du substrat culturel, la modernité linéaire du premier (le socialisme) contredira en permanence le retour aux sources constamment imprimé par les tenants de l’orthodoxie religieuse. C’est en réalité leur hétéronomie qui fait pencher la balance du côté du refoulé, enserre la teneur des débats, notamment ceux inhérents à une refonte constitutionnelle qui fait toujours l’objet de nombreux chantages. Si Khalida Toumi dû au début de sa prise de fonction accueillir une espèce de berger admis à faire tourner sept fois un mouton à l’intérieur de la cour centrale de son ministère de la Culture, sa remplaçante distribuera en novembre 2014 des Corans (escortée par son homologue des Affaires religieuses) pendant la dernière journée du Salon du livre d’Alger. Lorsque Kamel Daoud expliquera “chez Laurent Ruquier” que sa reconversion intellectuelle se réalisera à partir de la lecture non pas du Livre-Saint mais de dizaines d’autres, il déclenchera les foudres d’un derviche tourneur mais aussi donc de bien-pensants léguant à sa Personne une agitation éhontée et une ambition égotiste, celles d’un folliculaire « (…) qui n’a encore rien prouvé, qui n’a pas pris le temps de forger une vraie œuvre littéraire, qui ne peut se prévaloir que d’une indécente rage de gloire, qui est prêt à tout raser sur son chemin pour y parvenir ».
Abdellali Merdaci lui reproche de piétiner les fameuses “constantes nationales” (“thawabit el wataniya” ou “ettawabite el watania”) qui trouvent leurs soubassements essentialistes dans le Coran puis la Révolution. Propices à l’exclusivisme ou au nihilisme, ces bornes communautaires (“thawabit el oumma”) et emblématiques sur lesquelles repose la personnalité algérienne (l’İslam, la langue arabe, précisément celle du Coran, la défense de la tradition et du drapeau, etc…) relèvent du processus politico-cultuel de différenciation qu’une société postcoloniale a engagé dès l’indépendance vis-à-vis de son ex-dominateur, d’un intrus venu de l’extérieur pervertir l’immaculée conception. Bien que l’Armée algérienne claironne avoir gagné la bataille sur le terrain militaire, lorsque le 11 janvier 2000 plus de 6.000 djihadistes de l’Armée islamique du salut (AİS) quittaient le djebel des environs de Jijel, déposaient les armes en échange d’un certificat de “grâce amnistiante”, cette reddition obtenue à l’instar de la rahma (pardon) ne s’est pas faite sans concessions. Pour que d’anciens émirs acceptent de convaincre d’autres desperados de capituler, il a fallu qu’islamo-baathistes et fondamentalistes s’entendent sur une certaine moralisation des mœurs dorénavant influencée par le paradigme de “renouveau dans l’authenticité” (culturelle, cultuelle et révolutionnaire) articulé pour rétablir des liens étroits avec une tradition non dépravée.
Kamel Daoud serait un autre Judas qui structurerait son plan de carrière en fragilisant le socle vertueux de la nation algérienne.
Les blâmes énoncés par Merdaci à l’encontre du lauréat du “Prix des cinq continents” (de la Francophonie) ressemblaient fortement à ceux vulgarisés via son texte “Le printemps israélien de Boualemn Sansal, postures et impostures littéraires” (du 28 mai 2012, dans le périodique Le soir D’Algérie). Le moralisateur raillait la villégiature d’un homme dont le processus de reconnaissance s’orchestrerait non pas en phase avec les implications politiques et sociétales du biotope originel, en concordance aux compétitions symboliques et à leurs teneurs dominantes, mais « (…) dans une conscience typiquement française ». İl dépendrait ainsi entièrement d’une « (…) forme d’aliénation néocoloniale », d’une recherche de sollicitations et de validations de l’Occident, d’une quête de consécrations à concrétiser par le biais de coups médiatiques et de louanges exogènes, elles-mêmes assignées à une solidarité envers l’État d’İsraël et le sionisme (une accointance qui sera démontrée depuis la publication du Village de l’Allemand). L’appétence de celui se posant « (…) volontiers comme victime du système (ou) rebelle au pouvoir d’Alger », s’accommoderait de connivences avec l’État hébreu pour surenchérir sur « (…) une similitude entre le nazisme et l’ordre qui prévaut en Algérie et dans beaucoup de pays musulmans et arabes ».
Relier la logique de l’ “État-Armée providence” ou “État-Armée surveillance” aux doctrines nazies est non seulement anachronique mais en total décalage avec la nature d’un régime plus proche du tribalisme que d’une idéologie fondamentalement fasciste. Confondre le pouvoir des généraux algériens et la doctrine nazie n’est intellectuellement pas tenable puisque leur ordre prédateur répond à des instincts grégaires qui, constitutifs à ou de la culture traditionnelle, maintiennent des atavismes despotiques et nihilistes. Profondément ancrés, ils habitent le cerveau de quelques gardiens du temple, comme le démontrera l’anecdote voulant que le chef de la sécurité d’Alger ait chuchoté à l’oreille de Hans-Joachim Klein (le complice allemand du Vénézuélien İlitch Ramirez Sanchez, dit Carlos, accueilli en décembre 1975 dans une villa huppée d’Alger après avoir libéré les otages kidnappés le 21 décembre au siège de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole-OPEP) que « Hitler était un homme bien…». Si donc ce témoignage subséquent renseigne sur les relents réactionnaires de la police politique, il y a lieu de considérer davantage un anti-intellectualisme primaire encore plus efficace après le putsch du 19 juin 1965 mené contre la “dérive égotiste” d’Ahmed Ben Bella. L’Homme au burnous et cigare (Boumediène) s’arrogera tous les rênes d’une dictature “super-visée” par la Sécurité militaire (SM). Le maillage territorial de son système se délitera lors des événements sanglants du “05 Octobre 1988”, puis avec le premier tour des législatives de décembre 1991. İl présageait de la victoire du duo Madani-Belhadj et conduira à la “destitution constitutionnelle” de Chadli Bendjedid puis à une guerre civile de dix ans qui écumera les ressacs du Mouvement islamique armé (MİA) suivie quelques mois plus tard de ceux des Groupes islamiques armés (GİA). Les remous extrémistes charrieront les répliques sui generis de militaires éradicateurs opposés aux réconciliateurs mais cependant enclins à se mettre d’accord pour que l’édifice prétorien ne s’écroule pas. Au cœur des intrigues politiques et du monde des biseness, ils ont contribué à l’installation d’usines livrées clé en main, d’officines facilitant les transitent de contrats juteux, de commissions et rétro-commissions payées rubis sur ongles au bénéfice des privilèges du sérail clientéliste, des circuits d’allégeance et de vassalisation de baltaguia (nervis) sans scrupules qui se trouvent aux intersections des appareils institutionnels, des rouages capitalistiques du népotisme et de la rapine, d’une économie mono-exportatrice moribonde et sans dynamisme dans une contrée important tout de l’extérieur. Aucunement préoccupée par l’innovation ou le transfert des technologies, une pègre arriviste et spéculative occupe les arcanes du pouvoir et gangrène l’administration publique. Des bourgades sont désormais gouvernées comme de petits royaumes inféodés à des potentats endogènes parce que les walis filiaux se comportent en gangsters ou kleptocrates. Les yeux braqués sur les cours gravitationnels des hydrocarbures, la ploutocratie ne s’intéresse pas au développement productif, donc à l’invention car le propre de celle-ci c’est de se départir, à moyenne ou longue échéance, de l’assistanat technologique de nations étrangères qui s’efforcent de maintenir sous dépendances chroniques celles en attente d’une modernité alternative. Les recettes tirées du pétrole et du gaz ne servent qu’à financer une stratégie de la largesse, à user de condescendances pour administrer dans l’urgence la paix sociale, endormir une opinion intégrant mécaniquement une logique bourdieusienne de la violence symbolique, donc l’impossibilité de changer les choses par la désaliénation, de rompre avec la barbarie corruptrice.
Basée sur la ruse paysanne, la culture de la magouille et de la violence a engendré en Algérie un mode de gouvernance fondé sur l’équilibre des forces en présence, sur un compromis des castes, sur une espèce d’entende cordiale et tacite entre clans maffieux, le premier d’entre eux étant celui d’ “Oujda” auquel est directement affilié Abdelaziz Bouteflika. Comme ses prédécesseurs, l’autoproclamé doublure de Boumediène pianote sur le registre séquentiel de la Guerre de Libération nationale, s’arroge l’héritage de la légitimité révolutionnaire, de ses mystifications hagiographiques ou iconographiques, de ses croyances panthéistes communément admises et ordonnées en configurations mythiques. Lissée des itinéraires individuelles, l’histoire ne possède comme prises cognitives que des récits fictifs laissant supposer “que la source du pouvoir, c’est les martyrs” (Lahouari Addi), lesquels martyrs ne sont pour Boualem Sansal que le fonds de commerce de “vieux dinosaures veilleurs de conscience” dont l’obsession est de maintenir le principe de non stratification, c’est-à-dire d’un savoir non empilable et non sédimenté car provenant de ce que le Marocain Abdelkébir Khatibi nommera une quête d’ “originéité”. Dans un État algérien managé de façon aléatoire et primitive, la notion de citoyenneté flotte au beau milieu d’un “renouveau dans ou par l’authenticité” (“tajaddud wal açala”) révolutionnaire et religieuse servant à fomenter du retour à l’ancien, des relents favorables à la sanctification d’une “réconciliation nationale” (“moussalaha el wataniya”), dont la remise en cause provoque les pulsions paranoïaques d’un régime centralisateur resté à l’état de nature parce qu’ignorant justement la Culture, parce que se raccrochant aux artefacts ou parangons de l’intégrité sacrale.
İdentifier ce régime à celui du troisième Reich, donc de l’Allemagne nazi, c’est tramer les événements du monde sous couvert du prisme de la Shoah. C’est exactement ce qui s’est produit avec le chroniqueur Éric Zemmour dont le limogeage de la chaîne française “İ-Télé” ne procède en définitif que d’un vocable de trop, celui de “déportation” récemment lâché pendant un échange avec un interlocuteur italien. Voilà un essayiste qui aura à loisir, et pendant des années, pu inculquer son rejet des musulmans (voire son racisme envers eux), alors qu’il faudra à l’humoriste Dieudonné une seule allusion à l’axe américano-sioniste pour que l’ensemble de la corporation se retourne contre lui. Si le Breton-Camerounais versera les mois suivants indéniablement (et malheureusement pour lui) dans l’antisémitisme et le charlatanisme, son rapprochement du 01 décembre 2003 opéré sur la chaîne française “France 3″ (pendant l’émission de Marc-Olivier Fogiel “On ne peut pas plaire à tout le monde”) ne méritait assurément pas un bannissement fomenté par un réseau constitué d’une brochette de sentinelles sonnant la cloche dès que le bien-fondé de l’exode vers la terre promise est mis en cause. Ce même retour étant anormalement réprouvé pour des Palestiniens chassés de leur terre natale, la sanction alimente en permanence la sensation de frustration et le terreau du terrorisme, donc un radicalisme qui par rétroaction donne du grain à moudre à ceux pressés de vendre leur pain béni, leur manœuvre consistant à prévenir en permanence d’un risque potentiel ou éminent présageant l’anéantissement du “Peuple élu”. Le 11 janvier 2014, Serge Klarsfeld demandera à Dieudonné de « Faire acte de repentance » pendant que d’autres bâtonniers préconiseront un stage de rafraîchissement de la mémoire à des cerveaux là aussi encrassés. Cette sacralisation du souvenir reste aussi mythique que celle inhérente à la martyrologie de moudjahidine, aussi problématique que la foi imprégnant l’extrémisme musulman. Alors que des journalistes et pamphlétaires algériens dénoncent régulièrement le régime autocratique des galonnés et des mollahs étoilés, l’intelligentsia juive résidant en France évite de heurter la politique “expan-sionniste” de Benyamin Netanyahou, cultive au contraire habilement le sentiment de culpabilité des européens de façon à renouveler le filon de la compassion dont « (…) Sansal a désormais le bon usage », atteste son détracteur Merdaci. À ses yeux, il ne respectait pas le positionnement d’un État algérien refusant de reconnaître l’existence de celui d’İsraël né trois années après la fin de la Seconde Guerre mondiale. En juin 1945, le monde apprenait avec stupeur que des wagons scellés obéissant à un programme d’extermination avaient conduit des juifs dans le no man’s land de camps de la mort, notamment à Auschwitz où l’âme du père d’Edwy Plenel s’échappera du four crématoire. Entendre l’ex-directeur du quotidien Le Monde parler de son géniteur avec les larmes aux yeux ne peut laisser indifférent, d’autant moins que ses locutions dégagent et développent le plus souvent un message irénique, terme à rattacher au nouveau cosmopolitisme. L’actuel responsable du journal en ligne Médiapart se trompait néanmoins lorsque, le 08 janvier 2015, il associait sur la radio “France-Culture” le carnage éliminant dix membres de Charlie Hebdo à l’hécatombe de la rue des Rosiers (09 août 1982). D’emblée, nous avons préféré mettre en concordance le démembrement du journal satyrique avec le tragique événement déstabilisant il y maintenant 21 ans le périodique algérien L’Hebdo Libéré.
Créé en 1991, ce dernier affichait une couverture éditoriale radicalement opposée à l’intégrisme islamique, et c’est sans doute pour cela que le lundi 21 mars 1994 un commando de trois hommes armés attaquait vers 11 heures du matin son siège situé au centre d’Alger et tuait de sang-froid deux employés, en blessant trois autres (un très gravement). Faisant irruption au milieu de la salle de rédaction au moment du bouclage, le trio d’assassins pensait y trouver l’ensemble de l’équipe réunie de manière à tirer dans le tas et exterminer le plus grand nombre d’individus possible. Depuis le début des offensives en mai 1992 contre la profession, c’était la première invasion perpétrée contre un local appartenant à la presse, un assaut portant à 12 le total des victimes (décompte commencé en juin 1993). Dans son ultime communiqué, le Groupe islamique armé (GİA) réitérait ses menaces contre les journalistes, auteurs et créateurs algériens et par le biais de notre texte “CHARLIE HEBDO/L’HEBDO LIBÉRÉ: MÊME COMBAT, MÊME PUNITION” diffusé sur le site “Founoune” et sur Facebook, nous voulions aussi prévenir que des intellectuels peuvent désormais être pris pour cible partout dans l’Hexagone. Au-delà des dix individus lâchement abattus (deux policiers feront les frais de l’agression et seront “refroidis”), c’est la création artistique, l’intelligence, le multiculturalisme et la démocratie qui étaient directement touchés. Hors, les analystes Gilles Kepel et Michel Onfray dévoieront la lecture des faits, le premier en insistant le 07 janvier 2015 (à Canal +) sur les djihadistes de DAECH, un groupuscule qui n’existait pas lors de la première salve (en septembre 2011) contre Charlie Hebdo, et le second en mettant en connexion l’attentat du onzième arrondissement de Paris et l’attaque du 11 septembre 2001 à New-York. Le promoteur de l’université libre de Caen a pour habitude d’expurger la violence pour la remplacer par l’hédonisme des “algérianistes”, et à fortiori d’Albert Camus.
En prenant pour matrice L’étranger, Kamel Daoud regarde dans le rétroviseur.
İl remonte ainsi le temps à reculons de manière à attribuer une qualification à un SNP (sans nom patronymique) abattu en pleine lumière (la transcription de “Meur-sault” signifiant littéralement “meurtre au soleil”), à retourner l’héliotropisme orientaliste, à attribuer à l’Absent une identité, une “algérianité” dont les fondements ne reposent pas sur un antisémitisme larvé. L’argumentaire qui consiste à dire que les affects des Arabes en sont infectés à la souche n’est foncièrement pas valide. C’est pourtant ce que soutiennent (avec une certaine délectation) quelques chefs de file du sionisme à visage humain secondés dans leur tâche de représentation positive par Bernard-Henri Lévy. L’entrisme de ce globe-trotter rappelle celui des voyageurs du romantisme littéraire, tant il parasite comme eux les aperceptions du “Soi” musulman, se mêle d’affaires hautement politiques après s’être donc immiscé dans les enjeux symboliques minant les champs culturels des intellectuels algériens.
Ceux-ci ont à opposer aux lobbies monopolistiques hypothéquant la souveraineté nationale la notion de désaliénation appuyée en son temps par un Frantz Fanon s’ingéniant à répondre à la question, « Comment s’en sortir ? ». Comment en effet ne plus s’enliser dans les pesanteurs de la légitimité révolutionnaire, remettre d’aplomb la Personne de l’artiste, donc quelque part le modèle déboulonné de son piédestal un certain août 1956 par les rédacteurs de la Plate
forme de la Soummam, revaloriser en somme une éthique de singularité revendiquée il y a cinquante ans par Mohamed Dib qui signalait en juin 1964 ne plus accepter l’embrigadement idéologique ?
Comme de plus en plus de romanciers, peintres, metteur en scène et cinéastes, Kamel Daoud articule du “Je”, un mouvement d’individuation précédemment revendiqué par Maïssa Bey, Hamid Abdelkader, Anouar Benmalek et Yahia Belaskri, des écrivains disposés à “secouer les choses”, à semer le doute au cœur d’autres fixations, à installer “le désordre dans les idées”, à dégeler l’iceberg de stagnation érigé contre les “presqu’îles de modernité”. Avec les arts
plastiques, la littérature et le 7ème art débordent la digue d’une quête historico-identitaire subordonnée à la totalité toute bonne pour tenter d’endiguer l’expansion exotique de la chari’a, d’un islam informel livré en Algérie aux lois du “trabendisme bazarisé”. La nouvelle appréhension du “Soi Algérien” ne fait toujours pas l’objet d’une bataille entre traditionalistes et modernistes car ces derniers n’ont pas abordé de front les questions inhérentes au statut de la femme, à la réforme de l’école, de l’information télévisuelle et épistolaire, ne les ont pas suffisamment prises en charge au nom justement du surgissement d’un “Je réprobateur” que la police politique veut tout autant inhiber en espionnant les syndicats et partis, en infiltrant les associations et pôle des débats contradictoires, en verrouillant les espaces d’où les francs tireurs pourraient couler les vieux tropismes et faire émerger les nouveaux paradigmes
(notamment ceux permettant de différencier entre un État palestinien régi par des démocrates et celui susceptible d’être pris en mains pas le Hamas, une organisation avec laquelle les Algériens non normalement pas à avoir d’accointances).
Ouvrir le champ médiatique à des télévisons privées hélant des orateurs afin qu’ils répandent leur répulsion (après avoir eu le loisir de le faire à outrance dans la décennie 90 par le biais des mosquées) et interdire d’émission (en avril 2014) la chaîne “Al Atlas TV” parce que son directeur général, Hichem Bouallouche, s’opposait au quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, excluait de lui servir de caisse de résonnance, c’est volontairement offrir un “blanc-saint” aux persécuteurs accrédités. Ceux-ci mettront d’ailleurs sous scellés les studios de “Al Atlas TV”, confisqueront tout le matériel, feront de sont débit visuel un tableau noir, cela sans le respect des procédures judiciaires légales. Pendant ce temps là, d’autres gardes champêtres taperont plus fort sur leur tambour, voudront par là même faire taire les éventuelles manifestations de rues, seules alternatives à un réel changement. Face aux totems de l’autorité et de ses valeurs ou matières putatives, il faut trouver les voies et voix immunitaires de la frustration et de l’obscurantisme, prodiguer de la non soumission, libérer la problématique religieuse de la question civique, incuber de la décrispation au profit de l’émancipation humaine. En se battant contre une fracturation des nappes souterraines nécessaires à la récupération du gaz de schiste, les habitants d’İn Salah veulent protéger leur environnement et démontrent ces derniers jours un élan adéquat désormais suivi d’une vague saharienne de solidarités puisque le foyer de la contestation s’est multiplié au niveau de plusieurs localités (à Oued Souf, Ouargla, Ghardaïa, İn Ghar, İguestene, Sahla Fougania, Sahla Tahtania, Aoulef, Tit, El Ménéa et Tamanrasset).
Les auteurs et créateurs algériens doivent impérativement mettre leur pas dans ceux des gens du Sud, se réveiller pour qu’ils puissent vivre leurs autonomies, sortir des mises en ordres permettant à un Président grabataire d’ordonner le mardi 31 décembre 2014 le programme de la manifestation Constantine, capitale de la Culture arabe de façon à ce qu’elle soit en phase « (…) avec la glorieuse Révolution de novembre », contredire le directeur du Musée d’art moderne d’Alger (MAMA) assertant presque une année avant (le 16 décembre 2013) que « (…) franchement, nous n’avons pas de grands artistes d’art contemporain en Algérie », donnant ainsi une image tellement négative de leur production que la prochaine Biennale de la Havane (Cuba) n’a convoqué aucun créateur du cru. Pire, en dehors de Mohamed Borouissa qui, via la galerie parisienne “Kamel Mennour”, représente à la fois la France et l’Algérie, c’est le plasticien Didier Faustino qui est retenu pour symboliser ce dernier pays (donc l’Algérie). Voilà un subterfuge significatif de la relégation des avant-corps algériens sur la scène artistique internationale.
Kamel Daoud sait sans doute que rien n’est acquis, qu’après un premier roman à succès il a maintenant à consolider sa place au sein du paysage littéraire mondial et d’une autre génération de révélateurs foncièrement différents des ex-éveilleurs du processus révolutionnaire aveuglés par des croyances les éloignant de la distance critique, c’est-à-dire de la culture du doute, celle qui ne fait pas perdre la face. İnscrits aux abonnés absents des diverses répliques antisystèmes, ces vieux désabusés se donnent une contenance par le truchement d’hommages post-mortem convoquant régulièrement les martyrs Abdelkader Alloula et Tahar Djaout, s’identifient à eux pour faire oublier leurs compromissions circonstanciées. Pris entre le fixateur des fous de Dieux et celui des dévots de la “famille révolutionnaire”, les créateurs algériens émergents ont quant à eux abandonné les fonds baptismaux de la sacro-sainte “algérianité” au profit de l’interlocution Orient-Occident, un espace de jeu performatif que Kamel Daoud empruntera en consignant donc la postmodernité alternative sur le tableau noir de la résilience.
Saadi-Leray Farid.
Sociologie de l’art.
Le 11 janvier 2015.