Je suis stupéfait et choqué de la violence verbale et comportementale déversée sur la scène artistique. Des épisodes réguliers, aux températures élevées, qui diffusent dans tout le corps social artistique. Quelle image donne-t-on aux jeunes artistes et à nos aînés, qui nonobstant les divergences, les inimitiés, ont pacifié leur bien le plus précieux : la culture et l’art.
Avons-nous le droit, d’entretenir une scène artistique en agonie de civisme. Régulièrement, fleurissent les insultes, les anathèmes, se diffuse la vulgarité. Il y a bien évidemment une régression perceptible au niveau des valeurs citoyennes et du respect que l’on doit à autrui. Le modèle de société qui s’est sur-imprimé depuis une vingtaine d’années, et la déliquescence de l’Etat et sa nature, de ses organes de compétences, la mise sur la touche de ses élites désintéressées, ont cultivé la parole débridée, le terrorisme intellectuel.
La permissivité, depuis des années, de dire, de faire, sans être condamné, sans être sanctionné, sans que les pouvoirs jouent leur rôle de garant de la sécurité dans les échanges citoyens, a aggravé la situation. Le déficit « très cultivé » dans l’échange, l’absence de cadre de concertation, la mise en parenthèse d’une liberté de parole citoyenne, organisée, respectée, intégrée dans le corpus des paroles fondatrices, ont amplifié ces ruptures de citoyenneté et ces paroles d’indignité. D’où cette propension effrayante à l’invective, à la délation, à la rumeur et cette faune de « citoyens » ne trouvent aucun cadre juridique, inscrivant l’interdit de telles pratiques, et l’espace public, les réseaux citoyens sont coutumiers de ces délits d’opinion. Un cycle de turbulence préjudiciable au travail collectif, et à la concertation que nous devons produire pour configurer l’architecture de ce projet culturel citoyen, apaisé, collaboratif que nous appelons de nos vœux.
Apprendre à être poli dans l’énoncé de sa pensée, ce n’est pas trahir ses opinions, ses convictions. C’est plutôt raffermir son point de vue, et réaffirmer sa sérénité. Certains se décrètent « justicier » de la scène culturelle algérienne. L’esprit justicier m’inquiète, me fait craindre le retour de la morale. L’idée peut être généreuse de traquer « les magouilles », la mauvaise utilisation ou l’utilisation frauduleuse des deniers publics, mais laissons cette tâche aux institutions de la République, pour peu qu’elles s’en emparent et jouent leur rôle, à la Cour des Comptes, aux contrôleurs financiers des tutelles administratives, à la transparence en amont dans l’attribution de marchés ou de subventions, dans le contrôle à postériori des dépenses réalisées au regard du « travail fait ». Il n’y a pas de place pour les justiciers, mais pour la loi et son exercice démocratique. Il n’y a pas de place pour la confiance aveugle, mais au contrôle institutionnel et citoyen. La République des copains doit être une vieille histoire. Réactivons les mécanismes de souveraineté, de justice et d’équité dans le champ culturel.
Nous devons veiller, pour notre génération, à instiller solidarité, apaisement et fraternité dans l’espace culturel national. La droiture et la courtoisie n’empêchent pas le débat, ils le rendent noble, authentique. L’apaisement est une alternative à la bêtise, à l’inculture, au mépris et à l’injure. Restons vigilants. Il n’y a pas de débat viable et on ne crée pas l’échange avec le terrorisme des mots, l’aplatissement des convictions, la forfaiture de l’analyse.
En Algérie, tout mouvement vers le progrès, toute idée de justice crée confusion, contusion et désordre. Il faut rassurer. Il faut assurer aux inquiets que les interdits politiques nombreux du libre arbitre, des libertés de penser, de parole, d’agir, ont été au service d’une oppression. Et c’est faire perdurer cette oppression, ouvrir la voie à une rechute, que de s’inscrire dans la méchanceté, dans la cécité intellectuelle, dans le déni des intentions et des bonnes volontés.
Pas d’ignorance sacrée. Pas de sacralité de la bêtise. Effectivement, depuis quelques années, notre Pays, sur le plan culturel, s’est engagé dans une impasse. Ne nous encombrons pas de violence inutile, de colère malsaine, de souffrance illégitime, il y a tant à faire en conservant notre énergie pour assumer nos vigilances intellectuelles, artistiques, assurer nos droits citoyens, prolonger les espoirs de nos aînés, qualifier notre pays à un avenir qui est un principe de vie.
Mansour Abrous
20 octobre 2014