En 2003, paraissait à Alger un gros ouvrage d’art intitulé : « Algérie Outre Mémoire », signé du photographe Mohand Abouda, auteur d’« Axxam », intérieurs de maisons kabyles en 1985, ainsi que d’un recueil de poèmes intitulé « Le Grand Acte » (1994-1998). « Algérie Outre Mémoire » est un « ouvrage sur la mémoire photographique d’après le fonds de Lazhar Mansouri », un fonds de plusieurs dizaines d’années du photographe, propriétaire d’un studio au village d’Ain Baida, non loin de Sedrata, et ce depuis l’âge de 18 ans. Dans cet important livre de plus de 200 photographies noir et blanc (dont des dizaines de portraits de femmes avec leurs tatouages), accompagné d’un texte de Mohand Abouda et d’une préface de Leila Hamoutène, l’ouvrage a été publié aux éditions Rubicube d’Alger.
Lazhar Mansouri est né en 1935, photographe de studio, qui n’a jamais cherché la gloire. Mieux encore, il nous a quitté sans savoir qu’un jour il aurait un livre consacré à ses œuvres, ni même imaginé que celles-ci seraient exposées à Londres, New-York, Genève, Tokyo, etc. Lazhar Mansouri est l’un des plus illustres photographes d’Algérie, porté à la notoriété à titre posthume. Il est le témoin d’une certaine Algérie, celle de la seconde moitié du XXe siècle. Son histoire aurait pu s’achever dans l’anonymat avec son décès en 1985, à l’instar de nombreux photographes de studio algériens de son époque. La découverte providentielle de ses clichés, nous la devons à son ami l’auteur, Mohand Abouda, qui hérite de ses négatifs et les exploite pour son ouvrage intitulé “Aouchem (tatouages) : une série de portraits en noir et blanc de femmes tatouées des Aurès”.
Autodidacte, il décide de transformer une épicerie en studio photo à Ain Beïda, dans les Aurès, alors qu’il n’a que 18 ans. Entre 1950 et 1985, il verra défiler sous son regard d’artiste plusieurs générations de sa ville natale. Loin de l’ère des technologies numériques avancées, aller chez le photographe du quartier était une activité incontournable, dont Lazhar Mansouri a su cristalliser l’essence et les contours. À travers son regard, il nous livre des bribes de notre mémoire. Mohand Abouda le décrit ainsi : « Il cultivait la beauté en curieux invétéré, pour le simple plaisir des sens. Lazhar était humble, son talent immense, mais il n’en avait pas conscience ».
Dans un studio de fortune
C’est dans l’arrière de son épicerie que Lazhar Mansouri a donné libre cours à sa passion pour l’instantané. Cet artiste dont la renommée a dépassé toutes les frontières du monde, est né en 1935 dans un village près d’Ain Beida, dans les Aurès. Il capturera des milliers de visages, de scènes de vie, du quotidien, de portraits de femmes. Dans des mises en scène digne des plus singulière pour son époque Lazhar s’est livré sans compromis à sa passion, il est décédé au début des années 1985, suite à l’explosion d’une bombonne de gaz.
250, le chiffre de la reconnaissance !
C’est le nombre de photos puisées du fonds de Lazhar Mansouri par les photographes suisses Charles-Henri Favrod et Armand Deriaz, pour organiser une exposition itinérante à travers le monde, en 2003 !. « On y découvre une jeunesse qui vit au rythme de la mode parisienne. Il y a aussi cette sérénité et solennité extraordinaires des anciens, tout en sachant qu’ils font leur première et dernière photographie”. Charles-Henri Favrod.
D’Ain Beida à New-York en passant par Milan…
À titre posthume, à l’image des plus grands artistes de l’histoire, Lazhar Mansouri n’aura pas connu la joie de voir ses œuvres exposées au regard des passionnés de la photographie. Dans son village, dans le clair obscur de son studio improvisé, il était loin d’imaginer que ses photographies feraient le tour de la Suisse pour partir ensuite pour New-York en passant par, Rome, Strasbourg, Milan. Pour Charles-Henri Favrod : « Ceux qu’il a photographiés se montrent parfois pétrifiés, comme on peut l’être devant le photographe, parfois gênés ou amusés. Les jeunes s’exhibent devant lui, en nous donnant, du coup, quelques indices temporels comme les pattes d’éléphant, des tenues vestimentaires… »
Ces photos ont été présentées en mars 2020 lors d’une exposition consacrée à l’œuvre de Mansouri, organisée à la Westwood Gallery NYC, intitulée « Lifting the Veil: Portraits of Amazigh Women » (Lever le voile : portraits de femmes amazighes). Facebook
Charles-Henri Favrod, historien de la photographie.
Lazhar Mansouri est né au début des années trente à Ain Beïda, dans les Aurès. Petit garçon, il accompagnait sa grand-mère au marché où il découvrit un jour une visionneuse stéréoscopique, dont un conteur commentait les images colorées des Mille et une nuits. Fasciné, il ne se lassait pas de contempler le spectacle, semaine après semaine. Il y eut ensuite la première séance de cinéma. Puis, un jour, la rencontre avec Si Madjid, photographe forain venu à Constantine et opérant en plein air, qui finit toutefois par ouvrir un studio dans l’arrière-boutique du salon de coiffure. Madjid engagea l’adolescent Lazhar Mansouri et lui apprit les rudiments jusqu’à ce qu’une dispute les sépare. L’épicier finit par concéder à Lazhar un espace où il installa son propre studio et commença ses prises de vue : des portraits évidemment. Avant sa mort accidentelle, Lazhar Mansouri a beaucoup parlé au photographe kabyle Mohand Abouda qui a transcrit ses récits qu’il faut lire : “les femmes sont souvent accompagnées par un parent, un ami, un père ou un frère, qui marche devant elles selon la coutume. Elles suivent ce parent, voilées, pour ne pas être reconnues dans la rue. Quand elles arrivent au studio, elles se soumettent aux usages que j’ai instaurés ; n’entre dans la pièce de prise de vue que la personne à photographier. D’abord parce que, chez moi, c’est petit, mais aussi parce que la présence d’autrui déconcentre le sujet et fait perdre du temps inutilement. La personne à photographier dispose d’un endroit pour s’arranger toute seule, un petit miroir à main en plus de celui qui est fixé au mur, des brosses à cheveux, des peignes. En général, les femmes viennent déjà maquillées, bien vêtues et avec leurs bijoux. La prise de vue impose quelque distance, une distance protocolaire obligée qui est chez nous une marque de respect envers la femme.
Et puis les clientes sont très différentes. Alors, au premier abord, impossible de distinguer celles qui sont déjà entrées dans un studio et connaissent la procédure, de celles qui n’ont jamais encore vu un appareil et ont besoin de conseils. L’approche est assez délicate pour éviter la gêne, surtout que, pour certaines, c’est la première fois qu’elles apparaissent non voilées devant un homme étranger à leur famille. Quelquefois je suis obligé d’intervenir si des cheveux tombent sur les yeux ou si un bijou n’est pas en place. Alors, j’essaye de modifier, d’arranger, avec toutes les précautions de langage et de discrétion. Le problème des lèvres est particulier en studio, les jeunes femmes se maquillent avec un rouge qui souvent se craquèle et devient sec rapidement. Alors, je leur dis, sans équivoque, de mouiller leurs lèvres avec la langue pour leur donner un beau brillant. Quelquefois, certaines viennent avec leur fiancé, leur promis, pour qu’une photographie puisse témoigner quand s’annonce un exil ou l’absence du service militaire.”
Mohand Abouda a découvert l’œuvre de Lazhar Mansouri au moment où son fils avait mis en vrac les négatifs dans un sac et se préparait à les brûler. Sans son intervention, tout serait perdu comme il arrive le plus souvent à ces archives campagnardes, de même que la description du studio. “Pour le séparer de l’épicerie, nous avons utilisé les sacs de sel, des sacs pesant chacun un bon quintal. Un mur de sel pour établir une intimité. Les premiers éclairages étaient des lampes ordinaires de 500 watts fixées à l’intérieur de boîtes de lait Guigoz en aluminium suspendues aux chevrons. Le fond, une toile. Après quelques essais avec du noir et du gris, ajouts de bouquets de fleurs artificielles, d’accessoires. Pour les photographies d’identité, rien d’autre que le mur brut.”
Tatouages !
Par Abderahmène Djelfaoui : “Des tatouages qui – sais-je vraiment pourquoi ? – , battent spontanément le rappel en moi d’un poème d’un ami lointain et si proche, Yves Namur, dans le Hainaut, qui en son recueil « Figures du très obscur », écrivait ces vers dont l’enchantement s’applique comme le khôl au pourtour des yeux des femmes pour les grandir :
Ces traces
Qui traversent de part en part
L’âge des pierres,
Ces traces comme autant de points,
Comme autant d’oiseaux
Et de poèmes étoilés,
Ces traces me disent
Ô combien nous est proche encore,
Cette part tant attendue de l’intouchable.”
Les photographies de Mansouri sont aujourd’hui devenues des représentations synoptiques de la culture amazighe algérienne. Son travail a « noué le dialogue et ajouté une nouvelle voix à la conversation portant sur le sens de la photographie et son histoire », estiment les propriétaires de la Westwood Gallery, James Cavello et Margarite Almeida.
” Là même où trône l’unique pot de fleurs artificielles pour tous les sexes et les âges de cette province et ses environs : deux jeunes hommes en casquette se donnent pleinement les mains dans les mains tout en croisant leurs bras pour l’éternité… Eux, comme d’autres, enfants et petits enfants des silencieuses tatouées devenus déjà sans doute à leur tour époux et pères… Pères de ces enfants de moins de huit ans photographiés également dans ce même décor en maillots rayés et culottes d’été, lunettes fumées à deux sous leur donnant l’air de deux lilliputiens farmers américains de petits patelins encore jamais répertoriés…” Abderahmène Djelfaoui
“Photos d’identité, portraits de famille, de couples, d’enfants, de femmes tatouées, il immortalise le visage de ces personnes à travers des milliers de clichés. Femmes vêtues d’habits et de bijoux traditionnels, jeunes couples amoureux, enfants en costumes, adolescents cigarette à la bouche, jeunes femmes et hommes habillés « à l’occidentale », femmes âgées tatouées… Pendant la fin de la guerre d’Algérie et au lendemain de l’indépendance, Il recense alors un large panel de la société de l’époque.” Taszuri