Les propos de l’écrivain algérien Kateb Yacine sont extrait de son entretien avec Hafid Gafaiti pour la revue Voix multiples, édité en 1983.
«Je sais ce que signifie le milieu littéraire français et je ne veux absolument pas y retourner. Je ne veux pas renouveler ces rapports d’aliénation, je veux y mettre fin. J’ai d’ailleurs crié sur tous les toits, je l’ai écrit dans la presse ici, que nous avons une attitude qui relève d’un complexe d’infériorité. Nous avons l’attitude d’un peuple qui est encore dominé culturellement par la France et d’ailleurs, entre autre, par les pays arabes, mais jusqu’ici surtout par la France. Le travail de M.Jean Déjeux montre que l’Algérie n’est pas encore sortie de l’impérialisme culturel français. Donc, il ne faut pas l’alimenter, la première chose à faire est de ne pas l’alimenter.
J’ai vécu longtemps en France et je sais comment est reçu le message d’un écrivain algérien, comment il est détourné, déformé ; comment la machine littéraire, la presse, les salons, les prix littéraires aboutissent finalement à une immense conspiration contre l’Algérie, l’Afrique, le Tiers-Monde et tout ce que nous sommes, nous. Depuis que Nedjema a paru et depuis que je publie, il a été écrit un nombre incroyable de bêtises, de contre-vérités, de calomnies sur mon œuvre et sur moi. Comment démentir tout cela ? Il faudrait être écrivain comme Simenon et avoir quatre secrétaires rien que pour le courrier !
Ceci dit, j’ai en France d’excellents amis qui m’ont beaucoup aidé, et parmi eux, des écrivains comme Arnaud Gatti ou Pierre Joffroy, c’est-à-dire des révolutionnaires ou des progressistes. C’est une enseignante française, Jacqueline Arnaud, qui a le plus travaillé avec moi. Et je viens de découvrir une lectrice française qui a lu et relu certaines de mes œuvres, qui m’a lu et compris au-delà de mes espérances.
C’est pour moi une grande victoire d’être sorti de la gueule du loup, de la France et de son système.
Je pense que si l’on fait le bilan de ma vie, plus tard, ce sera un grand honneur pour moi quand on dira : “il est resté douze ans sans publier” , c’est-à-dire sans alimenter la machine des éditeurs francais. Je n’aurais jamais pensé que cela pourrait être possible et durable et que ce serait finalement ma vraie position ; que je serais capable de la tenir dans l’Algérie d’aujourd’hui, que ce ne serait pas un rêve. »
Kateb Yacine،
Extrait de son entretien avec Hafid Gafaiti
Revue Voix multiples – 1983.
Source : Ebay