La spécialité du Design existe en Algérie depuis longtemps. Enseignée à l’Ecole nationale et supérieure des Beaux-arts d’Alger, connue sous différentes appellations, Décoration-volume, Architecture d’intérieur, plus tard vers la moitié des années quatre-vingt, elle a été désignée par le nom de Design aménagement et enfin à partir de 2017 en tant que Design d’espace.
La formation de l’école des beaux-arts d’Alger (Esba) a toujours été en accord avec les programmes de l’école des beaux-arts de Paris (Ensba) et des Arts Déco (Ensad). En effet, depuis sa création en 1843 comme école de dessin, puis en tant qu’école municipale et enfin, sa construction que l’on connait actuellement, au parc Zyriab en 1954, les meilleurs élèves aux beaux-arts ou en architecture étaient envoyés à Paris pour poursuivre leur formation. De grands noms tels qu’Issiakhem, Mesli, Hemche ou Temmam ont eu ce même parcours. Ainsi, les programmes étaient naturellement complémentaires et c’est resté pour une longue période le cas.
Dans un autre environnement, la formation à Paris était un prolongement de l’essence philosophique de celle d’Alger avec d’autres performances. De sorte que les enseignants d’Alger avaient été formés aux Arts-Déco de Paris.
La réalité du terrain dans l’Algérie des années quatre-vingt était différente. « Du point de vue sociétal, matériel, industriel, il y avait des manquements » nous raconte Mohamed Yahi, designer et enseignant à l’Esba. Il poursuit « le côté génial dans l’affaire c’est qu’il fallait trouver des substituts, se casser la tête pour trouver des solutions afin de concrétiser nos concepts. Sur le point créatif, c’était intéressant ».
De cette manière, il n’était pas possible de travailler sur catalogue, il fallait trouver des artisans et déceler de quelle manière travailler avec eux. Avec l’ouverture du marché international vers les années 2000, les gens ont commencé à s’ouvrir sur des notions nouvelles comme l’environnement, ils voyageaient plus fréquemment, l’accès aux chaines tv internationales y a contribué également. Ce qui était décisif, c’est la naissance d’une nouvelle classe sociale qui avait les moyens de se permettre un designer, de travailler du mobilier sur-mesure.
La richesse ne suffit pas, c’est tout un état d’esprit, un environnement, une culture, des références esthétiques qui font un bon client. Même si le coût est le point focal, ce dernier est primordial pour voir aboutir un projet tel qu’il a été conçu au début du processus. “Maintenant, il y a plus de possibilités matérielles et des opportunités qui s’offrent à nous, nous pouvons mettre en scène l’idée qu’on avait conçu au début. Certains clients peuvent même importer des matériaux qu’on n’arrive pas à trouver ici” nous confie M.Yahi. L’Ecole des beaux-arts d’Alger, les écoles régionales des beaux-arts à travers le territoire ne sont pas les seules à former dans le design. Dans la formation professionnelle, la spécialité de l’architecture d’intérieur est très demandée. des écoles privées se chargent également de ce type de formation de courte durée.
Selon M.Yahi, designer de plus de 30 ans de métier et enseignant de design d’espace à l’Ecole des beaux-arts d’Alger, le problème essentiel qui se pose actuellement est la formation qui n’est pas mise à jour. Entre la formation abstraite et la réalité du travail, les futurs designers peuvent déchanter. “Il y a un énorme fossé entre l’univers où on apprend à devenir concepteur et la réalité du terrain. Il n’y a pas de demande. Il n’y a pas de lien entre la formation, l’industrie et les métiers d’artisanat. Il n’y a pas de structure qui permette à l’étudiant d’aller explorer de façon automatique son apprentissage dans une société”. Il y a eu par le passé, une expérience qui a été établie en faisant travailler des designers avec des artisans dinandiers de Constantine sou le nom de “Tasmim arabi fi Cirta” (à l’occasion de Constantine capitale de la culture arabe en 2015), un événement piloté par Zoubir Hellal, lui-même produit de l’école des beaux-arts d’Alger et des arts-déco de Paris. Le résultat était des plus intéressant pour revivifier ce monde qui peut être figé de l’artisanat vers une dimension plus contemporaine et adapté à des goûts actuels, grâce à la touche des designers.
Un autre problème abordé est le droit à la propriété intellectuelle. Il n’y a pas assez de demande parce que tout le monde va sur internet, copie des modèles. Cela a une répercussion sur la valeur des designers. Malgré l’existence de l’Onda (Office national des droits d’auteur et droits voisins) et Inapi (institut national algérien de la propriété industrielle), cela n’empêche pas les gens d’aller plagier sur les catalogues, sur les réseaux sociaux ou autres des conceptions toutes faites et qui explique la situation du statut des designers.
Parmi les événements culturels de ces vingt dernières années, les expositions de designers algériens en Algérie ou à l’étranger restent marginales. La plupart du temps, les designers algériens sont appelés à créer spécialement un prototype pour l’événement. Ce procédé n’est réellement pas conforme au fondement même de la fonction du design qui doit être un produit à consommer et à échelle sociétale. Tant qu’il n’y a pas de politique industrielle, avec contrats de modèles signés, une exposition de design sera reléguée à n’importe quelle autre exposition d’art. Créer pour créer sans visée de marchandisation. Ce sont les designers qui œuvrent dans ce métier quotidiennement qui devraient exposer leurs produits relatifs à leurs projets concrets.
C’est pour cette raison que certains designers refusent désormais d’y participer, à l’instar d’Adam Selmati. Ayant déjà exposé à Dubaï, à Paris, à Alger, depuis une dizaine d’années, il préfère se consacrer au travail sur terrain de concevoir pour des particuliers, des habitations, des boutiques, des lieux de travail ou encore des aménagements urbains. Les designers devraient être indispensables à leur société.
Il est à noter que l’Ecole supérieure des Beaux-arts d’Alger a, toutefois, fait émerger des designers qui ont brillé à travers le monde, nous citerons Abdi, Cherif ou encore Yamo ce qui prouve qu’il y a toujours possibilité de réussir dans ce domaine, avec une formation algérienne de base, malgré les embûches et à force d’efforts personnels et d’opportunités.
Lors de la dernière commémoration de l’assassinat de Rabah Asselah, ancien directeur de l’école des Beaux-arts d’Alger jusqu’en 1994, des étudiants ont exposé leurs travaux, un mobilier attira néanmoins notre attention. Une cloison-bibliothèque circulaire en métal de Mazari Melissa, étudiante en 3e année de licence design d’espace. Un mobilier fait de métal qui est la tendance actuelle et de fils qui rappellent l’art du tissage ancestral et qui servent à retenir les livres. Réalisé dans le cadre d’un atelier de mobilier, l’étudiante en retire une belle expérience et espère approfondir ses connaissances pour de futures conceptions.
L’Ecole d’Alger continue à former, à donner l’espoir à la jeune génération afin de vivre leur rêve. Reste que la société se mette également à rêver d’un environnement plus agréable grâce à ces créateurs du beau, du juste, de l’adapté et du fonctionnel, les designers.
Amel Djenidi