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Rfiss avec du petit lait sur les hauteurs d'El Maïda surplombant la ville de Sedrata. Mai 2011

Les frères Chêmâ et les autres. شمى واخواتهم

En 2011, lorsque le couple de corbeaux tournoyait autour du groupe de randonnée, je n’imaginais pas un instant qu’il était annonciateur d’un présage. De retour de Guelma, juste après la petite bourgade de Ain Sandal, le couple de corbeaux s’est fait plus présent, juste à frôler l’autobus ; ils étaient souvent non loin du groupe en marche, notamment du côté du tracé d’El Maïda. Les traditions affirment que le croassement des corbeaux est souvent interprété comme un présage. Comment savoir s’il est bon ou mauvais ?

Le périple de la randonnée programmée sur la période d’une semaine débuta à Alger, le 11 du mois de mai. La première halte au niveau du Mausolée royal numide d’El Khroub avait marqué les participants. L’association de la région de Sedrata organisatrice de la randonnée, dont j’étais membre, a élaboré plusieurs tracés de randonnée. Les journées de randonnée ont commencé très tôt, en cette belle période du printemps ; les pousses de cardon sauvages couvraient les chemins de randonnées soigneusement pensés. De grands moments de découverte archéologique et de partage pour l’ensemble des participants, découvrant les sites antiques de Kef Erredjem, de Kef Messaouer, l’olivier de Saint Augustin, les chutes de Hammam Meskhotine, la cité de Madaure, rien que ça.

Cette randonnée devait servir d’opération pilote ; le groupe était constitué principalement d’artistes qui devaient accompagner l’association à moyen et long terme afin d’œuvrer à la promotion de la région. Plasticien, sculpteur, photographe, webmaster, notamment. D’autres randonnées devaient enchaîner celle-ci en premier. Un projet que j’ai préparé sur plusieurs mois avec les membres de l’association qui ont été à la hauteur, une tradition qu’ils maîtrisent. Chapeau.

Tout le monde appréciait et profitait du séjour à mesure que la randonnée avançait. On s’est mis à rêver d’une autre randonnée pour l’automne, d’autres candidats se profilaient pour les prochaines randonnées ; une accompagnatrice de passage en Algérie, venue avec un participant artiste photographe, s’est même engagée à fournir à l’association du matériel de randonnée. Formidable. Elle répétait que « c’est une randonnée 5 étoiles ». Les voies du rêve sont tout aussi impénétrables.

Seulement, le présage des corbeaux ne manquait pas de refaire surface. Ainsi, il aurait fallu qu’un des participants artistes, l’un des frères Chêmâ, le dernier soir après le dîner, affiche une attitude désobligeante à la limite de l’inconvenance. C’est après un dernier tour de la ville, avec certains participants vers le lieu d’hébergement, qu’on trouva le frère Chêmâ accroché au volant de sa voiture, criant, répétant des mots insignifiants, les yeux braqués, les bras tendus. Son attitude exaspérante ne s’arrêtait pas là, puisqu’il levait la voix, sortait et rentrait dans le véhicule. Avec le seul membre de l’association présent, nous avons essayé de le raisonner et d’expliquer les raisons de son comportement. Rien n’y fait. L’exaspération et l’étonnement ne manquaient pas de secouer les membres de l’association. L’heure tardive de cette comédia del Arte, 23h00, évita bien des désagréments pour un groupe soucieux de la sérénité et de la bonne marche de leur activité.

Le frère Chêma a crié vouloir rentrer sur Alger à 23h30 après une longue journée de marche, 20 km au plus. Il a demandé à ce que son accompagnatrice le rejoigne illico. Tous les membres présents n’ont pas réussi à le dissuader et à attendre le lendemain matin après le déjeuner pour rentrer. Avec un proche, nous avons suivi leur véhicule par sécurité. Nous sommes retournés à Sedrata lorsqu’ils ont atteint l’autoroute vers Alger.

La question est : qu’est-ce qui s’est passé ? Ce type est-il malade ? Avons-nous raté quelque chose ?

Dans mes jeunes lectures, la compréhension de la psychanalyse m’avait engagé sur la recherche sur les origines du mythe œdipien qui reste, sans aucun doute, le principal édifice théorique de la psychanalyse. Sigmund Freud constata dans un premier temps, « par l’observation directe et par l’étude analytique de l’adulte-enfant », que « l’adulte-enfant se tourne vers ceux qui s’occupent de lui ; notamment si le principal parent disparaît de sa vie, l’enfant adulte cherche tout le long de sa vie ce parent perdu ; il se tourne d’abord vers ceux qui gravitent autour de sa vie, s’intéressent à lui, qui sont à l’écoute ». Après lecture des centaines de photographies prises durant la randonnée, les corbeaux ont vu la chose : le photographe artiste affichait l’identité de son penchant œdipien vis-à-vis de son accompagnatrice, qui a quelque peu pris ses distances durant le séjour.

Faut-il exiger un certificat psychanalytique pour une simple randonnée ? Vu son comportement et les risques d’un éclat au grand jour, tout était possible avec des tarés.

L’épisode ne s’arrête pas là puisque le projet de randonnée pilote qui devait servir pour lancer une série de randonnées dans la région durant le printemps et éventuellement durant l’automne, fut stoppé. Un véritable gâchis, dira-t-on. En plus du grand différend entre les membres de l’association sur cet incident, je fus aussi prié de quitter l’association et à ce jour certains membres ne m’ont plus adressé la parole, incroyable mais vrai.

De retour à Alger, je me dirige vers l’autre Chêmâ, devenu lui aussi un artiste d’opérette, pour l’informer de la performance de son avatar et éventuellement avoir plus d’explications sur son comportement. Le seul souci du deuxième frère, tout le long de mon récit, était : « j’espère que personne n’est au courant de ce fait ». Ce qui comptait pour lui, c’était la préservation de l’image des Chêmâ. Au diable le reste.

Le grand frère Chêmâ, en dehors d’avoir « explosé » un projet magnifique, n’a pas honoré sa promesse de remettre à l’association les images des gravures rupestres pour leurs besoins de communication. Le taré a toutefois utilisé les images dans ses propres ouvrages édités, tout honte bue.

Dans un souci de rappel, je me demande si le nouvel artiste d’opérette de la tutelle, c’est-à-dire le second frère Chêmâ, ignore-t-il que le faux deal engagé récemment n’était rien d’autre qu’un rappel de la promesse non tenue de son binôme ? Au vu des égos qui les animent, certainement.

Avec le recul, je réalise que cet événement, comme d’autres, a servi à l’appréhension et la compréhension des attitudes de nombreux parvenus, notamment ceux qui se considèrent au-dessus des autres. Pour eux, rien ne compte à part leur image et leur ego. Oui, qu’importe les autres, les aspirations, les rêves, les projections.

Cet événement s’est compilé plus tard avec d’autres événements de destruction, portés par la préservation du Moi/Je. Les similitudes sont infaillibles.

Il est très difficile de mettre en veille cet opus, sans garder une amère sensation d’insupportable gâchis. Seulement la rencontre avec l’un des frères Chêmâ, sur son piédestal d’opérateur du système, en ce début d’année, a réactivé le croassement des corbeaux, toujours en boucle dans ma mémoire.

Ce témoignage consolide les acquis référentiels de cette belle image que je n’ai plus des autres, notamment, celle de certains artistes, définitivement enterrée.

Tarik Ouamer-Ali