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Louis Finson_- La Madeleine en extase (détail) - huile sur toile - 1612 - Musée des Beaux-arts de Marseille.

Les mardis c’est permis : Palpitations picturales par Neila Djedim

Ce soir, en observant une image de champs de coquelicots, j’ai pu ressentir des frissons. Attention ! De bons frissons ! Cette image contrastée entre l’herbage et le carmin des fleurs a su remuer en moi des émotions qui étaient enfouies. Pourtant, dans ce tourbillon de sentiments paradoxaux agréable et inquiétant, une question m’est venue à l’esprit : quelle est l’œuvre d’art qui a pu susciter un tel saisissement ces dernières années ?

Devant la crise que vit l’art actuellement, force est de constater que les expositions marquantes restent rares. Sans vouloir ternir les efforts des uns et des autres, l’art est, de prime abord, un engagement de soi, puis un engagement social si ce n’est politique. Entre les expositions qui ne sont que des monstrations d’amateurs et les exhibitions d’artistes au rayonnement local, l’art est une affaire sérieuse dont les états usent dans un objectif de soft power.

De même que la problématique des œuvres acquises par les institutions et pire quand elles sont condamnées à être dans les réserves. Ces musées deviennent les cimetières de l’art. Les œuvres qui, à un moment de l’histoire, étaient pertinentes et parlantes, avec un potentiel critique du moment de leur création, accumulées, elles perdent ce potentiel.

L’œuvre d’art doit être publique, elle doit avoir une présentation aux autres, sans cette relation à l’altérité, elle n’a ni statut, ni vie. Elle n’est alors, ni vue ou apprécier, ni analyser, ni transmise. Or, les événements de ces quinze ou vingt dernières années, se font par des espaces d’exposition, souvent sans médiatisation, sans plan de communication, ni stratégie avec objectifs clairs, avec un public restreint et constitué essentiellement d’artistes eux-mêmes, venus encourager leur confrère. Il est quasiment impossible de créer une traçabilité d’une œuvre, de suivre son cheminement à travers les différentes expositions. Ainsi, il est d’usage en Algérie, de montrer une œuvre qu’une seule fois, pendant quinze jours dans un espace d’exposition, refusant le terme de galerie, vous en  conviendrez, sans que personne n’en entende parler. Cette œuvre sera mise au placard de l’artiste qui le vit comme un piège de double-six. Le concept de durabilité est essentiel, par contre durer dans un placard n’a plus de sens que d’une œuvre cachée voire disparue et oubliée.

Cette œuvre, devenue simple « support » pourra être recyclée souvent pour faire de la place et espérer en donner une seconde vie. Cette pratique n’étant pas une nouveauté, la technique de la spectrométrie de fluorescence des rayons X révèle les strates picturales, l’artiste recouvrera son échec d’une couche bien épaisse. Mais peut-on en espérer d’avantage avec ces espaces d’expositions ?

Dans la phénoménologie de l’art, face au regard des autres, l’œuvre révèle une énigme du monde sans pour autant en atténuer le secret. L’essence de vérité est importante pour une expérience de réception pleine. A part de très rares exceptions, j’attends de percevoir un mystère, de ressentir un frisson, de faire écho à quelque chose d’enfoui, un sentiment, un objet mythique, un coquelicot ?

L’adage dit : Les douceurs et les frissons sont réservés aux âmes subtiles.

Neila Djedim