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Broche en or faisant partie du trésor découvert à Ténès en 1936 (Collection du Musée des antiquités, Alger)

Libérer nos musées !

Il est tout à fait incompréhensible de constater que les musées algériens se retrouvent actuellement dans un état d’inactivité après le tumulte du mois du patrimoine 2023. La rentrée se présente sans la moindre programmation à l’horizon. Pourtant, le pays regorge de trésors à exposer, des objets précieux, des collections exceptionnelles qui n’attendent qu’à être partagés avec le public. Il est grand temps de libérer nos musées de leurs chaînes et de leur donner l’autonomie dont ils ont désespérément besoin pour gérer la visibilité de leurs collections.

Lorsque l’on visite un musée, on s’attend à être émerveillé, à être transporté dans le temps et l’espace à travers des œuvres d’art, des artefacts historiques et des témoignages de notre culture et de notre histoire. Malheureusement, la réalité est bien différente. Qu’est-ce qui empêche nos musées de produire des manifestations dignes de leurs collections ? Les visiteurs sont souvent confrontés aux mêmes accrochages, à un manque flagrant d’engagement culturel, lit-on. 

En comparaison avec de nombreux pays durant cette rentrée qui savent mettre en avant leur patrimoine culturel de manière dynamique, il est d’autant plus frustrant de voir nos musées si inactifs. Dans certain pays en accord avec notre époque, les musées sont de véritables moteurs de la vie culturelle, attirant des milliers de visiteurs locaux et internationaux grâce à des expositions innovantes, des événements spéciaux et des programmes éducatifs captivants. Les musées sont transformés en pôle d’attraction et  soignent de plus en plus leurs offres culturelles.

L’exposition ne suffit plus et le bâtiment muséal est perçu comme une destination à part entière où passer du bon temps : convivial, c’est un lieu de détente, de connaissance et de réflexion, mais aussi d’enchantement. Amphithéâtres, salles de concert et de spectacle, de cinéma, mémoriaux, centres de recherche, bibliothèques ou restaurants comptent ainsi parmi leurs nouvelles attributions.” (…) “Pour Craig Dykers, directeur de l’agence Snøhetta qui construit actuellement l’extension du San Francisco of Modern Art, le message est clair : « Le SFMOA sera un signal dans la ville mais s’apparentera davantage à un monument social que sculptural. » Avec un espace d’art de 14 000 m2 en libre accès pour le public, la création de trois entrées et de terrasses à ciel ouvert, le nouveau bâtiment met l’accent sur sa capacité à se connecter avec son contexte.” Alice Bialestowski (AMC archi)

 

Modifications et des améliorations des textes de loi

Il est impératif d’apporter des modifications et des améliorations aux textes de loi qui régissent les musées algérien, y compris les musées privés, afin de les adapter à leur environnement et à la mondialisation, en particulier en ce qui concerne l’acquisition d’œuvres d’art et le management des musées. La majorité des études et thèses disponibles portent sur les périodes antérieures à l’indépendance. Il est grand temps de réaliser des études sur les acquisitions de nos musées depuis l’indépendance, en fournissant des chiffres et des analyses précises.

Le musée algérien est un établissement public à caractère administratif (EPA), tel que défini dans le décret exécutif n° 11-352 du 5 octobre 2011. Il s’agit d’une personne morale de droit public disposant d’une certaine autonomie administrative et financière pour remplir une mission d’intérêt général, distincte des activités industrielles et commerciales, et ce, sous le contrôle de l’État ou d’une collectivité territoriale. Le personnel des EPA est principalement constitué de fonctionnaires relevant du statut général de la fonction publique ou d’agents de droit public régis par des statuts particuliers. De plus, le même décret (Art 26) mentionne également les musées privés, qui sont des institutions permanentes à but non lucratif créées par des personnes morales de droit privé et dont l’objet est d’intérêt socioculturel.

Il est essentiel de se demander si cette approche rigide sert véritablement les musées, qu’ils soient publics ou privés, ou les rend plus dépendants. Pour que nos musées puissent évoluer vers une gestion plus contemporaine, s’engager avec des partenaires régionaux et internationaux, acquérir des œuvres d’art et gérer leur patrimoine de manière plus flexible, il est nécessaire de revoir et de moderniser les lois qui les régissent, en prenant en compte les spécificités qui se présentent. L’ouverture à de nouvelles formes de gestion, la recherche de partenariats et l’exploration de nouvelles possibilités doivent être encouragées, tout en préservant l’intégrité et la valeur de notre patrimoine culturel.

 


Quelques objets du trésor découvert à Ténès en 1936 (antique Cartennae), dont des garnitures de ceintures en or ciselé et ajouré (Collection du Musée des antiquités, Alger). “Le trésor comprend 19 pièces : trois fibules en or, sept éléments de garniture de ceinture en or, quatre bracelets en or, une ampoule d’argent, deux étuis en or, dont un reliquaire, une anse de bronze et une broche en or, avec le médaillon d’une impératrice et trois petites croix suspendues.” (source : Donnay Guy. Heurgon Jacques. Le trésor de Ténès – 1960)

 

Cela ne peut plus durer

Nous avons besoin de musées vivants, dynamiques, prêts à partager notre riche patrimoine avec le monde. Il est temps de briser les chaînes de la bureaucratie et du financement budgétaire qui entravent nos institutions culturelles, de leur accorder la flexibilité nécessaire pour organiser des expositions captivantes, des événements éducatifs et des activités culturelles qui stimulent l’imagination et la curiosité. Il est impératif et urgent de réduire et mettre un terme à cette tendance à organiser des événements culturels ou artistiques qui sont essentiellement basés sur des aspects traditionnels, folkloriques ou populaires de la culture, sans véritable engagement ou effort pour proposer quelque chose de plus substantiel ou éducatif, mais uniquement pour montrer qu’ils sont actifs sur la scène culturelle, sans réellement contribuer à l’enrichissement culturel ou artistique de la société.

Pour rappel “l’artisanat” à son ministère et “la culture et des arts” a aussi son ministère, ce dernier mérite une approche plus réfléchie que la simple célébration de traditions populaires qui ne devrait pas être utilisée comme un substitut à une programmation culturelle de qualité, à des expositions artistiques significatives ou à des événements éducatifs. Une élévation du niveau culturel et artistique au-delà du folklore superficiel est nécessaire.

L’Algérie a une histoire riche et diversifiée, des cultures multiples et des trésors inestimables qui méritent d’être partagés avec le monde. Il est temps de libérer nos musées, de les transformer en véritables joyaux culturels, et de permettre à notre patrimoine de briller.

Tarik Ouamer-Ali

 

 
Broche en or faisant partie du trésor découvert à Ténès (anique Cartenaae). Elle est formé d’un grand médaillon auquel pendent trois petites croix (diamètre du médaillon : 9,4cm). “L’identification avec Galla Placidia, présentée d’ailleurs comme hypothétique et qui remonte à Leschi, est peu convaincante.” selon Donnay Guy. Heurgon Jacques. Le trésor de Ténès – 1960.