Printemps est une expression picturale des plus singulières sur laquelle Lazhar Hakkar a imagé et produit une oeuvre de maturité plastique et lumineuse. L’exposition “Printemps” abritée par la Galerie LB à Dely Ibrahim (Alger), est un témoignage du long parcours mémoriel de l’artiste notamment les 15 dernières années et son long séjour en Tunisie et à Sidi Bou saïd. En 2023, 10 années se seront écoulés depuis sa disparition.
« Cela fait quelques années que Lazhar Hakkar s’est lancé dans l’art séquentiel ; on se souvient de sa suite « Hizia » dont il dit volontiers « je raconte l’histoire d’une “Hizia” dont le drame n’aurait pas interrompu la vie, une femme qui vivrait aujourd’hui, en proie avec la modernité ». L’envie de confondre la réalité, d’ériger un nouveau système de rapport avait commencé de poindre. L’être et son évolution constituent depuis toujours les thèmes centraux du monde pictural de HAKKAR ; l’être dans son histoire pérenne, la créature plus que l’humain ; dans une de ses toutes premières œuvres, on pouvait déjà voir deux visages sans corps se fondant dans une sorte de sfumato : la tête, se fondement de la vie, émergeait seul, souveraine.
Les années passant, la maturité et la pratique assidue du dessin aidant, l’artiste exprime aujourd’hui, sans plaidoyer, son engagement vers la voie royale, celle de la plénitude ; la toile, le grand format, dans sa conception d’œuvre unique, achevée, cède la place au récit, tandis que la graphie déroule, de feuille en feuille, cet alphabet à forme humaine devenu au fil des ans, la marque de fabrique de l’artiste ; il réinvente la magie du livre, ce procédé éternel qui mena tant de fois l’homme vers son destin véritable.
L’artiste se sert avec récurrence de la même clé, usant de son érudition de la forme dont il maîtrise si bien l’alchimie : des enveloppes humaines émergent de mondes multiples, silhouettes asexuées, processions déstructurées, qui se rejoignent en un point, en apparence quelconque, de la cosmogonie. L’artiste est avare de détails ; son souci n’est point d’exprimer l’histoire, mais d’en révéler l’Intemporalité, l’Éternité, l’Universalité.
Cette forme humaine qui s’érige glorieusement en alphabet initiatique n’est pas chose nouvelle en art ; ailleurs et en d’autres temps, l’art sacré fit usage de semblables outils pour dire la vanité du réel, ce détail terrestre, et prôner la suprématie de l’essentiel, de la vérité, du divin ; plus tard, l’allégorie traduisit le même principe : doter l’Être du code de la connaissance suprême.
La profonde virtualité du contexte, l’anonymat consenti des formes et tel que lorsque ici, la forme disparaît de l’espace, elle crée un subit effacement qui nous entraîne dans une autre dimension ; tandis que là, un visage lunaire surdimensionné effleure en arrière-plan la surface du dessin, nous aspirent, par-delà nous-mêmes, une autre issus. Le parti pris artistique nous paraît correspondre en tout point aux algorithmes de la trame algébrique contemporaine lorsque celle-ci tend a redéfinir l’unicité dans son rapport à l’ensemble. HAKKAR est, somme toute, un homme de son temps.
Cette traduction de l’ailleurs, cette peinture du tout plutôt que du soi, le dépassement du rationnel admis devraient nous conduire, nous les esclaves de l’ordre établie, à en concevoir un certain malaise : il n’en est rien. HAKKAR, en marge de l’absolu, use de la cabalistique comme d’un remède ; savamment, il nous dévoile la riche matière que son passage sur une terre tant façonnée par les passions, lui a enseigné : une sémiotique débridée, mais une sémiotique de la richesse humaine ; certes, l’homme aspire à la sagesse éternelle, mais l’éternité passe par la vie, cette faiseuse d’images que l’artiste plaît à dévider telle une soie qui envahie tout l’espace : soleil, croissant lunaire, eau, toutes ces géométries nées du cosmos et source de vie épousent le monde virtuel et rétablissent ainsi la perpétuelle harmonie qui relie l’Histoire des hommes à l’Éternité. Par cette démarche, HAKKAR est annonciateur de la bonne nouvelle : l’artiste algérien échapperait-il au diktat de son intimité pour accéder enfin aux autres dimensions ?».
Mahammad-Orfali Dalila
Conservatrice en Chef
Musée Public National des Beaux-Arts d’Alger
Source : Texte extrait du catalogue de l’exposition “Printemps” de Lazhar Hakkar à la galerie LB à Dely Ibrahim, Alger, 2006.
L’attente, Alger 2005, T.mixte sur papier, 25x35cm
“Lazhar Hakkar accompagnait souvent sa mère Khemissa, éprouvée par la maladie, à la source de Frenguel, des moments que Lazhar évoquait avec douceurs et beaucoup d’amertume, la posture de feu khemissa est gravée à jamais, magnifique miniature.” Tarik Ouamer-Ali
Lazhar Hakkar est né le 13 décembre 1945 à Khenchela et décédé le 19 septembre 2013 à Alger. Il est reconnu comme le peintre de la mémoire en Algérie. Lazhhar a étudié à l’École supérieure des beaux-arts d’Alger de 1963 à 1966. Il a obtenu le troisième prix de peinture organisé par l’École des beaux-arts en 1967, le deuxième prix de la ville d’Alger en 1972 , en 1976, le grand prix de la ville d’Alger. Il traite de plusieurs thèmes dans ses peintures, comme la richesse de la culture algérienne, et pose plusieurs questions sur le social, l’humain par rapport à l’ontologie. Le peintre a vécu 10 ans à Sidi Bou Saïd durant les années 90, une période marquée par une expression picturale lumineuse. Sa dernière exposition, intitulée « Traversée de la mémoire », s’est tenue en 2013 au Musée public national d’Art moderne et contemporain d’Alger. Parmi ses chefs-d’œuvre : Reggane, Afin que nul n’oublie ! La Traversée de la mémoire, Hizia ainsi que de magnifiques portraits de femme Chaoui, le porte folio de lithographie “lumière”, le triplé maghrébin et ses magnifiques miniatures de l’exposition “printemps” à l’image de Frenguel, Consortium, Ils reviennent.
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