La liberté de la femme, thème de cette pièce de théâtre, est celui d’une confrontation entre le respect des traditions (horma) et la modernité (liberté et volontarisme), une confrontation également entre les hommes et les femmes qui reste éternelle. Avec le temps, les mentalités ont évolué, et le théâtre ne devrait plus s’accrocher aux habituelles thématiques sociales de quartier sans profondeur et sans tirer une morale, ce qu’évite La dévoilée de Kaddour M’hamsadji.
L’auteur donne son cœur en lecture, ce cœur qui compatit à la condition des femmes, celles voilées. Dans ce texte, qui paraît simple mais cependant très élaboré avec de profondes réflexions qui interpellent, on ne reste pas sans réaction.
En rééditant cette œuvre chez Barkat éditions, l’auteur fait un retour en arrière vers sa jeunesse. Il nous fait revisiter une œuvre écrite en 1951, parue pour la première fois en 1959 aux éditions Subervie (France), il y a plus de 50 ans. Cette pièce, toujours aussi fraîche, reflète des sujets d’actualité, tels que la tolérance, l’ouverture sur le monde, la reconnaissance des autres loin du chauvinisme et des lamentations dans un monde où les femmes ont été conditionnées sur leur sort pour porter le voile et d’accepter toute condition, laissant entendre que la supériorité des hommes a été entretenue pour dominer.
La pensée ne se meut pas sur le plan de l’abstraction dramatique, mais sur la fonction sociale directement perceptible à travers le contenu, les idées de la pièce, le langage simple des femmes d’antan et aussi celles d’aujourd’hui, dans une atmosphère familiale pleine de contradictions, quelquefois pathétique, de sentiments exposés avec des vérités que tout le monde connaît.
Ce drame en trois actes, avec une préface d’Emmanuel Roblès, un avis d’Albert Camus et une postface de Jean Pelegri, a été écrit en 1951, joué en 1956 et en 1965 comme l’indique la note d’introduction. Cette œuvre de Kaddour M’hamsadji, l’une des premières, ne fait que rappeler l’éternel sujet de la condition de la femme. (1)
Pièce simple, judicieusement construite et ô combien profonde et d’actualité ! En plus, il y a de l’esthétique et de la sincérité dans cette œuvre qui bouleverse. L’histoire : une jeune fille, Delinda, refuse de porter le voile. Fille de caractère, elle se veut libre. Elle rejette le voile. «Elle a osé», comme on le lui fait remarquer. Cela perturbe toute la famille recomposée et crée des zizanies entre les avis des uns et des autres, filles et garçons.
De plus, Delinda veut se marier avec un garçon qu’elle aime, Malik. Elle se confie à Mira, sa marraine et confidente. Mais son parâtre, Atala, second époux de sa mère, veut la marier avec un vieillard, certes, mais surtout riche. Intérêt et cupidité. Sacrifier Delinda pour s’en débarrasser. «Ma vie vous gêne !», crie Delinda.
Dans le premier acte, le long des sept scènes qui se déroulent dans le même salon où toute la famille intervient, chacun y va de son idée et de ses conseils. «Je veux parler, pourquoi veut-on me réduire au silence ?», dit Delinda à sa mère. (Page 51). Mais, conflit de paternité, son second père d’adoption intervient : «C’est ma fille et j’en fais ce que je veux.». Les rapports entre les différents personnages de la pièce montrent le désintérêt des uns et la jalousie des autres. Les frères et sœurs interviennent sans prendre conscience que c’est de leur liberté aussi dont il s’agit.
Un univers fermé autour d’un sujet qui, a priori, semble futile pour un grand thème et une grande question : celle de la liberté et de choisir son avenir. Même la marraine, bien que compatissante, est toute en retenue, il ne faut pas contrarier le mâle, le père, Atala. On relèvera entre les lignes et en sous-entendu le grave problème du remariage des femmes en secondes noces, avec tous les conflits que cela engendre, surtout lorsqu’elles ont des enfants du premier lit, et cela se complique davantage quand il s’agit d’une fille.
Atala, le beau-père : «Tu porteras le voile ainsi que le prescrit la religion.» Mais la personnalité de Delinda est bien trempée : «La foi n’est pas dans le port du voile», répond Delinda (Scène V).
Intervient Alban, le musicien, frère de Delinda : «Elle est libre de porter ou pas le voile et libre de se marier avec celui qu’elle aime.» Insolence de la part du musicien, tout le monde n’apprécie pas les paroles de ce «libertin».
Alors apparaît ce vieux conflit de générations qui prescrit la soumission de la fille vis-à-vis du père face au silence de la mère toujours en retrait, ainsi que l’inégalité dans la liberté entre fille et garçon. Le deuxième acte a pour scène la forêt de Sidi Fredj. Là, Delinda trouve une excuse pour s’échapper et rencontrer Liès, un lycéen, et ses camarades dans des jeux de plage. «Ils t’ont laissée venir sans difficultés», lui dit Liès (page 74). Ce qui montre déjà l’éveil des jeunes garçons que l’on croit non avertis aux conditions de la femme. Mais si Delinda est dans la forêt de Sidi Fredj, c’est surtout pour rencontrer Malik, le jeune homme qu’elle aime.
Ensemble ils préparent les répliques et leur détermination pour «arracher» l’accord de leurs parents respectifs.
Le troisième acte se déroulera dans le salon entre les protagonistes. Le père de Malik vient demander la main de Delinda, mais soumis lui aussi à la pression sociale, il exige qu’elle porte le voile, bien qu’il soit contre. Malik se retrouve lui aussi piégé par sa condition de fils d’un père qu’il aime mais qui est dépassé, ce qui complique son projet pour épouser Delinda. Sans trop se prononcer, Ida, la mère de Delinda, reste soumise à son mari Atala. Le sujet contrarie tout le monde et personne ne veut se prononcer ni venir en aide à Delinda concernant le projet insensé : marier Delinda à un vieillard.
Delinda va donner à chaque geste, à chaque parole, une assurance sinon une supériorité pour ce combat contre le port du voile et du mariage forcé. Ses pensées longtemps enfouies explosent dans de courtes exclamations. La marier à un vieil homme lui semble être une offense, une humiliation. Elle ne veut pas subir le sort de ces nombreuses femmes entretenues et encagées, chose qu’elle refuse absolument.
Delinda parle avec conviction à ces femmes, à ses sœurs, qui ont toutefois quelque chose d’elle. Elles lui sourient, en ne mesurant pas le mal qu’elles disaient d’elle, alors que chez Delinda il y avait une forme de tendresse.
Alors, elle leur répondait par un silence indigné.
Par Abderrahmane Zakad – (2013)
Abderrahmane Zakad (1938-2016), le moudjahid, a été urbaniste, auteur, poète et réalisateur, il laisse derrière lui un important travail de recherche sur le monde urbanistique ainsi que de nombreux ouvrages entre romans, nouvelles et poésie. Diplômé en urbanisme (élève de Jean de Maisonseul, Pierre Salama, Claudine Chaulet et Djilali Sari), il a occupé des postes de responsabilité dont : directeur à la Cadat puis au Cneru (1969 – 1982) ; chef de département des aménagements d’Alger (Deal/Cadat- 1977-1984) ; responsable des projets “vieilles villes” de Tlemcen et Constantine à l’AADL (1996/1999) et ingénieur subdivisionnaire Hamma/Hussein Dey (1983), chargé des projet Hamma/Hussein Dey et de la Casbah. Féru de lecture et d’écriture, il est auteur de plusieurs romans, nouvelles, récits et poésies :
Notes et image :
(1) – La Dévoilée de Kaddour M’hamsadji est un drame en trois actes, avec une préface d’Emmanuel Roblès, un avis d’Albert Camus et une postface de Jean Pelegri, a été écrit en 1951, joué en 1956 et en 1965 comme l’indique la note d’introduction. Editions Barkat, Alger.
(2) – Devant la détermination de Delinda d’être ainsi livrée, le silence s’approfondit, «les ombres», ses sœurs n’ont plus de regard, le miroir s’est brisé et ses éclats reflètent le néant. A un moment, tout le monde était peiné et reste muet.
(3) – Comme tout a une fin, le drame survient. Vous le découvrirez en lisant cette pièce.
(4) – Image : présentation de la pièce El Djamilate au TNA (Alger) : Combat et sacrifices de militantes.
Une production du théâtre régional Azzedine-Medjoubi d’Annaba et dont la pièce, mise en scène par Sakina Mekkiou, connue beaucoup plus sous son nom d’artiste Sonia, sur un texte de Nadjet Taybouni, se veut un hommage à toutes les femmes ayant combattu contre l’occupation coloniale.