Il semble que le thème du marché de l’art suscite de grandes attentes et espérances. En souvenir d’une période marquée par le “m’as-tu-vu” et l’apparat, celle du candidat à la présidence de la République, l’ex-ministre de la culture Azzedine Mihoubi (même si tous les portefeuilles ministériels se ressemblent), un grand événement avait été organisé par le ministère de la Culture pour remédier à la lacune majeure qu’est l’absence d’un véritable marché de l’art.
Cet événement, organisé avec faste, a inclus une exposition invitant galeries et artistes à se produire, suivie de rencontres, conférences et débats. Un catalogue a été édité à cette occasion, proposant les œuvres des artistes exposants avec leurs prix. Le “Printemps des arts” a accouché d’un “hiver” prolongé et attendu pour les arts visuels.
le Ministre de la culture Azzedine Mihoubi au premier plan, le Wali Zoukh en deuxième plan, inaugurant “Le printemps des arts” en 2018.
De 2018 à 2024, le folklore a pris le dessus sur les arts visuels. De nombreux grands événements ont occupé la scène pour donner l’impression que tout allait bien, mais la disparition massive des galeries privées depuis deux décennies ne semble pas perturber les autorités, qui se concentrent sur leurs espaces privilégiés. Les fonctionnaires et les espaces publics ne peuvent en aucun cas remplacer le rôle essentiel des galeries privées dans le développement de l’activité artistique.
L’Office Riadh El Feth (OREF) est actuellement en litige avec le nouveau propriétaire de l’espace de l’ex-galerie Esma afin de récupérer l’espace. Le Petit Théâtre, qui avait été transformé en cabaret, a quant à lui été repris par l’OREF, au grand plaisir des amateurs et des artistes aussi.
L’espace de l’Ex-Galerie Esma, fut un bel écrin des arts visuels algériens pendant 30 ans, squatté par des parvenus. (photo 2019)
Une Galerie d’art est avant tout une activité commerciale.
Parmi les galeries d’art qui ont fermé, on peut citer, à titre d’exemple, L’ESPACO, un espace d’art contemporain qui a ouvert ses portes le 24 octobre 2024, pour fermer cinq ans plus tard. Cet espace, magnifique, œuvrait avec un grand professionnalisme. À ce propos, la gérante de la galerie ESPACO, Sakina Cherifi, a déclaré, sur le partage de Founoune Art Média sur Facebook : “Beaucoup de choses à dire au sujet de cet espace. Un travail magnifique a été fait avec des artistes nationaux et internationaux, des résidences d’artistes, des rencontres, des découvertes de jeunes talents. Malheureusement, tant que les lois qui régissent le domaine de l’art ne changent pas, personne ne peut investir dans ce domaine. Avec les artistes de la galerie ainsi que ceux invités à exposer (nationaux et internationaux), nous avons toujours travaillé de façon professionnelle.“
D’autres galeries résistent et restent en activité, à l’image de la galerie Aïda, de Seen Galerie, les Ateliers Sauvages, de la galerie Rhizome et notamment de la galerie du centre commercial de Bab Ezzouar, qui affiche un programme constant. Toute l’activité est concentrée dans la capitale, tandis que dans le reste du pays, très peu d’activités existent en dehors des grandes villes. À Oran, par exemple, la galerie de l’association Civ Oeil est encore active, mais celle de la ville de Maghnia ne l’est plus. Plusieurs autres petites galeries manquent de visibilité. Des espaces d’exposition naissent ici et là pour une courte durée, associant d’autres activités à celle d’exposer des œuvres. Survivre dans ce milieu nécessite des sacrifices et beaucoup d’imagination.
La fermeture des galeries est liée à la situation financière difficile et à l’absence de réglementation juridique qui garantirait un équilibre entre l’offre et la demande. Lorsqu’un commerce n’est pas rentable, il est évident que les propriétaires se tournent vers d’autres activités. Les arts visuels n’échappent pas à cette logique, car ils relèvent aussi d’une activité commerciale. Après tout, les galeristes, tout comme les artistes, sont concernés par cet aspect économique. Malheureusement, les galeries privées n’ont jamais bénéficié du soutien et de l’intérêt des autorités, alors même qu’elles ont permis à de nombreux talents de briller. La presse écrite et audiovisuelle de masse invite rarement les gérants et propriétaires d’espaces d’exposition pour discuter des difficultés et de la gestion complexe de ces lieux dédiés à l’art visuel, qui ont pourtant apporté tant d’espoir et d’ondes positives.
Carton d’invitation de l’ouverture officielle de la galerie Espaco, du 24 octobre 2015.
La déshérence des espaces d’exposition publics
En ce qui concerne les galeries publiques ou les espaces sous la gestion des autorités, on peut évoquer celle de Biskra, la Galerie Garden, située dans un magnifique écrin de verdure au cœur de la capitale des Zibans. Cette galerie n’est plus active, mais pour quelle raison ?
De nombreux autres espaces publics à travers le territoire sont condamnés à subir une déshérence programmée pour le secteur des arts visuels. À titre d’exemple, lors de la tournée de l’exposition “Soixante ans de création picturale algérienne”, organisée par l’AARC dans plusieurs régions, nous avons découvert l’existence de plusieurs espaces d’exposition rarement, voire jamais, en activité en faveur des arts visuels : ceux de Béchar, Touggourt, Mascara, Mostaganem, M’sila, Mila, Skikda?, Tlemcen, et d’autres. Seul le Palais de la Culture à Alger couvre une grande partie de l’activité des arts visuels. À Tizi Ouzou, l’activité reste modérée. Ces espaces ne s’animent qu’à l’occasion de salons ou de festivals d’arts plastiques.
Ces nombreux espaces d’exposition, situés à l’intérieur des maisons de la culture en Algérie et placés sous la tutelle des directions de la culture, restent non opérationnels. Les activités y sont rares, les invitations se font attendre, et l’initiative fait cruellement défaut. Un grand remaniement des directeurs et directrices inactifs du secteur de la culture est devenu indispensable. L’activité des maisons de la culture est principalement orientée vers l’animation et la formation, destinées en grande partie aux membres inscrits, notamment les enfants, dans des disciplines comme la peinture, la musique, le théâtre, l’audiovisuel ainsi que des expositions d’artisanat de livre et autres formes d’expression sans oublier les hommages, les commémoration et les festivités. La consultation des pages des maisons de la culture sur les réseaux sociaux est particulièrement révélatrice à cet égard. Il serait avantageux de consacrer des espaces spécifiques aux arts visuels, avec l’infrastructure adéquate, cimaises, éclairage, support d’accrochage à l’instar de l’espace d’exposition de Béchar. Les expositions dans ces lieux doivent être régies par un cahier des charges et gérées par une personne qualifiée et reconnue dans le domaine. Toutefois, les nominations clientélistes, le copinage et les réseaux d’influence continuent de nuire profondément aux arts visuels et à l’art en général.
L’aspect économique et commercial des galeries d’art est tout aussi crucial que dans n’importe quel autre commerce. Pourtant, l’œuvre d’art se distingue par son potentiel à devenir un investissement de valeur, qui peut s’apprécier au fil du temps, notamment si la cote de l’artiste s’élève. Une galerie d’art ne se contente pas de présenter des œuvres : elle s’inscrit dans un marché où les échanges et les transactions jouent un rôle essentiel. Une dimension commerciale qui est souvent négligée ou mal comprise, alors qu’elle constitue un pilier fondamental du monde de l’art. Sans un soutien adéquat et une reconnaissance de cette réalité, les galeries peinent à survivre et à prospérer, et par conséquent, la vitalité artistique en pâtit également.
Il est grand temps que cela change.
Tarik Ouamer-Ali
Affiche de l’exposition “Soixante ans de création picturale algérienne”
Exposition “Soixante ans de création picturale algérienne”dans la maison de culture de Mila
Exposition “Soixante ans de création picturale algérienne”dans la maison de culture de Mila
Exposition “Soixante ans de création picturale algérienne”dans la maison de culture de Tlemçen
Exposition “Soixante ans de création picturale algérienne”dans la maison de culture de Mascara
Exposition “Soixante ans de création picturale algérienne”dans la maison de culture de Bechar
La galerie Landon à Bikra, fermée pour des raisons inexpliquées.
Document de la journée d’information sur la marché de l’art durant l’exposition “Le printemps des arts”