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Yamo (Designer) : “Il n’existe aucun designer industriel en Algérie”.

Cet entretien a été  édité sur le quotidien el watan le 10 juillet 2021. Yamo y évoque son parcours, son installation intra-muros de «Dzign2020+1» à la villa Abdeltif et sa vision du métier de designer.  Né en 1958 à Alger, Mohamed Yahiaoui alias Yamo, est diplômé de l’Ecole nationale des Beaux-Arts d’Alger en 1982. Il s’inscrit en 1986 à l’Ecole supérieure des arts décoratifs de Paris, dans la section design industriel ou il poursuit jusqu’en 1988 un troisième cycle en mobilier sous la direction de Jean-Claude Maugirard et Daniel Pigeon. Après une Lampe d’Argent au Salon international du Luminaire de Paris en 1992, il reçoit l’Oscar du SNAI pour sa lampe à huile Ouaga avec les lampes Le Fourmilier et Telya en 1987, Yamo obtient les Premier et Second prix du « concours Appel aux jeunes créateurs », lancé par la société Drimmer. Lauréat d’une bourse du VIA l’année suivante, il se voit attribué le SM d’Or, au Salon international du Meuble de Paris en 1989, puis la Palme d’Or de la Jeune création au Grand Prix de la Critique du Meuble contemporain à Paris pour une étagère en bois cousu. Il décroche ensuite une Carte blanche du VIA, avant d’être lauréat de la Bourse Agora en 1990

Yamo expose à Paris, New York et Ibiza, il met en scène l’espace destiné à présenter l’ensemble du design français pour l’exposition Les Capitales européennes du nouveau design (Centre Georges Pompidou, Paris, 1991), réalise notamment des « Luminaires et sculptures » pour un palace à Osaka (Japon, 1991) et un projet d’éclairage urbain à Sidi Boussaïd (Tunisie, 1997). Le designer et architecte d’intérieur, qui s’inspire subtilement de l’imaginaire saharien, africain et européen, a participé à des manifestations de groupe, notamment à Paris (Dix ans du VIA, Musée des Arts décoratifs, 1990 ; L’Univers de Abdi, Chérif et Yamo, IMA, 1992), à Cologne, Tétouan, Vérone, Beyrouth et Dakar. Outre de nombreux projets d’aménagement d’espaces, les meubles et objets de Yamo sont édités en France, en Italie, aux Etats-Unis et en Tunisie où il s’est établi depuis 1998.

Au printemps 2003, l’exposition VIA à Paris présentait surtout des luminaires aux lignes irrésistibles et quelques pièces de mobilier et objets rehaussés par une scénographie imaginée par lui. En mai 2004, Yamo est l’invité de la Biennale de Dakar où il expose notamment un lampadaire « Indy », des étagères « Skanes », un tapis « Kartha », et deux narguilés « Chacha ». En 2005, il participe à l’exposition “25 ans d’atelier mobilier : hieraujourd’huidemain” de l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs (Ensad) présentant les travaux d’une cinquantaine de créateurs de mobilier, tous passés par son atelier qui fut le premier dédié à la conception de mobilier dans une école d’art depuis a création en 1977.

Le musée des beaux-arts d’Alger en 2004 consacre au « sculpteur de lumière » une impressionnante exposition : “Le quinquet a été ma première lumière, autour de laquelle se sont probablement focalisées mes tendances vers tout ce qui peut rappeler cette lumière, tel, par exemple, le verre et sa transparence translucide.” Représentant émérite de la première génération des designers algériens, Yamo a le mérite d’animer les objets, souvent du quotidien (couteau, vase, canne à pêche…) appartement à la culture méditerranéenne et orientale, en les auréolant le plus souvent de cette lumière indéfinie, comme pour prouver aux hommes qu’ils renferment et recèlent toujours en eux l’étincelle de génie. “Ce sont des objets à forte consonance symbolique que les Européens n’ont pas adoptés et que les Arabes n’ont pu réadapter aux besoins de la modernité et les positionner à travers une vision futuriste qui est une manière de conduire à une réflexion sur le processus d’épanouissement et de promotion de la culture arabo- musulmane à partir de ses sources patrimoniales.” (in liberté du 14-01-2004).

  • Tout d’abord, pourriez-vous nous décrire votre parcours professionnel ?

Je suis major de promotion en architecture intérieure de l’Ecole nationale des beaux-arts d’Alger en 1982. La même année, j’ai rejoint l’Ecole nationale des arts décoratifs de Paris. Après le design industriel, j’ai poursuivi un troisième cycle en mobilier, où j’ai appris à concevoir et à réaliser les choses avec lesquelles on aime vivre. Dès lors, j’ai remporté presque tous les prix, bourse du VIA, SM d’Or, bourse Agora, lampe d’Argent. J’ai dessiné des meubles et luminaires pour de grands éditeurs, comme Ceccotti, Charles, Drimmer, Roche et Bobois, Christofle. J’ai aussi aménagé des appartements, des jardins et des piscines, des villas à Ibiza ou à Tunis, des brasseries à Amsterdam ou à Barcelone, des hôtels au Japon ou en Tunisie.

J’ai raflé plusieurs prestigieux prix. En 1987, j’ai décroché les premier et second prix du concours Appel aux jeunes créateurs, représentant émérite de la première génération des designers, Palmes d’or de la jeune création au Grand Prix de la critique du meuble contemporain (Paris, 1989) et médaille d’or au Salon international du meuble au cours de la même année.

  • A l’occasion de la 1re biennale algéro-française d’Alger, vous avez présenté une installation intrigante intitulée «Les avatars», où vous présentez l’âme de la rose des sables…

Effectivement, le projet de mon installation reposait sur un thème précis, à savoir «Les avatars». Il s’agit d’un genre de sarcophage de 5 mètres de long avec trois objets. Ces derniers ont à mes yeux une très grande signification. Le sarcophage et ces trois objets font penser à une tombe. Il s’agit, en fait, de la tombe d’une femme qui n’est pas morte mais simplement endormie. C’est plus un esprit. J’ai posé du verre minéral dont l’origine est le sable. Dans le cœur de ces blocs en verre, il y a une rose de sable. J’ai donc trois roses de sable. Les roses de sable, ce sont cela «les avatars» qui ont pour mission de faire vivre toutes ces roses. Je ne parle pas de la rose des sables, cette roche évaporitique formée par la cristallisation lenticulaire de minéraux solubles, dont la disposition rappelle les pétales d’une rose. Je pointe du doigt l’esprit. C’est quelque chose que personne ne peut toucher. Je n’ai fait qu’immortaliser l’esprit de la rose des sables. Les gens vont visiter cette installation de rose des sables. Ils vont tourner autour de ce tombeau. Je n’ai fait que reproduire mon ressenti. Mon installation est un voyage.

Ils ressentent une énergie. Je pense que c’est un beau prétexte pour dessiner cette émotion. A titre d’exemple, quand le soleil se couche, il y a des nuages qui passent. Chacun traduit avec son subconscient son vécu, le dessin qu’il perçoit dans les nuages. Deux personnes ne voient pas le même nuage de la mêmefaçon. C’est cela la richesse de l’homme. Chacun a son vécu et tant mieux. Après dans la communion quand on commence à parler comme on le fait maintenant entre nous deux, il y a des dispositions. Il y a une plateforme, il y a un terrain. Il y a un bien- être, quelque chose de subliminal que les gens aiment. C’est une belle histoire et quand on voit cette rose des sables, du coup cela devient vrai. Quand on raconte, cela devient vrai. La rose des sables est magique, quand on la voit comme cela. Elle est inerte alors qu’elle est détentrice d’une âme. Elle procure de la sérénité et de la quiétude. C’est un rêve.

  • Pourquoi avoir opté pour ce type d’installation précis, réfléchi avec un cœur de poète ?

Je voulais donner de l’émotion aux gens. Et puis parce que j’étais inspiré à un moment où j’allais faire cette installation. C’est aussi, le matériau qui était entre mes mains qui m’a inspiré. Je n’impose pas mais je partage ce qui m’inspire. Si les gens adhèrent tant mieux. Même quand les gens n’aiment pas, c’est bien aussi. Cela peut donner une contre-émotion. Cela peut générer autre chose. Chacun va trouver sa vérité. C’est comme une œuvre d’art. L’outil technique a été le véhicule pour arriver à concrétiser ce produit final de design. Cela a été réfléchi avec un cœur de poète. Ce sont deux choses complètement séparées. C’est-à-dire, on peut être un bon technicien mais si on n’a pas un cœur de poète, on ne peut pas traduire des choses plus sensibles. Cela reste une installation pure et dure. A titre d’exemple, la terre qui est en relation avec le cosmos et la ligne des planètes sont des installations. Pour moi, c’est une vérité d’attalisme. Ce n’est pas quelque chose que j’ai fait en même temps. C’est juste une proposition. Pour rappel, lors du Panaf de 2009, j’ai réalisé une installation dans le même esprit.

  • Comment est votre approche du design en Algérie ?

Il n’y a pas d’avenir pour le design industriel en Algérie sans l’industrie.

  • Pourrais-ton envisager alors à long terme un avenir industriel, employant des designers algériens ?

C’est cela justement le vrai design industriel. Après, nous avons différents designs. C’est comme l’arc-en-ciel. Le design veut tout dire, à savoir entre autres la brosse à dent, le fauteuil du dentiste, une poignée de porte, un téléphone ou encore un habit. Tout est design dans la vie et dans notre quotidien. La créativité est une autre chose à part.En outre, le designer rend la chose plus vendable, plus ergonomique, plus pratique et plus visible. Ce n’est pas le designer qui invente la technologie mais il est un véhicule pour vendre le produit.

Il est nécessaire de vendre un produit. Mieux encore quand vous achetez une chaussure, vous choisissez ce qui vous convient. Les designers ont fait beaucoup de choses pour la mode. Tout est design. C’est cela l’avenir du design. Il est partout. Nous, nous confondons et nous mettons le design comme si c’était un artisan. Pour nous Algériens, les designers ce sont des artisans du futur. Des artisans évolués et modifiés à la fois.

  • Justement, quelle définition donneriez-vous d’un designer ?

Quitte à me répéter, il n’existe aucun designer industriel en Algérie. Comment peut-on faire évoluer un pays à l’échelle industrielle ? Comment vendre et conquérir des marchés internationaux, alors que nous n’avons pas de designers industriels ?

C’est très grave. C’est hélas la vraie réalité. Nous avons des gens qui travaillent l’artisanat un peu amélioré. On a formé des designers pour faire ce métier d’artisan. Il y a probablement de vrais designers industriels algériens dans le monde.

Quand on forme des designers industriels dans une école donnée, les professeurs ont leur propre agence de design industriel. Quand j’étais élèves aux Arts décoratifs de Paris, j’avais pour professeur Roger Tallon à qui on doit le train Corail et le TGV à deux étages. Il y avait aussi Philippe Starck, comme intervenant, qui est l’un des pionniers du design démocratique, ainsi que Pascale Mourgue.

Sans prétention aucune, mais tous mes professeurs étaient des professionnels qui, jusqu’à aujourd’hui, enseignent à l’école. Je demeure convaincu qu’on ne peut pas faire une école avec des professeurs qui ont des diplômes d’enseignement. Il n’y a pas d’enseignant en design industriel. Donc, comment voulez-vous avoir des designers industriels ? C’est très grave ce qui nous arrive.
  • Comment définiriez-vous le métier que vous exercez ?

Je me définis en tant que concepteur, designer, ingénieur et architecte. Le designer est au service du concepteur. Quand je fais mes architectures, je suis l’architecte et l’ingénieur. Notre profil est différent des autres. Je suis un concepteur avec plus de maîtrise et plus d’outils.

En Algérie, je fais de l’artisanat amélioré et de design à la fois. Je citerai l’exemple type d’une très belle performance, réalisée en 2015 dans le cadre de la manifestation Constantine, Capitale de la culture arabe. Nous étions plusieurs designers qui avons travaillé avec des artisans.

Nous avons donné naissance à une superbe collection. Pourquoi ? Parce que nous avons pris des artisans dont nous avons amélioré le travail. Et là, nous avions atteint nos objectifs. Donc au final, nous sommes tous des designers artisans améliorés mais pas des designers industriels.

  • Il faudrait aller alors vers une véritable politique de ce métier…

Oui, bien sûr si l’Etat veut bâtir une idée de l’industrie. L’Algérie a monté, dernièrement, une voiture mais on ne l’a pas créée. Il faut donner le sens au mot. C’est une collection de voiture.

C’est des neurones entrelacés par leurs synapses. Cela veut dire une multitude de bureaux. Pour faire un véhicule, il y a des gens spécialisés dans toutes les pièces d’une voiture, à commencer par le tableau de bord.

C’est toute une chaîne. Il faudrait peut-être commencer à dire comment on doit faire du design algérien. Je vous annonce que Brandt a sollicité notre agence pour la conception d’un réfrigérateur à 100% algérien. Nous avons commencé le projet avec eux.

Cela va être une révolution. Il s’agira d’un outil incroyable pour les ménages. Nous sommes en train de nous battre sur les prix. Ce qui est important aussi, c’est pour son exportation en Europe et au Maghreb. C’est pour exporter l’image de l’Algérie et de redorer son blason

  • Quelles sont les précieux conseils que vous pourriez donner à un jeune qui s’intéresse ou encore qui débute dans le design ?

Je pense qu’il n’y a pas de conseils. Il faudrait qu’il soit encadré par de bons professeurs. C’est l’enseignement qui prime. Cet étudiant, on lui apprend un métier. Le design, c’est un métier. Dans le design, on a besoin de tout.

  • Avez-vous des influences, des artistes référents ? Si oui, pouvez-vous en citer quelques-uns ?

Il ya des architectes et des designers étrangers qui m’ont inspiré. Je citerai entre autres Philippe Starck, Zaha Haddid et Jean Nouvel. Je tiens à préciser, toutefois, que ces derniers m’ont nourri l’esprit.

Ils ont fait leur travail, comme moi, je suis en train de faire le mien. Il y a aussi Metrah Corinne Zineb, la personne qui m’a le plus influencé. Nous sommes dans le même domaine. Nous sommes étroitement liés dans la vie, le travail, la philosophie et dans notre vision de la vie.

  • Des projets à court ou à long termes ?

Nous travaillons dans le domaine de l’hôtellerie, de la promotion immobilière pour des particuliers, ainsi que des projets de requalification et d’aménagements urbains pour différentes wilayas.

Source : El watan

 

 


Yamo, Chaise “À LA FOLIE”, 2015-2016

 

1er prix d’un concours de la jeune création avec la lampe “Le Fourmilier”.
Edition DRIMMER, France,1988

 


Yamo : Les avatars, monde extraordinaire.
Dans le cadre de Dzign 2020+1, 1iere Biennale Algero-Française du Design, Intramuros,
Ré-inventer la ville par le Design. 2021

 


Dans le cadre de Dzign 2020+1, 1iere Biennale Algero-Française du Design, Intramuros, Ré-inventer la ville par le Design.
Mobilier urbain, bois et métal. 2021

 


Yamo : Console Imrat, YAMO design, pour Ceccotti.

 


Yamo : Art de la table, Couverts en argent pour le Palace Kawakuy, Osaka, Japon, fabriqués par Christofle Paris.

 


30 ans déjà! Paris 1991.
Yamo, Abdi, Chérif.
Exposition collective Institut du monde Arabe.
Photo : Laziz Hamani.

 


30 ans déjà! Paris 1991.
Yamo, Abdi, Chérif.
Exposition collective Institut du monde Arabe.
Photo : Laziz Hamani.

 

 

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