À l’écoute, le lundi 20 janvier 2020, de l’émission d’Augustin Trapenard “Boumerang” (mise en ondes du lundi au vendredi matin sur “France İnter”), j’apprenais ce jour-là que Zineb Sedira représenterait la France à la 59° édition de la Biennale de Venise (prévue de mai à novembre 2021), une nomination qui provoquera quelques remous du côté de ceux l’imputant d’emblée d’être en accointance idéologique avec Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), mouvement dont les militants appellent à bannir la culture, la politique et les produits d’İsraël.
La polémique débuta le samedi 25 janvier, lorsqu’au sein d’une missive adressée à Franck Riester Jacqueline Frydman se faisait « l’interprète et la porte-parole d’acteurs du milieu de l’art à Paris et en France (…) choqués du choix (…) fait en la personne de Zineb Sedira ». À ses yeux, la Londonienne demeurait la « cosignataire d’une exigence de retrait (…), », de sorte que l’avis du comité de sélection se trouvait de facto en total opposition « avec les déclarations de notre Président Emmanuel Macron qui, la semaine dernière encore, de Jérusalem, appelait à combattre toute forme de haine et d’antisémitisme dont les appels au boycott, particulièrement dans la culture, sont une expression pernicieuse et violente.»
Pour la présidente d’İSART (une association de promotion des échanges culturels entre la France et İsraël) « la sélection d’une artiste, membre d’une organisation appelant à l’exclusion d’un pays démocratique et de ses artistes avec les dérives antisionistes et antisémites que l’on connaît » équivalait à promouvoir la campagne BDS, contredisait l’appréhension « universaliste que l’on attend du Pavillon français à la Biennale de Venise » et ne pouvait en aucun cas perdurer plus longtemps. Aussi, réclamait-elle « de renoncer à ce choix », faute de quoi elle se verrait « contrainte de rendre publique notre position par voie de presse ».
La plaignante recevra les heures suivantes la caution communautariste puis intellectuelle de Francis Kalifat et Bernard Henri Lévy. Le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRİF) adressait la sienne via Twitter pour annoncer au ministre de la Culture sa « Vive émotion et incompréhension », ne pas saisir « comment une artiste fervente partisane du BDS, illégal en France, peut-elle représenter notre pays à la Biennale de Venise ? », et le philosophe se demandait quant à lui: « Comment après l’émouvant voyage de Emmanuel Macron en İsraël, la France peut-elle choisir, pour la représenter (…) une artiste activiste du BDS, chantre du boycott d’İsraël ? ».
L’interrogation du journal électronique “Causer.fr”, « Pourquoi Zineb Sedira ne doit pas représenter la France à la Biennale de Venise ? enfonçait d’autant plus le clou que ce mardi 28 janvier 2020 Maya Nahum y stipulait la ferme nécessité de ne pas « laisser la France être représentée par une antisioniste virulente lors de cet évènement prestigieux », rendez-vous planétaire mettant en lumière(s) un travail essentiellement focalisé sur « l’identité, l’immigration et la guerre d’Algérie». Novice en matière d’art contemporain, l’écrivaine dénaturait les installations de la future locataire (du Pavillon français), vomissait la contestable et scandaleuse condescendance donnant « la parole aux créateurs enfants des anciens colonisés » sans que l’on sache si elle contribuera vraiment « à calmer la haine des juifs et à lutter contre le communautarisme ? », à obtenir la paix sociale dans les banlieues en « n’offrant, – ici, par l’art -, qu’une seule version de l’histoire de la guerre d’Algérie. ».
Au contraire, poursuivait la chroniqueuse, s’exacerbera « la volonté de dissidence et les appels à la sédition d’indigénistes farouches, les plus haineux envers la France. Quoi que l’on pense de son œuvre et de ses choix politiques et idéologiques personnels, Zineb Sedira, l’adepte du boycott d’İsraël, ne peut pas et ne doit pas représenter la France à la Biennale de Venise en 2021. Sa désignation est une erreur mais il n’est pas trop tard pour la corriger ». Si d’autres compareront cette prétendue faute morale au (supposé) parallèle d’un chef d’État français plaçant au même niveau « les méfaits de la colonisation en Algérie et les horreurs commises par la France pendant la Shoah », la tribune de Maya Nahum reprochait également à Zineb Sedira de s’être opposée en 2017, lors de la Biennale de la Méditerranée à Sakhnine (village arabe israélien), à la monstration de ses œuvres. Contrainte de se justifier le mercredi 29 (communiqué transmis à l’AFP), la plasticienne expliquait que l’éviction du médium And the road goes on incombait principalement aux mauvaises conditions environnementales, n’avait en l’occurrence rien à voir avec ladite mouvance « Toute mon œuvre témoign(ant) de ma volonté de m’inscrire dans une relation pacifique entre les hommes et les femmes. C’est la raison pour laquelle non seulement aucun boycott d’İsraël ne saurait m’être reproché, mais en plus j’ai eu le plaisir d’y exposer au musée d’Herzliya [en 2010-2011] (…) et plus anciennement à Jérusalem et à Nazareth ».
La Franco-algérienne, et néanmoins sujet britannique, aura beau démentir des « accusations infondées et calomnieuses», certifier ne pas être solidaire de l’organisation dénoncée, affirmer lutter « contre toutes formes de haine, d’actes ou de propos racistes ou antisémites », ne pas faire la « promotion des appels au boycott d’İsraël », proscrire fermement toute forme d’ “isola-sionnisme” global « qui aurait pour résultat contre-productif d’affecter et de paralyser les femmes et les hommes désireux de vivre en paix », être finalement « une artiste, pas une activiste », le propagandiste webzine Causeur renchérissait le 31 janvier par, cette fois, le biais d’une “Lettre ouverte à Madame Zined Sedira”. Odile Cohen la soupçonnait de se « dédouaner avec quelques paroles », les remettait en cause en opposant des articles de presse ou messages trouvés en 2017 (notamment sur la page d’accueil Facebook de la désavouée) et prouvant que la “raison réelle” de la volte-face ressortait d’une décision politique et « non pas, (…), de problèmes d’ordre technique ». La persistance avec laquelle fut entreprise la chasse aux sorcières dénote l’esprit inquisiteur de certains médias pro-israéliens ne supportant, semble-t-il, pas qu’une arabe soit plébiscitée par Charlotte Laubard (historienne de l’art et commissaire d’expositions), Naomi Beckwith (conservatrice au Museum of Contemporary Art à Chicago). Hélène Guenin (directrice du Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain à Nice), Rebecca Lamarche-Vadel (directrice déléguée de Lafayette Anticipations. Diplômée en Histoire de l’Art, Histoire et Sciences Politiques de l’Université Paris I – La Sorbonne), Morad Montazami (historien de l’art, éditeur et commissaire d’exposition), Yves Robert (fondateur de l’Unité de recherches contemporaines de la Villa Gillet à Lyon en 1998, administrateur du Centre national d’art contemporain de Grenoble en 1989 et secrétaire général du Nouveau Musée/ İnstitut d’art contemporain de Villeurbanne), des expert(e)s et membres d’un jury que chapeautaient Jean-Yves Le Drian (ministre des Affaires étrangères) et Franck Riester (ministre de la Culture). Dénonçant de fausses informations, ce dernier réaffirmait son indéfectible soutien à une artiste luttant « contre toutes formes de haine, d’actes ou de propos racistes ou antisémites », clôturait de la sorte la désagréable controverse. Formée au Royal college of art, à la Slade school of art et à Central Saint Martin’s school of Art, Zineb Sedira a eu le mérite d’ouvrir « la voie à une relecture de l’histoire coloniale dès la fin des années 1990 quand ces questions étaient encore peu assumées par la société française. Elle a été choisie pour sa capacité à multiplier les regards et les perspectives sur ces enjeux tout en assumant une dimension poétique et esthétique forte. »
Ces dernières années, ses recherches raccorderont « (…) la question coloniale à celle des flux économiques et humains et à la circulation des idées. », ajoutait l’instance décisionnelle. Fallait-il dès lors relier l’argumentaire d’éminents spécialistes aux dernières dispositions d’un Emmanuel Macron confiant à Benjamin Stora le soin de revisiter quelques méandres mémorielles ?
Développeuse des boîtes noires de l’Histoire et sondeuse des soubassements identitaires, Zineb Sedira révélait en 2002 l’écho intimiste d’une Mother Tongue (Langue maternelle), le décryptait sur trois écrans. Le premier ravivait les souvenirs d’une maman racontant à sa fille l’enfance vécue en Algérie. Le deuxième montrait l’artiste en train de livrer les phases majeures de son existence hexagonale à une progéniture conviée, en troisième lieu, à raconter à sa grand-mère ce qu’elle entreprenait au quotidien à Londres. Perturbés par des interférences idiomatiques, la conversation ne jouait plus le rôle de vases communiquant puisque, comprenant principalement l’arabe dialectal, la veille femme se trouvait dans l’incapacité de saisir les “paroles anglicisées” de la plus jeune des interlocutrices.
La circulation des mots et la valeur du témoignage achoppaient devant une déconnexion dialogique devenue la limite objective de l’hybridité langagière. Avec Raconter de nouveau des histoires : ma mère m’a dit, Zineb Sedira raccourcissait l’expérience au bilinguisme, manière de recueillir au plus près des informations sur la Guerre d’Algérie, indices transmis en décalé avec tout ce que cela générait comme second brouillage. Appliqué le concept de mémoire au monde de l’art revient à puiser dans la matrice des sentiments et particularismes. Aussi, la native de Gennevilliers plongera au creux des excavations de l’oubli, y dénichera les séquences générationnelles du conditionnement mnésique, les sortira des formulations carcérales de l’ineffable, de l’irreprésentable ou de l’innommable et les transcrira en visuels. Leurs traductions esthétiques gagent de l’élargissement dialectique de l’entre-deux cultures, mène résolument vers les pistes des transmigrations mondialisées, là où il faut assurément trouver les ressorts originaux d’une thématique maintes fois abordée en Algérie et ailleurs.
Déplier la chaîne causale des problématiques diasporiques, c’est désenclaver les ancrages patriotiques mais aussi savoir élargir ses propres séquences autobiographiques, les décentrer d’un discours sur les origines trop souvent conditionné aux correspondances simplistes de l’ici en France et du là-bas en Algérie. Davantage taraudée en Angleterre, l’étude du fait colonial poussa Zineb Sedira à entreprendre un premier voyage dans un pays maghrébin où elle se cogna in situ aux séquelles d’un temps passif laissant le champ artistique local à la traîne de la scène internationale.
Aussi, la “tête d’affiche” de la galerie parisienne “Kamel Mennour” fonda en 2011 la résidence ARİA (artist residency in algiers) de manière à combler le manque de visibilité des créateurs algérois, une médiation aux retombées partagées puisque sa notoriété se déploya, L’espace d’un instant, au “Jeu de Paume”, Musée qui en lui accordant à l’automne 2019 sa première rétrospective traçait par là-même un cheminement menant non pas vers Rome mais donc Venise.
Saâdi-Leray Farid. Sociologue de l’art et de la culture. Le 06 décembre 2020.
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