Zoubir Hellal, commissaire de l’exposition de la sélection d’artistes algériens à la biennale de Venise 2019, revient sur les aspects de cette participation et la polémique engendrée sur les réseaux sociaux.
- Quel a été le bilan de la participation algérienne à la biennale de Venise 2019 ?
Mr Zoubir Hellal : Je pense que l’objectif recherché de faire participer l’Algérie à la 58ème Biennale de Venise a été largement atteint, il est crucial et déterminant que notre pays et ses artistes soient pour la première fois présent à cette grande manifestation artistique internationale. Notre absence a trop longtemps duré, il était temps de réagir. Un paragraphe de mon texte de commissariat d’exposition explique notre intention, attitude et action :
« Le choix du concept du Pavillon Algérie et de ses artistes est en rapport direct avec la question de la résilience, il faut savoir que tout choix est excluant et le mien s’est basé sur la pertinence des parcours artistiques d’artistes endurants et résistants, qui présenteront le Pavillon Algérie, je dois également composer avec la tradition de la Biennale de Venise, dont le principe des pavillons nationaux est de présenter qu’un seul artiste ou un nombre très restreints. Mon regard s’est porté sur certains artistes, ceux qui sont restés en Algérie, leur combat a été de se forger une perception, de résister aux inerties qui les entourent, qui les assaillent, ils nous proposent un autre regard et une manière de faire pour éviter les scléroses et la procrastination ; mais j’inclus également ceux qui ont quitté leur pays, ceux qui sont partis après la décennie noire des années 1990 pour aller chercher un ailleurs meilleur, un départ pour se confronter au monde global et aux autres perceptions, processus indispensable pour forger un autre regard, une distance nécessaire, pour vivre d’autres expériences, ce que ne pouvait pas leur offrir la vie artistique de leur pays.»
Ce que j’ai eu à constater, est qu’il y a eu une couverture médiatique internationale, des sites de presse et magazines prestigieux se sont intéressés à notre participation et ont relayé l’histoire du pavillon Algérien, je cite E-Flux, Blouin Art Info, Contemporary And C&, Art Africa Magazine, Artnet news, True Africa, Artnews, Al Fanar Media, Happening, Seecult… et bien d’autres, je cite les plus importants.
J’ai noté aussi, qu’une « certaine presse française » alertée par des artistes de la diaspora dès le début de l’annonce de notre participation, s’est empressée de relayer désinformations à la limite de la diffamation et forcément malveillante, j’ai observé que cette diaspora avait sciemment oublié en tant que professionnels du domaine des arts visuels, qu’un curateur indépendant n’avait besoin d’aucune autorisation et certainement pas la leur, pour concevoir un projet d’exposition à présenter au Ministère de la Culture de son pays de naissance. Cette diaspora dont l’action fut soutenue par leurs réseaux de presse pour protéger leurs intérêts et imposer leurs opinions, jouit d’une position favorable de visibilité et de mobilité pensant réprimer toute initiative artistique venant d’Algérie. Cette diaspora pensait à tort qu’elle pouvait nous atteindre et nous forcer à abandonner notre projet, peine perdue, notre résilience était au rendez-vous.
Pour cette 58ème édition de la Biennale de Venise, Ralph Rugoff, le commissaire proposait le titre « Puissiez-vous vivre une époque intéressante », un questionnement qui m’a interpellé et propulsé immédiatement dans la réalité de la société algérienne, l’actualité venait ensuite ponctué ce processus de changement d’époque. J’ai formulé ma réponse avec un titre « un temps pour briller ». C’est ce «temps» abandonné et oublié, que nous avons recherché, que nous avons atteint avec la présence des artistes algériens qui ont accepté mon projet d’exposition à la Biennale Venise, ainsi les projecteurs se sont alors orientés vers ce pavillon algérien.
Ces artistes de la diaspora pensaient-ils aussi, que nous étions tenus de les informer pour pouvoir agir et concevoir, un projet, d’obtenir, leur bénédiction, je m’interroge, qui sont-ils ? A noter, qu’ils avaient entrainé dans leur sillage quelques artistes locaux qui se considèrent comme étant incontournables dès lors que l’on parle d’arts visuels? Nous n’avons pas eu besoin ni de leur réflexions, ni de leur soutien. Pour cette 58ème édition de la Biennale de Venise, Ralph Rugoff, le commissaire proposait le titre « Puissiez-vous vivre une époque intéressante », un questionnement qui m’a interpellé et propulsé immédiatement dans la réalité de la société algérienne, l’actualité venait ensuite ponctué ce processus de changement d’époque. J’ai formulé ma réponse avec un titre « un temps pour briller ». C’est ce «temps» abandonné et oublié, que nous avons recherché, que nous avons atteint avec la présence des artistes algériens qui ont accepté mon projet d’exposition à la Biennale Venise, ainsi les projecteurs se sont alors orientés vers ce pavillon algérien.
- Après la polémique sur cette participation et le retrait annoncé. Comment le groupe s’est organisé ? Pouvez-vous nous en dire plus ?
Mr Zoubir Hellal : Dès le départ la question de la résilience était un choix, les artistes et le curateur s’étaient mis d’accord après l’annulation du soutien financier du Ministère de la Culture, d’une part de garder le même lieu d’exposition, de maintenir la durée et les dates annoncées officiellement par les organisateurs de la 58èmeBiennale, de faire aboutir le projet, tout simplement parce qu’il n’émanait pas du Ministère, et d’autre part, parce qu’ils avaient bouclé techniquement leur participation, et qu’il n’y avait aucun problème de préparatif comme invoqué par un certain communiqué édité sur une page Facebook. Juste vous dire que chacun d’entre nous a eu à réaliser la tâche qui lui avait été assigné pour permettre cette participation à la Biennale de Venise.
L’absence des artistes algériens aux biennales et foires contemporains s’inscrit dans la durée et toutes les tentatives étatiques ont échoué à l’image du projet AARC. Comment y remédier ?
Mr Zoubir Hellal : Il ne s’agit pas seulement des tentatives étatiques, mais d’un esprit ambiant non professionnel. La question qui se pose est toujours de l’ordre de savoir – qui valide qui? – qui sélectionne qui? – qui doit être sélectionné ? Ces questions se posent parce que dès 1962, le domaine des arts visuels a tourné le dos aux exigences professionnels internationales, que ce soit pour la question des moyens liés à la production, à la diffusion, à l’écriture, à la sélection, ou au management des artistes. Le domaine a été instrumentalisé et la dépendance au politique devenait un statut, un passage obligé.
Nous avons constaté que la plupart des artistes ont toujours soutenu les responsables politiques dans leur action d’embrigadement du travail artistique, le «Printemps des Arts» organisé en 2018 par le Ministère de la Culture en est un exemple édifiant. C’est le cas encore aujourd’hui, parce qu’un grand nombre d’artistes refusent toujours le principe de la Galerie, ils privilégient une présence d’une part, dans les festivals pour avoir une présence et une validation, qui au demeurant est de l’ordre du politique et non pas émanant de l’intelligentsia civil – et d’autre part, pour une petite minorité d’entre eux, exposer dans certaines galeries qui fonctionnent comme des centres culturels, sans aucune ligne éditoriale, le plus souvent, gérées par une administration déconnectée des milieux artistiques. Pour faire référence à notre histoire, c’est comme si l’adage: «la primauté du militaire sur le civil» avait été adoptée par les artistes algériens et ensuite modifié par un autre adage : « la primauté du politique sur l’artistique».
Un constat amer, parce qu’il n’y a pratiquement plus de galeries qui fonctionnent de manière durable et professionnelle, et cela est aussi de leur responsabilité. Mais aussi, parce qu’il y a cette posture ambiante d’un grand nombre d’entre eux qui se disent être victimes du système, mais qui participent à chaque occasion à la messe qu’il leur est proposé, une obéissance sans faille.
- L’ESPACO qui ferme ses portes. Vous avez été partenaire de l’espace pendant une période, ne pensez vous pas que l’Etat devrait soutenir les initiatives porteuses du secteur privé ? Le secteur privé n’est il pas la solution pour contrer l’échec du tout état ?
Mr Zoubir Hellal : Bien entendu que l’état doit soutenir les initiatives privées par des aides appropriées et limitées dans le temps, comme cela a été fait pour le secteur de l’édition, le commerce est le principal vecteur de la profession, mais pas seulement, parce que le secteur étatique doit lui aussi être soutenu, il n’y a qu’à voir l’état de nos musées pour comprendre le peu d’intérêt que l’on accorde aux arts visuels. Il nous faut aussi, admettre que l’œuvre d’art est une marchandise au même titre que le livre, ou tout autre produit, que la notoriété de l’artiste a un prix et que la grandeur d’une galerie d’art repose sur la valeur de ses auteurs, et sur son action.
Une fiscalité attractive pour créer l’élan indispensable doit être envisagée, mais aussi doter l’artiste d’un NIF -Numéro identifiant Fiscal -pour lui permettre de facturer et de garder son autonomie.
Adoptons le fonctionnement professionnel qui régi les professions liées au domaine des arts visuels, pour nous en sortir, et dire une fois pour toute que le modèle « la primauté du politique sur l’artistique» est une catastrophe, nos sculptures «patriotiques urbaines» en sont le parfait exemple. Le politique a ainsi créé « un marché », a mis en place des procédures pour l’histoire qu’il s’est créé.
Les grandes manifestations organisées par le Ministère de la culture, à elles seules ne peuvent constituer la solution pour booster le secteur des arts visuels. J’ai eu l’opportunité d’être à plusieurs reprises commissaire d’exposition, cela a été pour moi l’occasion de me confronter à l’attitude des politiques et des artistes. Il s’avère que la tendance est au rejet de toute forme de sélection. De grands événements qui, il faut le souligner ont permis à un nombre assez important d’artistes d’avoir plus de visibilité et de reconnaissance professionnelle, et ceci grâce à notre opposition à toute forme de sélection pouvant émaner de responsables politiques, et cela est un fait vérifiable.
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À l’image de l’évènement marché de l’art organisé en grande pompe par le ministère de la Culture durant le mois de mai 2018 au palais de la culture d’Alger qui est en finalité de la poudre de perlimpinpin, un évènement porté par une participation massive des acteurs culturels et qui décrit toute la crédulité du milieu artistique vis-à-vis du tout état. En quoi ce genre d’évènement est-il important pour la corporation autrement pour l’agenda politique ? Et quel a été le bilan selon vous ?
Mr Zoubir Hellal : Le bilan de cette grandiose messe est qu’il n’y avait que des «croyants crédules», qui se sont très vite rendus à l’évidence, le deal qui leur avait été proposé était une supercherie. J’ai été convié par le Ministère de la Culture en tant que modérateur d’un panel de conférenciers, et je peux dire que l’intervention sur le marché de l’art de Monsieur Orif Mustapha, ancien responsable de la Galerie Isma à Ryadh El Fethet ancien Directeur de l’AARC (Agence Algérienne pour le Rayonnement Culturel), était une prise de parole appropriée et professionnelle, qu’il avait décrit l’ensemble du processus et des enjeux de cette activité sociale. Nous sommes habitués au fait que ce département ministériel, n’en fait qu’à sa tête, qu’il est sourd et muet, muet parce que la communauté des arts visuels ignore sa stratégie et les actions qu’il va mener pour booster le domaine. Le sentiment d’exclusion habite chacun d’entre nous.
Propos recueillis par Tarik Ouamer-Ali
Le 10 juin 2019
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